PARIS : Quelques années après un premier succès aussi foudroyant qu'inattendu, porté par la diaspora arménienne, Ladaniva va représenter l'Arménie à l'Eurovision en mai. Pour le duo de Lille, dans le nord de la France, participer n'avait pourtant rien d'une évidence.
Né à Lille en 2019, le groupe est composé de la chanteuse Jaklin Baghdasaryan, Arménienne de naissance mais élevée en Biélorussie, et de Louis Thomas, multi-instrumentiste lillois. Ils étaient loin de s'imaginer qu'ils se trouveraient un jour à porter les couleurs de l'Arménie.
Jaklin Baghdasaryan, 26 ans, est arrivée à l'âge de 20 ans dans le nord de la France, «à la recherche de liberté et d'une vie meilleure, sans parler un mot de français», raconte-t-elle lors d'un entretien avec l'AFP.
«Je ne parle même pas si bien arménien que ça !», ajoute la chanteuse.
Pendant une séance d'improvisation, elle fait la connaissance de Louis Thomas, qui est touché par sa voix. Suivent des voyages, notamment à la Réunion (île française de l'océan Indien) ou en Amérique du sud, sur la trace des «musiques du monde» (chant traditionnel arménien, maloya, reggae...) qui fusionnent dans leur répertoire.
En 2019, ils enregistrent une reprise d'une «vieille chanson arménienne» et la mettent en ligne sur YouTube «à l'arrache, sans préméditation».
Grâce au bouche-à-oreille, le nombre de vues décolle. Les diasporas arméniennes de tous les pays se donnent rendez-vous dans la section des commentaires pour les encourager.
«Alors, on a un peu bidouillé. J'ai écrit mon premier texte, on a mis une composition en ligne», se souvient Jaklin Baghdasaryan.
Rapidement, le clip cumule des millions de visionnages, passe à la télévision arménienne, se retrouve décliné à toutes les sauces sur TikTok en France, en Russie, en Arménie.
«C'était totalement surréaliste», souffle Louis Thomas, 36 ans. «Dès la fin du confinement, on s'est retrouvés signés sur un label (le label indépendant PIAS, NDLR), à jouer aux Trans Musicales (à Rennes, ouest) et au Printemps de Bourges» (centre), deux importants festivals en France.
- «Chevaux noirs» -
En 2022, l'opérateur national arménien de télévision AMPTV leur propose de représenter le pays à l'Eurovision.
«Je regardais l'Eurovision quand j'étais petite avec ma mère», se rappelle Jalkin Baghdasaryan. «Pour ma famille, c'est la réussite de ma vie».
Mais la proposition fait long feu: «on n'arrivait pas à se mettre d'accord au sujet de la chanson. On était d'accord pour que ce soit plus pop que d'habitude mais on voulait que ça reste notre morceau», rembobine-t-elle.
Il faudra s'y reprendre à trois fois pour que l'idée aboutisse, en 2024. Il est vrai que le répertoire du groupe tombe assez loin de l'esthétique du concours organisé cette année en Suède.
«En ligne, beaucoup de gens nous appellent +les chevaux noirs+ (les outsiders, NDLR) de la compétition», s'esclaffe la chanteuse, alors que le duo est classé 17e par les bookmakers, selon le site eurovisionworld.com, derrière le favori suisse Nemo et le Français Slimane (6e).
Fidèle à la spontanéité et à la joie de vivre de leurs débuts, Ladaniva aborde sereinement le concours.
«C'est un peu stressant mais, sur le moment, tu n'y penses pas, remarque Jaklin Baghdasaryan. Tu es comme un taureau dans l'arène, tu fonces». «On y va sans prise de tête, pour partager un bon moment», assure Louis Thomas, davantage emballé par leur projet d'album de reprises de chansons traditionnelles «plutôt dépouillé, minimaliste», loin des paillettes de la compétition.
«Les Arméniens adorent l'Eurovision», poursuit Jalkin Baghdasaryan. «Quand ils viennent nous encourager à la fin des concerts, on sent qu'ils ont plus envie que nous qu'on gagne !»
Dans une compétition traditionnellement chargée d'un poids politique - comme en témoignent les polémiques sur la participation de la Russie après l'invasion de l'Ukraine en 2022 ou d'Israël, en guerre contre le Hamas à Gaza, en 2024 - et alors que l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont opposés dans un conflit territorial au Haut-Karabakh, ils refusent toutefois de se voir comme des «représentants».
«Être là, chanter dans ma langue natale, c'est déjà une façon de prendre la parole», dit Jalkin Baghdasaryan. Quant à Louis Thomas, il décrit le moment comme «surréaliste» mais aussi «un honneur».