Le long chemin de l'Europe pour devenir l'arsenal de l'Ukraine

Une femme réagit devant une maison en feu après avoir été bombardée dans la ville d'Irpin, à l'extérieur de Kiev, le 4 mars 2022. (AFP)
Une femme réagit devant une maison en feu après avoir été bombardée dans la ville d'Irpin, à l'extérieur de Kiev, le 4 mars 2022. (AFP)
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Publié le Lundi 12 février 2024

Le long chemin de l'Europe pour devenir l'arsenal de l'Ukraine

  • Pour un expert, «la base industrielle de défense européenne n'est pas capable de répondre aux besoins de temps de guerre»
  • Si les Européens ont augmenté leurs budgets de défense, seuls 9 pays ont dépensé plus de 2% leur PIB dans leur défense l'an passé

PARIS: Les moyens ne sont pas à la hauteur de la volonté politique affichée: malgré les milliards d'euros d'aide militaire fournie par les pays de l'UE, l'industrie européenne de défense est encore loin de devenir l'arsenal de l'Ukraine, s'accordent à dire des experts.

Washington est le principal soutien militaire de Kiev avec 44,5 milliards de dollars d'armements fournis depuis l'invasion russe le 24 février 2022. Mais l'incapacité du Congrès à débloquer une nouvelle aide et la possibilité de l'élection en novembre de Donald Trump, dubitatif voire hostile à la poursuite du soutien américain, font peser une responsabilité accrue sur les Européens.

Les 27 Etats membres ont déjà apporté 28 milliards d'euros d'aide militaire à l'Ukraine depuis l'invasion et ils apporteront 20 milliards en 2024, selon le diplomate en chef de l'UE Josep Borell. Mais il faut "faire plus", a exhorté le chancelier allemand Olaf Scholz.

Or, si les Européens ont augmenté leurs budgets de défense et certains, comme le président français Emmanuel Macron, ont proclamé le passage à une "économie de guerre", seuls 9 pays ont dépensé plus de 2% leur PIB dans leur défense l'an passé.

Mais pas l'Allemagne ni la France ou l'Italie, les trois pays les plus riches de l'Union et dotés d'une industrie de défense puissante.

"Les pays européens n'ont pas augmenté leur budget de manière phénoménale depuis l'invasion de l'Ukraine et ils n'ont pas beaucoup passé de commandes non plus" à leurs industriels, observe l'économiste de la défense Renaud Bellais.

Missiles anti-aériens ou antichars, obus, canons, les usines tournent pourtant à plein régime pour certains équipements destinés à l'Ukraine ou pour reconstituer des stocks nationaux éthiques.

«Autonomie stratégique»

Si elle est en retard sur ses plans de production d'obus de 155 mm, l'UE prévoit ainsi d'en fabriquer 1,4 million en 2025, soit davantage que les 1,2 million prévus à cet horizon par les Etats-Unis.

"Les capacités de production en Europe ne sont pas si négligeables que cela, mais elles sont assez morcelées -15 producteurs d'obus répartis dans 11 pays par exemple - et pas du tout coordonnées", affirme M. Bellais à l'AFP.

Répondre aux besoins des Ukrainiens "va prendre du temps parce qu'on ne s'est pas mis en ordre de bataille pour le faire" et la fabrication d'un équipement peut en outre prendre "plusieurs mois, voire plusieurs années", selon lui.

Un constat partagé par Christian Mölling, du centre de réflexion allemand DGAP, pour qui "la base industrielle de défense européenne n'est pas capable de répondre aux besoins de temps de guerre". Taillée au plus juste dans le sillage de la fin de la Guerre froide, elle a selon lui "perdu la capacité à monter en cadence sa production".

Certains Etats, qui veulent rapidement renforcer leurs moyens militaires, ont aussi tendance à privilégier, au dépens de l'industrie européenne, les achats sur étagère (c'est-à-dire de matériels existants), essentiellement auprès de Washington, vu comme le garant de leur sécurité, note-t-il.

Selon l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), basé à Paris, sur 100 milliards d'euros d'achats d'armements effectués par les 27 de 2022 à mi-2023, 63% ont été effectués auprès des Etats-Unis et 13% de Corée du Sud.

«Egoïsmes nationaux»

Sans garanties sur leur activité future, les industriels européens restent réticents à investir dans des capacités de production supplémentaires, malgré les efforts de Bruxelles pour encourager les commandes groupées entre Etats.

