Au cours des dernières années, on a assisté à une rupture au niveau des relations complexes et de longue date entre la France et le Maroc. Certains signes témoignent cependant de la volonté des deux pays à rétablir les liens.
En début de semaine, la première dame de France, Brigitte Macron, a reçu les princesses marocaines Lalla Hasna, Lalla Asmaa et Lalla Maryam à l’Élysée. Les sœurs du roi du Maroc, Mohammed VI, ont effectué cette visite à la demande particulière du monarque.
Cette visite de haut niveau a eu lieu peu après les récents propos de l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, selon lesquels «la France avait une vision désuète du Maroc», mettant en lumière l’importance de renforcer les liens. M. Lecourtier œuvre depuis sans relâche, reflétant les efforts de son gouvernement.
En octobre 2023, le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, s’est rendu à Marrakech pour discuter des relations économiques avec le Premier ministre, Aziz Akhannouch. Le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a réitéré l’engagement du pays à renforcer les liens avec le Maroc, lors d’un discours prononcé à l’Assemblée nationale française.
Bien que le président, Emmanuel Macron, ait choisi Rabat comme première visite à l’étranger en tant que dirigeant, la rupture croissante des liens devient de plus en plus évidente à partir de 2021, lorsque la France a imposé des restrictions de visas aux ressortissants des pays du Maghreb en raison d’une augmentation signalée de l’immigration clandestine. Les tensions se sont accrues à mesure que la France améliorait progressivement ses relations avec l’Algérie. Le Maroc et l’Algérie ont des positions opposées sur le statut des provinces du sud du Maroc.
Rabat a, à juste titre, interprété cela comme signifiant que Paris rejetait ses revendications et même les liens cordiaux qui existaient auparavant.
Ces inquiétudes diplomatiques ont été exacerbées sur le plan personnel. Le style arrogant et quelque peu présomptueux d’Emmanuel Macron s’est heurté au protocole rigide du palais marocain. En 2022, M. Macron a annoncé aux journalistes à Alger que son prochain voyage serait au Maroc, mais Rabat a officiellement annoncé qu’aucune invitation ne lui avait été adressée.
L’année dernière a été particulièrement difficile pour les relations entre la France et le Maroc. En janvier, le Parlement européen a organisé un débat et un vote sur la liberté d’expression et le journalisme dans le pays, à l’initiative du président Macron. Le même jour, le Maroc a rappelé son ambassadeur en France, Mohamed Benchaaboun, considérant ce vote comme une ingérence dans ses affaires intérieures et une tentative de dénigrer le pays. Ce poste d’ambassadeur est resté vacant jusqu’en novembre, date à laquelle Samira Sitaïl a été nommée. De même, le Maroc a retardé de près d’un an l’accréditation de l’ambassadeur Lecourtier. Sa prise de fonction a eu lieu en fin d’après-midi, après celles d’une douzaine d’autres émissaires étrangers au Maroc.
Le Maroc offre une stabilité économique et politique, ainsi qu’un environnement d’affaires lucratif pour la France
Zaid M. Belbagi
Le signe le plus notable de cette fracture entre les deux pays s’est produit en septembre, à la suite du tremblement de terre dévastateur dans l’Atlas qui a tué et blessé plus de sept mille personnes. Alors que l’aide internationale et les secours affluaient dans le pays, le Maroc n’a pas tardé à décliner les offres de la France, le président Macron ayant de nouveau enfreint le protocole en semblant s’adresser directement aux Marocains. À la suite de ce camouflet, le Maroc a simultanément accepté une aide similaire de la part d’autres pays occidentaux, dont le Royaume-Uni et l’Espagne.
Cette tension s’inscrit dans le contexte plus large du déclin de l’influence de la France en Afrique francophone, une région qui a longtemps partagé des liens profonds avec la France pendant et après le régime colonial. Depuis 2020, la région du Sahel a connu au moins six coups d’État, notamment au Mali, au Tchad, au Niger, en Guinée et au Burkina Faso. À mesure que les gouvernements ultérieurs ont été renversés dans la région, le sentiment antifrançais est rapidement devenu le thème commun. Les dirigeants des juntes militaires ont critiqué la politique étrangère de la France dans la région, cherchant à rompre les liens militaires, diplomatiques et culturels avec le pays et appelant les troupes et les diplomates français à quitter le pays.
«Aujourd’hui, le Maroc jouit d’un nouveau statut en Afrique, à l’heure où la France perd clairement de son influence dans la région», déclare Abdelmalek Alaoui, président de l’Institut marocain d’intelligence stratégique. Dans ce contexte, le rôle croissant du Maroc en Afrique, voire sur la scène internationale, est d’autant plus important pour la France au moment où elle perd des alliés au Sahel. Alors que le Maroc cherche à adopter la langue anglaise et à établir des liens indépendants avec l’Occident et les pays du Sud, la France n’a d’autre choix que de renouer les liens sous peine de perdre davantage son influence.
À mesure que le statut régional et mondial du Maroc s’accroît, la volonté nationale d’accepter l’approche paternaliste traditionnelle de la France à l’égard du pays s’amenuise. Cependant, malgré ces différences croissantes, les deux pays sont conscients de la vitalité de leurs liens économiques et culturels communs. La France demeure le premier investisseur étranger au Maroc et plus de huit cent mille personnes d’origine marocaine en France forment la deuxième plus grande communauté d’immigrés du pays.
Si les efforts renouvelés de la France pour travailler avec le Maroc sont en partie motivés par des raisons économiques, il s’agit également d’une tentative de Paris de conserver son influence sur la «Françafrique» – la sphère d’influence traditionnelle de la France dans l’Afrique postcoloniale. Le Maroc offre une stabilité économique et politique ainsi qu’un environnement d’affaires lucratif pour la France. La France va également commencer à s’appuyer sur la capacité du Maroc à alimenter l’Europe à partir d’énergies renouvelables, une réalité géopolitique qui tempérera la fascination de Paris pour Alger et l’incitera même à revoir sa position sur la question saharienne.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com