BRUXELLES: Flambée des prix, stagnation économique et chute du niveau de vie composent un cocktail explosif à quatre mois d'élections européennes qui pourraient voir une percée de l'extrême droite capable de bouleverser l'agenda politique à Bruxelles.
Le recul de l'inflation permet certes d'espérer une amélioration de la conjoncture après plus d'un an de croissance nulle. Mais l'embellie économique devrait intervenir après l'été... donc après le scrutin européen du 6 au 9 juin.
Or, comme le rappelle Thierry Chopin, politologue de l'Institut Jacques Delors, "il y a une corrélation entre la montée des forces populistes et les crises économiques et financières". "La droite radicale exploite beaucoup aujourd'hui le sentiment d'appauvrissement" et "un pessimisme très fort" dans la population, explique-t-il à l'AFP.
La guerre en Ukraine a touché de plein fouet l'économie de l'UE au moment où elle commençait à se remettre de la crise du Covid. La forte hausse des tarifs du gaz et de l'électricité a non seulement frappé les ménages mais aussi affaibli des pans entiers de l'industrie, comme la chimie et la métallurgie.
Près de trois Européens sur quatre estiment que leur niveau de vie baissera cette année, et près d'un sur deux assure qu'il a déjà diminué, selon un sondage Eurobaromètre publié en décembre. Concrètement, 37% des personnes interrogées disent éprouver des difficultés à régler leurs factures, selon cette étude.
Les fermetures d'usines se multiplient dans l'automobile, notamment en Allemagne. Entre novembre et janvier, l'équipementier Bosch a annoncé la suppression de 2.700 emplois, ZF la fermeture d'un site employant 700 personnes et Continental la suppression de milliers d'emplois administratifs.
"L'industrie allemande est très affectée par les prix élevés de l'énergie et souffre de la transition électrique dans l'automobile, pour l'instant on ne voit pas de retournement des carnets de commandes", souligne Charlotte de Montpellier, économiste pour la banque ING.
Allemagne en récession
Les difficultés de la première économie européenne, en récession l'an dernier, affectent l'ensemble du continent.
La consommation reste faible à cause de la flambée des prix. Les taux d'intérêt élevés imposés par la Banque centrale européenne pour calmer l'inflation réduisent l'investissement et font trébucher l'immobilier tandis que le commerce international, plombé par une Chine au ralenti, ne permet pas de compenser la faible demande domestique.
"L'économie de la zone euro stagnera encore au premier semestre, car les effets du resserrement monétaire continuent de se faire sentir et la politique budgétaire devient plus restrictive", estime Jack Allen-Reynolds de Capital Economics.
Le rétablissement des comptes publics, imposé par les règles européennes, contraint en effet les Etats. La France a rétabli en février une taxe sur l'électricité qui a fait bondir les tarifs de près de 10%.
"L'austérité risque de pousser dans les bras de l'extrême droite une frange de plus en plus importante de nos concitoyens qui se considèrent comme délaissés", s'inquiète l'eurodéputé écologiste Philippe Lamberts.
Pression de l'extrême droite
A quatre mois des élections européennes, plusieurs sondages font état d'une forte poussée du groupe Identité et Démocratie (ID), qui réunit le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, le Vlaams Belang belge, l'AFD allemand ou encore le FPÖ autrichien.
ID pourrait devenir le troisième groupe dans l'hémicycle de Strasbourg, en doublant les libéraux de Renew, par ailleurs également au coude-à-coude avec les Conservateurs et réformistes européens (CRE), l'autre groupe de droite radicale en progression, autour de Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, du parti polonais Droit et Justice (PiS) et de l'espagnol Vox.
Certes, "la grande coalition" qui réunit les conservateurs du PPE, les sociaux-démocrates (S&D) et Renew "devrait rester majoritaire au Parlement européen mais elle sera sans doute affaiblie", prévoit Thierry Chopin. Elle pourrait passer de 60% des sièges actuellement à seulement 54% dans la future assemblée, selon une étude du centre de réflexion ECFR (Conseil européen pour les relations extérieures).
La droite radicale exerce déjà une pression sur les institutions européennes, en soutenant par exemple le mouvement des agriculteurs. Si elle sort renforcée des prochaines élections, elle risque de durcir la politique migratoire et de rendre plus difficile l'adoption de nombreux textes, en particulier les législations environnementales.
Elle tentera aussi de stopper le mouvement des dernières années vers plus d'intégration dans l'UE en défendant une Europe plus intergouvernementale.