"La question reste ouverte de savoir si l'augmentation des dépenses de défense dans l'UE se traduira par un renforcement de son industrie (...) ou, au contraire, par une aggravation de la dépendance" vis-à-vis de Washington, souligne Aleksandra Koziol, chercheuse à l'Institut polonais des affaires étrangères (PISM).

La nécessité d'une autonomie stratégique européenne n'est pas partagée par tous, notamment par les Etats d'Europe centrale et orientale qui n'y voient pas d'intérêt économique. Leur industrie de défense "n'est pas en position de contribuer significativement aux projets européens", estime M. Mölling.

Chaque Etat pousse ses champions nationaux quand il en dispose, "malheureusement on reste dans une logique d'égoïsmes nationaux", déplore Renaud Bellais, qui note également une "tension entre le discours sur la défense et les contraintes budgétaires".

"On a peur, mais pas assez peur pour changer de logique", résume-t-il.

Pourtant "si les Européens n'intègrent pas complètement leur effort de défense et ne fonctionnent pas comme une entité unique, ils ne seront jamais en mesure d'égaler les capacités américaines", prévient Mark Cancian, du centre de réflexion américain CSIS.

Alors, imaginer que les Européens se substituent aux Américains en Ukraine? "Le processus a déjà commencé", confie un diplomate ukrainien, "ça va prendre du temps, il faut qu'on tienne".


Mobilisation en soutien à Gaza: affrontements et intervention de la police sur le campus de la UCLA à Los Angeles

Des agents de la CHP marchent près d'un campement de partisans des Palestiniens de Gaza, sur le campus de l'UCLA, à Los Angeles, Californie, États-Unis, le 1er mai 2024. (Reuters)
Des agents de la CHP marchent près d'un campement de partisans des Palestiniens de Gaza, sur le campus de l'UCLA, à Los Angeles, Californie, États-Unis, le 1er mai 2024. (Reuters)
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  • Manifestants et contre-manifestants se sont opposés à coups de bâton et se sont lancé des projectiles
  • Quelques heures plus tôt, la police de New York avait délogé des manifestants pro-palestiniens barricadés dans un bâtiment de l'université Columbia, campus américain d'où est partie la mobilisation estudiantine pro-palestinienne

LOS ANGELES : Des affrontements ont éclaté dans la nuit de mardi à mercredi en marge d'un rassemblement étudiant dénonçant la guerre menée par Israël à Gaza à l'Université UCLA, à Los Angeles, dernier épisode d'un mouvement étudiant qui secoue les Etats-Unis.

Les heurts ont éclaté quand un important groupe de contre-manifestants, pour beaucoup masqués, a attaqué un campement pro-palestinien installé sur une pelouse de l'UCLA, selon un photographe de l'AFP sur place.

Les assaillants ont tenté d'enfoncer une barricade improvisée autour du campement, composée de barrières métalliques et de panneaux de contreplaqué. Manifestants et contre-manifestants se sont ensuite opposés à coups de bâton et se sont lancé des projectiles.

«La violence en cours à l'UCLA est absolument abjecte et inexcusable», a fustigé la maire de Los Angeles, Karen Bass, ajoutant que la police de la ville était déployée sur le campus.

Cette dernière a indiqué avoir été appelée en renfort par la direction après «de nombreux actes de violence commis dans le campement à l'intérieur du campus».

Tôt mercredi, les policiers étaient toujours présents en grand nombre sur le site universitaire.

Quelques heures plus tôt, la police de New York avait délogé des manifestants pro-palestiniens barricadés dans un bâtiment de l'université Columbia, intervenant manu militari sur le campus américain d'où est partie la mobilisation estudiantine pro-palestinienne.

Le campement de tentes installé sur la pelouse du site a été démantelé, a pu constater une journaliste de l'AFP dans la nuit de mardi à mercredi.

Environ 300 personnes ont été interpellées, a indiqué la police new-yorkaise.

Dans le sud-ouest du pays, la police de l'Université de l'Arizona a annoncé mercredi matin avoir utilisé du gaz lacrymogène pour disperser «un rassemblement illégal».

En Caroline du Nord, sur la côte est, la police est intervenue mardi pour évacuer un campement sur un campus de Chapel Hill, arrêtant plusieurs manifestants dans un face-à-face tendu.

- Accord -

Depuis deux semaines, les mobilisations de soutien à Gaza se multiplient à travers les campus américains, de la Californie aux grandes universités du nord-est, en passant par le sud et le centre du pays -- rappelant les manifestations contre la guerre du Vietnam.

