PARIS: Fer de lance de la colère paysanne, la Coordination rurale se défend de toute proximité avec le Rassemblement national, et vice versa, même si la bienveillance entre le syndicat agricole et le parti lepéniste est régulièrement éprouvée.
"Le syndicat est apolitique: point barre." A la veille de l'ouverture du Salon de l'agriculture, à Paris, la patronne de la Coordination, Véronique Le Floc'h, tentait une énième fois de démentir ses accointances supposées avec le RN.
En vain. Samedi, lors de l'inauguration de la "plus grande ferme de France", le président de la République Emmanuel Macron pointait ceux qui avaient chahuté sa visite, dont nombre d'entre eux étaient coiffés du bonnet jaune caractéristique du syndicat: "Des gens qui sont là avec un projet politique qui est de servir le Rassemblement national".
Née en 1991 d'une scission avec le syndicat majoritaire FNSEA, la Coordination rurale, pourfendeuse des accords de libre échange et habituée aux actions musclées, revendique dans ses statuts d'être "apartisan".
L'argument lui a toutefois été retourné en 2022, lorsqu'elle s'est drapée dans une neutralité au deuxième tour de la présidentielle, à rebours de l'ensemble des organisations agricoles qui avaient appelé à faire barrage à Marine Le Pen.
Sensible au lepénisme, la Coordination ? L'hypothèse a pris de la vigueur avec l'émergence d'une de ses principales figures, Serge Bousquet-Cassagne, l'homme fort du Lot-et-Garonne qui fut longtemps porte-parole du syndicat avant de diriger la chambre d'agriculture de ce département.
Celui qui se dit "de droite" admettait le mois dernier dans un entretien au Monde être "tenté par une candidature aux prochaines élections européennes" sur la liste RN, plus de dix ans après que l'un de ses fils s'était déjà présenté sous les couleurs du parti à la flamme lors d'une législative partielle.
En pleine crise agricole, Mme Le Floc'h avait encore accrédité l'idée de cette proximité, en estimant que "si tout le monde avait le même discours que (le Rassemblement national), on pourrait aller dans le bon sens". Une maladresse pour nombre de membres de l'organisation, rétifs à toute affiliation politique, a fortiori à l'heure du bras de fer avec le gouvernement.
«Neutre»
"Notre syndicat est neutre, c'est dans les statuts" et "Bardella, je ne sais pas s'il ferait mieux", s'agace ainsi dans les allées du Salon de l'agriculture une éleveuse de caprins, bonnet jaune sur la tête, quand un agriculteur du sud-ouest portant le même couvre-chef dit en avoir "ras-le-bol" qu'on lui demande s'il "roule pour l’extrême droite".
Véronique Le Floc'h a d'ailleurs dû revenir sur sa sortie: "Si ce sont nos idées qui sont reprises, je ne vais pas aller dire qu'elles sont mauvaises quel que soit le pari qui les reprend", plaide-t-elle désormais auprès de l'AFP.
Chez les stratèges lepénistes, qui avaient un temps imaginé la présence de la syndicaliste sur la liste Bardella aux Européennes, l'heure est également à la tempérance des ardeurs.
Dans sa stratégie de parler à l'ensemble de la ruralité (environ 25% de l'électorat), bien davantage qu'aux seuls agriculteurs (moins de 800 000 personnes), le Rassemblement national n'entend pas attaquer frontalement l'indéboulonnable leader syndical, la FNSEA, puissant relais d'influence dans les campagnes.
"Si vous essayez d'établir des liens entre un syndicat et un parti politique, vous aurez du mal à le faire: ce n'est pas parce que la FNSEA a appelé à voter pour Emmanuel Macron en 2017 qu'il y a des liens objectifs (entre eux)", a ainsi fait valoir lundi Jordan Bardella, tout en considérant que le "constat" du RN "est partagé par beaucoup d'agriculteurs, y compris (ceux) qui ne sont pas membres de la Coordination rurale".
Au Salon de l'agriculture dimanche et lundi, la tête de liste aux Européennes a tout de même pu compter sur nombre de bonnets jaunes pour lui manifester son soutien, parfois les mêmes qui avaient sifflé le président de la République samedi.
"Je suis très content de voir Bardella", confirme le président de la Coordination dans la Manche, Jean-Philippe Yon. Qui prévient: "On va continuer de toute manière la lutte contre la macronie".