PARIS: L'ancien président George W. Bush pensait avoir entrevu une partie de "son âme". L'ex-Premier ministre britannique Tony Blair estimait qu'il méritait une place à la "table d'honneur" et Emmanuel Macron l'avait convié à de longues heures de discussion dans la résidence estivale des présidents français.
Depuis plus de 24 ans qu'il est au pouvoir en Russie, les dirigeants occidentaux ont souvent pensé comprendre la stratégie de Vladimir Poutine, et défendu la place de Moscou comme partenaire international.
Cette approche a toutefois volé en éclats le 24 février 2022 avec l'invasion de l'Ukraine, reléguant dans un passé révolu des images comme celle du dirigeant russe tout sourire en août 2019, des fleurs à la main pour Brigitte Macron, dans le Fort de Brégançon, où se reposent l'été les chefs de l’État français.
Dans les premiers mois du conflit, l'armée russe a certes échoué à prendre les principales villes ukrainienne, dans ce qui devait être une offensive éclair cet hiver-là.
Mais l'homme fort du Kremlin affiche aujourd'hui une satisfaction croissante, après que ses troupes ont neutralisé cet été une contre-offensive ukrainienne très attendue et que de larges pans de territoires dans le sud et l'est de l'Ukraine restent aux mains de la Russie, tout comme la péninsule de Crimée annexée en 2014.
"Le président Poutine est persuadé qu'il peut tenir plus longtemps que l'Occident. Il nous incombe donc de faire preuve de détermination pour lui prouver qu'il a tort", à prévenu lors d'une récente réunion un haut-responsable occidental, sous couvert de l'anonymat.
Soutien vital pour l'Ukraine
Le président russe s'est montré de plus en plus optimiste ces dernières semaines, martelant par exemple en décembre que l'Ukraine "n'a pas d'avenir" ou, plus récemment, dans une interview diffusée jeudi avec l'animateur américain controversé Tucker Carlson, qu'une défaite stratégique de la Russie était "impossible par définition".
Les dirigeants occidentaux ont réagi en affirmant qu'une défaite russe en Ukraine était la seule option possible ou, comme M. Macron, que la priorité de l'Europe devait être de "ne pas laisser la Russie gagner".
Beaucoup d'analystes estiment pourtant que seul un soutien accru de l'Occident à une Ukraine bientôt à court de munitions peut changer la donne. Mais ce soutien n'est pas garanti, au moment où les élus américains se déchirent sur un nouveau programme d'aide, où semble possible une victoire de Donald Trump aux élections américaines cette année, et où la cause ukrainienne divise davantage l'Europe.
"Les deux parties font la course pour reconstruire leur capacité offensive. Si les fonds occidentaux ne sont pas débloqués, si la Russie prend l'avantage d'une manière ou d'une autre, elle aura la possibilité de faire de nouveaux progrès", explique à l'AFP Andrea Kendall Taylor, chercheuse au Center for New american security, basé à Washington.
"La dynamique a changé", estime cette analyste, soulignant que "du point de vue de Poutine, 2024 est une année cruciale".
«Fenêtre d'opportunité» russe
L'Ukraine s'inquiète tout particulièrement d'une éventuelle deuxième présidence de Donald Trump, qui avait déclaré en 2023 vouloir "régler cette guerre en un jour, 24 heures" s'il était réélu. Les partis d'extrême droite, plus souples à l'égard de la Russie, sont par ailleurs en plein essor en France et en Allemagne.
L'année 2024 représente par conséquent pour Vladimir Poutine une "fenêtre d'opportunité" pour tirer parti des faiblesses de l'Occident, analyse Tatiana Stanovaya, fondatrice du cabinet R. Politik consultancy.
Le dirigeant russe mise notamment sur "une limitation temporaire du soutien militaire occidental, la production de munitions ne devant s'accélérer qu'au début de 2025", écrit-elle sur sa chaîne Telegram.
"Le processus électoral aux États-Unis pourrait conduire à une stratégie américaine moins déterminée à soutenir Kiev, et il est peu probable que l'Union européenne, en proie à des désaccords internes, compense ce soutien à elle seule", ajoute-t-elle.
Pour les Occidentaux, un motif d'optimisme réside toutefois dans les faiblesses intérieures de la Russie, avec une économie à la remorque de la guerre, une démographie déclinante, de premiers signes de lassitude vis-à-vis du conflit dans l'opinion publique russe et l'ampleur des pertes humaines que des sources occidentales estiment à 350 000 tués ou blessés côté russe.
"Le maintien de la stabilité intérieure absorbe une grande partie de la bande passante de Poutine", pointe Dara Massicot, chercheuse pour la Fondation Carnegie pour la paix internationale, qui voit un "excès de confiance" dans le ton actuel des responsables russes.
Mais sans un soutien occidental significatif, "je ne sais pas dans quelle position de négociation les Ukrainiens se trouveraient. Celle-ci serait terrible", analyse-t-elle.