Les étudiants appellent les établissements à couper les ponts avec des mécènes ou entreprises liés à Israël, et dénoncent le soutien de Washington à son allié israélien.

Se distinguant ainsi des autres institutions, l'université Brown dans l'Etat de Rhode Island a annoncé mardi avoir trouvé un accord avec les manifestants, prévoyant le démantèlement de leur campement en échange d'un vote de l'université en octobre sur d'éventuels «désinvestissements dans des +sociétés qui rendent possible et profitent du génocide à Gaza+».

A Columbia, les négociations entre direction et groupes étudiants n'avaient pas abouti. «Les événements de la nuit dernière sur le campus ne nous ont pas donné le choix», avait écrit la présidente de l'université, Minouche Shafik, dans une lettre rendue publique demandant à la police de New York d'intervenir sur le campus.

A Los Angeles, le président de l'UCLA Gene Block avait mis en garde avant les heurts de la nuit contre la présence de personnes extérieures à l'université.

Dimanche, des militants pro-palestiniens et pro-israéliens, soutenus par de nombreux manifestants extérieurs au campus, en étaient venus aux mains, avec des bousculades et des insultes.

«Beaucoup de manifestants et de contre-manifestants pratiquent leur militantisme de manière pacifique. Mais d'autres emploient des méthodes franchement choquantes et honteuses», avait écrit M. Block dans un message posté mardi sur le site de l'université.

«Ces incidents ont provoqué, tout particulièrement chez nos étudiants juifs, une profonde anxiété et de la peur», a-t-il ajouté.

- A 6 mois de la présidentielle -

Depuis le début du mouvement, des centaines de personnes - étudiants, enseignants et militants - ont été interpellées, parfois arrêtées et poursuivies en justice dans plusieurs universités du pays.

Les images de policiers anti-émeutes intervenant sur les campus, à la demande des universités, ont fait le tour du monde et on fait vivement réagir le monde politique, à six mois de la présidentielle dans un pays polarisé.

Joe Biden «doit faire quelque chose» contre ces «agitateurs payés», a déclaré mardi soir sur Fox News le candidat républicain Donald Trump. «Il nous faut mettre fin à l'antisémitisme qui gangrène notre pays aujourd'hui», a-t-il ajouté.

«Occuper par la force un bâtiment universitaire est la mauvaise approche» et ne représente «pas un exemple de manifestation pacifique», avait tonné avant l'intervention de la police John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche.


Royaume-Uni: Premiers migrants arrêtés avant leur expulsion vers le Rwanda, d'autres campent à Dublin

Des demandeurs d'asile dormant dans des tentes à Dublin affirment que la vie sous les bâches est meilleure et plus sûre que le risque d'être envoyé par le Royaume-Uni au Rwanda  (Photo, AFP).
Des demandeurs d'asile dormant dans des tentes à Dublin affirment que la vie sous les bâches est meilleure et plus sûre que le risque d'être envoyé par le Royaume-Uni au Rwanda (Photo, AFP).
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  • L'adoption d'une loi permettant l'expulsion des migrants vers le Rwanda a déclenché leur départ du Royaume-Uni
  • Une centaine de tentes ont poussé devant l'Office, depuis que le gouvernement irlandais a cessé il y a quelques mois de fournir un hébergement aux demandeurs d'asile

LONDRES: Les premiers migrants susceptibles d'être expulsés par le Royaume-Uni vers le Rwanda ont été arrêtés et placés en détention, a annoncé mercredi le ministère britannique de l'Intérieur, sans préciser le nombre de personnes concernées.

"Les premiers migrants en situation irrégulière devant être expulsés vers le Rwanda ont été placés en détention à la suite d'une série d'opérations menées cette semaine à l'échelle nationale", écrit le Home Office dans un communiqué.

Davantage d'arrestations "devraient être menées dans les semaines à venir", a-t-il ajouté.

"Cette action est un élément clé du plan visant à assurer des vols vers le Rwanda dans les neuf à onze semaines à venir", a poursuivi le ministère.

Le gouvernement conservateur de Rishi Sunak a promis de mettre un terme aux traversées de la Manche par les migrants clandestins.

Le Parlement a adopté la semaine dernière une loi très controversée permettant d'expulser vers le Rwanda des migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni.

Leur demande d'asile sera examinée dans ce pays d'Afrique de l'Est et ils ne pourront pas revenir au Royaume-Uni, quelle que soit l'issue de leur démarche.

Le gouvernement compte commencer les expulsions au début de l'été et espère qu'elles dissuaderont d'autres migrants de venir au Royaume-Uni.

