Israël a accusé le mois dernier douze membres de l’Office de secours et de travaux des nations Unies (Unrwa) d’être impliqués dans l’attaque du Hamas du 7-Octobre. À la suite de ces allégations non prouvées, les principaux donateurs, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon et l’Australie, ont retiré leur financement à l’organisation. Cette dernière, depuis 1949, s’occupait des réfugiés qui avaient été chassés par la force de leurs foyers lors de la fondation d’Israël.
Comme d’habitude, la version israélienne a changé à mesure que de nouvelles vérités étaient dévoilées. Israël a indiqué plus tard que le nombre de personnes suspectées n'était pas de douze, mais de quatre. Sky News a par ailleurs signalé le fait que les affirmations et les documents présentés par les Israéliens n’impliquaient pas directement l’Unrwa. Même le département d’État américain a déclaré qu’il ne pouvait pas vérifier les affirmations israéliennes, même s’il les trouvait «hautement crédibles». C'est un peu déconcertant. Si elles étaient «hautement crédibles», pourquoi le département d’État ne pourrait-il pas les vérifier?
Il est important de se poser la question suivante: pourquoi maintenant? Pourquoi Israël est-il si intransigeant à propos de la fermeture de l’Unrwa? Quelle coïncidence! Les efforts israéliens pour supprimer le financement de cet organisme surviennent au moment même où le concept d’État palestinien est mis en avant dans le débat public. Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Cameron, a annoncé la semaine dernière que son pays envisageait de reconnaître un État palestinien. Les États-Unis ont lancé un message similaire. Ils seraient en train d’«examiner les options pour une éventuelle reconnaissance d’un État palestinien». Qu’est-ce que cela signifie? Que les Israéliens ne seront plus aux commandes du processus et qu’ils n’auront plus un droit de veto sur la création d’un État palestinien.
Alors qu’ils voient qu’un État palestinien pourrait leur être imposé, ils doivent régler une question majeure: le droit au retour. L'Unrwa est censé s'occuper des réfugiés palestiniens jusqu'à ce qu'ils ne soient plus des réfugiés et qu'ils puissent rentrer chez eux. Dans un discours prononcé en juillet 2023, le représentant israélien à l’ONU, Guilad Erdan, a clairement dit: «Il n’y a pas de droit au retour.» Du point de vue d’Israël, a-t-il ajouté, le droit au retour de millions de descendants de réfugiés constitue une exigence qui vise à anéantir le droit du peuple juif à l’autodétermination. Erdan a accusé l'Unrwa et l'Autorité palestinienne de pérenniser le statut des réfugiés palestiniens.
L’argument avancé par Israël est qu’environ 800 000 Juifs ont également été expulsés des pays arabes en 1948. Il y a donc eu un échange de population, et le chapitre doit être clos. Toutefois, cette équation ne résiste pas à l’examen. Les Juifs arabes ont quitté leur pays pour devenir des citoyens du nouvel État d’Israël, tandis que les Palestiniens sont restés réfugiés à perpétuité, car ils n’ont pas d’État. Les Israéliens craignent d’être submergés par des vagues de retour de Palestiniens.
Un État palestinien donnerait une représentation politique à tous les réfugiés actuellement apatrides et qui disposent de documents de voyage que seuls quelques pays acceptent. Encore une fois, la question essentielle du point de vue israélien est la suivante: et s’ils décidaient tous de retourner d’où ils viennent? La résolution 3236 de l’Assemblée générale des nations Unies, qui date de 1974, affirme «le droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs maisons et leurs propriétés d’où ils ont été déplacés et déracinés», et appelle «à leur retour».
«La création de l’État d’Israël a entraîné un très grand nombre de dépossessions qui doivent être reconnues et réglées.»
Dr Dania Koleilat Khatib
Les Israéliens tentent toujours de présenter comme licites les expulsions massives qui ont eu lieu en 1948. Elles ne l'étaient pas. Bien entendu, l’ONU a divisé la Palestine et en a donné 55% aux Juifs pour qu’ils puissent établir Israël. Mais le partage ne leur a pas donné le droit d’expulser les habitants de ce territoire. À titre d’exemple, mon arrière-grand-père était un sujet de l’Empire ottoman. Il avait une maison à Beyrouth. Lors de la création de l’État du Grand Liban, en 1920, il est devenu citoyen libanais vivant sous la juridiction de l’État libanais. Cela ne veut pas dire que les habitants du Mont-Liban avaient le droit de venir le chasser de chez lui et de prendre sa place. Absolument pas.
La création de l’État d’Israël a entraîné un très grand nombre de dépossessions qui doivent être reconnues et réglées. Les gens ont été chassés de leur propriété. Cette dépossession a créé un sentiment d’injustice qui entretient une volonté de résistance. Il est dans l’intérêt d’Israël, ainsi que de la communauté internationale, de résoudre ce problème de manière équitable.
Si le retour effectif des réfugiés est problématique, et susceptible d’être considéré comme une menace pour les Israéliens, les Palestiniens devraient alors être indemnisés. Mais les Israéliens bondiront alors en disant: qu’en est-il des Juifs qui ont quitté leur pays en 1948? Bien entendu, la justice ne peut être sélective ni discriminatoire. La justice doit être pour tous. Ainsi, un tribunal sous l’égide de l’ONU devrait être mis en place pour indemniser les personnes qui peuvent présenter des preuves de leurs biens, ainsi que la preuve que ces derniers leur ont été confisqués par la force. Cela devrait inclure les réfugiés palestiniens, de même que les Juifs qui ont quitté des pays arabes en 1948 ou en ont été expulsés. Cela pourrait impliquer des milliards de dollars de compensations et prendre des années. Toutefois, c’est un petit prix à payer pour une paix durable.
La Ligue arabe devrait également reconnaître le droit au retour des Juifs qui sont partis en 1948. Avant cette année-là, un tiers des habitants de Bagdad étaient des Juifs. Selon Avi Shlaïm, historien anglo-israélien d’origine irakienne, ils «représentaient une composante très positive» de la société irakienne. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. «Ce qui a changé, c’est la création de l’État d’Israël», a indiqué Shlaïm. Bien entendu, si la Ligue arabe annonçait le droit au retour, on ne s’attendrait pas à ce que les Juifs israéliens d’origine arabe retournent à Bagdad dans les conditions que connaît l’Irak actuellement. Cependant, une telle résolution favoriserait un sentiment d’intégration parmi les gens, au lieu du sentiment d’hostilité qu’Israël attise, en particulier avec le gouvernement actuel de Netanyahou. Ils tentent de convaincre les Juifs israéliens d’origine arabe, ainsi que la communauté internationale, que les Juifs ont été persécutés par les pays arabes. C’est en quelque sorte leur justification pour maltraiter les Palestiniens.
Le tribunal sur l’indemnisation des réfugiés, tout en accordant aux Juifs arabes le droit de retourner sur leurs terres ancestrales dans les pays arabes, déconstruirait la version inexacte de victimisation défendue par la droite israélienne. Cette dernière s’est nourrie de cette hostilité et de cette peur, montrant à son propre peuple que les Arabes et les Palestiniens étaient les oppresseurs du peuple juif. Pour parvenir à la paix et à un règlement équitable, cette version doit être déconstruite et le problème de la dépossession être réglé.
La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, en particulier sur les groupes de pression. Elle est co-fondatrice du Research Center for Cooperation and Peace Building (Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix), une ONG libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com