En octobre 2022, Amos Hochstein, dont le titre officiel est assistant adjoint du président, conseiller principal en énergie et en investissements et coordonnateur spécial du président américain pour les infrastructures mondiales et la sécurité énergétique, a négocié un accord historique sur la frontière maritime entre le Liban et Israël. Les négociations ont duré des mois et ont failli dérailler à plusieurs reprises. Pourtant, M. Hochstein, qui dispose de la double nationalité américano-israélienne, a réussi à conclure un accord que beaucoup pensaient impossible à réaliser.
En septembre dernier, moins d’un mois avant que le Hamas ne lance son attaque meurtrière contre les colonies du sud d’Israël, il était de nouveau à Beyrouth, cette fois pour entreprendre une tâche encore plus importante: la démarcation d’une frontière terrestre délicate et périlleuse entre Israël et le Liban.
Sa mission n’a pas été couronnée de succès. Au lieu de cela, le président Joe Biden a dépêché M. Hochstein afin de savoir si son expérience et ses contacts pouvaient être mis à profit pour désamorcer les tensions au long de la frontière libano-israélienne à la suite des représailles militaires israéliennes contre la bande de Gaza après les événements du 7 octobre.
En réponse à la guerre menée par Israël contre Gaza, le Hezbollah a décidé de rompre l’accalmie à la frontière commune et de tirer des roquettes sur les villes et colonies israéliennes du nord d’Israël, en solidarité avec la résistance palestinienne à Gaza. Israël a répondu en bombardant le sud du Liban et en ciblant les actifs du Hezbollah dans un lopin de terre de cinq kilomètres, selon ce qu’on qualifie vaguement de «règles d’engagement».
Biden n’a pas tardé à envoyer deux porte-avions américains en Méditerranée orientale – un message sévère adressé à l’Iran et à ses mandataires pour qu’ils n’ouvrent pas de nouveau front. Le Hezbollah et l’Iran se sont montrés provocants, mais ils ont également envoyé des messages qui indiquaient qu’ils ne cherchaient pas de guerre régionale. Pourtant, le Hezbollah et Israël ont continué à échanger des coups, entraînant l’évacuation de dizaines de milliers d’Israéliens du nord d’Israël et le déplacement de dizaines de milliers de Libanais au Liban-Sud.
«La semaine dernière, il a clôturé son troisième voyage au Liban en trois mois sans accord. Israël n’a pas pu respecter les conditions du Hezbollah.»
Osama al-Sharif
Dans le but de contenir les tensions entre les deux parties, Biden a de nouveau envoyé M. Hochstein au Liban; cette fois, sa mission était de parvenir à une trêve entre le Hezbollah et Israël.
La semaine dernière, il a clôturé son troisième voyage au Liban en trois mois sans accord. Israël n’a pas pu respecter les conditions du Hezbollah. Selon diverses sources, le groupe libanais aurait insisté sur deux conditions: il n’y aura pas de trêve jusqu’à la fin de la guerre israélienne contre Gaza et le Hezbollah ne retirera pas ses forces des zones frontalières jusqu’à un point convenu pour permettre aux Israéliens déplacés de rentrer chez eux.
Au cours des derniers mois, les deux parties ont enfreint les règles d’engagement. En janvier, une frappe israélienne a tué un éminent chef militaire du Hamas dans un quartier sud de Beyrouth, centre politique du Hezbollah, tandis que le groupe militant libanais a frappé Safed en Haute Galilée un mois plus tard. Il a récidivé quelques semaines plus tard en représailles à l’un des rares raids israéliens sur Baalbeck, un autre bastion du Hezbollah, dans la vallée de la Bekaa.
Les deux parties se sont échangé des menaces. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a averti Israël que les combattants du parti étaient prêts pour la guerre et que son objectif restait de «rayer Israël de la carte». Pendant ce temps, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a menacé de transformer Beyrouth en un autre Gaza.
Les rencontres de M. Hochstein avec de hauts responsables libanais ne pourraient pas changer grand-chose sur le terrain. Le Liban possède un gouvernement intérimaire qui dispose d’une autorité limitée et de très peu d’influence sur le principal intermédiaire politique – le Hezbollah – et ses alliés au sein du gouvernement. Par ailleurs, le Hezbollah est redevable à l’Iran. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, s’est rendu à Beyrouth à plusieurs reprises depuis le 7 octobre. Il a rencontré Nasrallah, apparemment pour coordonner les démarches et transmettre les instructions de Téhéran.