Cette politique "montrera clairement que si vous venez ici illégalement, vous ne pouvez pas rester", redit le ministère de l'Intérieur dans son communiqué.

"Nos équipes (...) travaillent à un rythme soutenu pour arrêter rapidement les personnes qui n'ont pas le droit d'être ici, afin que nous puissions faire décoller les vols", a déclaré le ministre de l'Intérieur James Cleverly, cité dans le communiqué.


L'ONG HRW critique l'application mobile pour demander l'asile à la frontière mexicano-américaine

Des migrants de différentes nationalités demandant l'asile aux États-Unis voyagent à bord des wagons de marchandises du train mexicain connu sous le nom de « La Bête » alors qu'ils arrivent à la ville frontalière de Ciudad Juarez, dans l'État de Chihuahua, au Mexique, le 24 avril 2024 (Photo, AFP).
Des migrants de différentes nationalités demandant l'asile aux États-Unis voyagent à bord des wagons de marchandises du train mexicain connu sous le nom de « La Bête » alors qu'ils arrivent à la ville frontalière de Ciudad Juarez, dans l'État de Chihuahua, au Mexique, le 24 avril 2024 (Photo, AFP).
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  • Depuis mai 2023, avant de se présenter à la frontière, les demandeurs d'asile, sauf les mineurs isolés, sont censés obtenir un rendez-vous sur l'application téléphonique de la police américaine des frontières
  • Beaucoup des personnes interrogées ont fait état de nombreux problèmes pour utiliser l'application

WASHINGTON: L'obligation pour les demandeurs d'asile aux Etats-Unis d'obtenir un rendez-vous sur une application mobile avant de se présenter à la frontière avec le Mexique livre les migrants à la violence des cartels, déplore mercredi Human Rights Watch (HRW).

Depuis mai 2023, avant de se présenter à la frontière, les demandeurs d'asile, sauf les mineurs isolés, sont censés obtenir un rendez-vous sur l'application téléphonique de la police américaine des frontières ou s'être vu refuser l'asile dans un des pays traversés. Autrement, leur demande est présumée illégitime et ils risquent une procédure d'expulsion accélérée, leur interdisant pendant cinq ans l'entrée aux Etats-Unis.

Cette réglementation fait suite à la levée par l'administration du président démocrate Joe Biden d'une mesure de son prédécesseur républicain Donald Trump qui verrouillait depuis trois ans l'accès au territoire américain.

"Mais un résultat pratique reste le même pour les demandeurs d'asile", affirme HRW dans un rapport publié mercredi : pendant de longues semaines, voire des mois, "ils sont forcés d'attendre dans le nord du Mexique, ainsi que dans beaucoup d'autres villes ailleurs au Mexique par lesquelles transitent les migrants".

Systématiquement visés 

Ils y sont "systématiquement visés par les cartels qui, parfois avec l'aide de responsables des autorités mexicaines, les enlèvent, les rackettent, les agressent sexuellement et les dévalisent", énumère l'ONG.

L'exigence de prise de rendez-vous sur l'application crée un "filtrage numérique", qui livre "aux cartels une population vulnérable", selon le rapport, établi à partir d'interviews avec 128 demandeurs d'asile, des employés de centres d'accueil, des responsables mexicains et des employés d'organisations humanitaires.

Bien que l'inscription pour un rendez-vous sur l'application ne soit en principe pas obligatoire, dans les faits, les demandeurs qui se présentent à la frontière sans l'avoir préalablement obtenue sont éconduits par les autorités frontalières mexicaines et américaines, indique HRW.

Beaucoup des personnes interrogées ont fait état de nombreux problèmes pour utiliser l'application, notamment matérielles, techniques, ou linguistiques. L'application n'est ainsi disponible qu'en anglais, en espagnol et en créole haïtien.

Ces pratiques "violent le principe juridique fondamental de non-refoulement" des demandeurs d'asile vers des pays où leur vie ou leur liberté serait en danger, souligne l'ONG.

Elle exhorte donc l'administration Biden à donner instruction à la police des frontières de traiter toutes les demandes d'asile, indépendamment de la façon ou du lieu de dépôt, ainsi que de l'obtention d'un rendez-vous via l'application "CBP One" de la police des frontières.

Human Rights Watch lui suggère en outre d'en améliorer l'accessibilité et la facilité d'utilisation, y compris par l'ajout d'autres langues, comme l'arabe, le français, le russe, le chinois, le portugais, et de langages amérindiens.