L’engagement du Hezbollah auprès des Israéliens ne doit pas être sous-estimé. Même si Israël n’a pas fait part des pertes qu’il a subies dans le nord, le Hezbollah publie presque quotidiennement des photos de jeunes combattants «tombés en martyr». Leur nombre se compte par centaines, parmi lesquels des commandants de haut rang sur le terrain et, selon des sources israéliennes, le petit-fils de Nasrallah.
«Les analystes israéliens estiment que quelques jours seulement nous séparent d’une opération militaire israélienne majeure contre le Hezbollah au Liban.»
Osama al-Sharif
Depuis que M. Hochstein a quitté Beyrouth, le Hezbollah a intensifié ses attaques quotidiennes contre les positions israéliennes, tirant des centaines de roquettes et lançant de multiples attaques de drones. Cette escalade coïncide avec l’avènement du mois sacré du ramadan et l’échec des pourparlers pour un cessez-le-feu à Gaza.
Les responsables israéliens avaient fixé le début du ramadan comme date limite pour une éventuelle offensive terrestre contre le Liban. Les analystes israéliens estiment que quelques jours seulement nous séparent d’une opération militaire israélienne majeure contre le Hezbollah au Liban.
Washington et le gouvernement libanais veulent que les deux parties adhèrent à la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU. Israël prétend que le Hezbollah viole la résolution, tandis que le groupe libanais veut s’assurer que la Force de maintien de la paix de l’ONU, connue sous le nom de «Finul», n’entrave pas son aptitude à déployer ses forces au sud du fleuve Litani. Cependant, il souhaite également que la Finul reste dans la région comme zone tampon éventuelle.
M. Hochstein ne parviendra peut-être plus à convaincre les deux parties de s’entendre sur une éventuelle trêve. Pour le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et son cabinet de guerre, la situation dans le nord d’Israël est intenable. Même si la guerre à Gaza prend fin, Israël doit neutraliser les futures menaces du Hezbollah. Cela ne se fera pas par la diplomatie et c’est ce que l’envoyé spécial américain est venu faire. Pour Nasrallah et l’Iran, une fin non concluante de la confrontation actuelle est satisfaisante.
L’administration Biden ne veut pas d’embrasement à la frontière libano-israélienne, pas pendant une année électorale et certainement pas au moment où les liens entre Biden et Netanyahou sont tendus en raison du nombre élevé de victimes palestiniennes à Gaza.
L’Iran utilise ses mandataires pour faire pression sur l’Occident sans lui donner d’excuse pour affronter directement Téhéran. C’est ce qui se passe au Yémen par l’intermédiaire des Houthis, ainsi qu’au sud de la Syrie et au Liban par l’intermédiaire du Hezbollah.
Cela ne se fait cependant pas sans frais. Israël continue de prendre les actifs iraniens pour cible en Syrie et les États-Unis ont riposté à la suite de la frappe meurtrière, lancée par un groupe irakien pro-iranien et qui a touché sa base en Jordanie au mois de janvier. Mais c’est un jeu auquel Téhéran peut encore patiemment se livrer.
Il est peu probable que M. Hochstein fasse une percée ou empêche une décision soudaine d’Israël de lancer une attaque majeure contre le Liban. Biden doit faire comprendre clairement à Netanyahou que les États-Unis s’opposent à une guerre avec le pays du Cèdre. Il est peu probable que le Hezbollah mette fin à ses efforts de guerre en solidarité avec Gaza; il risquerait de perdre sa crédibilité. Netanyahou se dit prêt à attaquer Rafah pendant le ramadan, quelles que soient les «lignes rouges» fixées par Biden.
C’est le moyen idéal de favoriser un désastre régional. Les États-Unis sont les seuls à exercer une certaine influence sur les Israéliens pour mettre un terme à leur guerre à Gaza et éviter la guerre entre Israël et le Hezbollah.
Personne ne veut ne serait-ce qu’imaginer les conséquences d’une guerre israélienne contre le Liban. Les États-Unis savent que la solution aux problèmes complexes du Liban réside à Téhéran. Washington tente de prendre le relais des Français, qui n’ont pas réussi à résoudre le problème libanais. Mais M. Hochstein ne parviendra pas à surmonter cet obstacle, pas maintenant.
La Maison-Blanche devrait se concentrer, le plus tôt possible, sur la fin de la guerre contre Gaza. Elle doit dompter Netanyahou, dont la guerre a franchi toutes les lignes rouges et met désormais en danger toute la région. Cependant, cela semble peu probable et les pires scénarios possibles pourraient bientôt se dérouler.
Osama al-Sharif est journaliste et commentateur politique. X: @plato010
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com