JÉRUSALEM: L'attaque surprise du Hamas le 7 octobre, les atrocités qui lui sont associées et l'inquiétude liée au sort des otages israéliens ont provoqué un traumatisme collectif au sein de la population israélienne et une crise inédite de la santé mentale.
Selon une étude du journal médical britannique The Lancet publiée le 5 janvier, tous les habitants d'Israël "ont été, d'une manière ou d'une autre, exposés à cette attaque dont l'ampleur et l'impact traumatique ont été sans précédent".
L'étude évoque "un traumatisme national massif" au regard du nombre de symptômes post-traumatiques, de dépressions et d'anxiété, qui suggère "un impact significatif" sur la santé mentale des Israéliens.
Depuis le jour où les commandos du groupe islamiste palestinien ont tué à l'aveugle dans les rues et les maisons du sud du pays, les appels sur la ligne d'urgence Eran ont quasiment doublé, selon Shiri Daniels, cadre dans cette plate-forme téléphonique et en ligne de premiers secours émotionnels.
L'attaque, a entraîné la mort de plus de 1.160 personnes côté israélien, en grande majorité des civils, selon un décompte de l'AFP sur la base de chiffres officiels israéliens.
En réponse, Israël a lancé une offensive militaire à Gaza qui a fait plus de 27.000 morts, en grande majorité des civils, selon le ministère de la Santé du mouvement palestinien. Le pays est aussi hanté par le sort des 132 personnes encore retenues en otage à Gaza.
Le cataclysme est sans précédent.
Il y a les survivants, exposés à une violence sans nom. Il y a aussi des "cercles de vulnérabilité très larges", explique Mme Daniels, évoquant secouristes, policiers mais aussi familles de victimes ou d'otages. Et au delà: "tout le monde en Israël s'identifie avec les victimes".
«Enorme lacune»
D'où, décrit-elle, ces enfants collés à leurs parents la nuit tombée et ces adultes anxieux, incapables de se concentrer, rongés par la culpabilité de n'avoir pu sauver leur proches.
Selon le directeur général du ministère de la Santé, Moshe Bar Siman-Tov, sur plus de 9,7 millions d'habitants, 100.000 ont été exposés à des incidents potentiellement traumatisants depuis le 7 octobre. Environ 200.000 ont été déplacés.
Pour le ministre de la Santé Ouriel Bosso, l'Etat d'Israël, né en 1948, fait tout simplement face à "la plus grande crise de santé mentale de son histoire". D'autant que le secteur souffrait déjà auparavant "d'une énorme lacune.
En 2022, 30% des adolescents israéliens signalaient des symptômes psychosomatiques, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), insistant sur les effets de la pandémie de Covid-19.
Aujourd'hui, l'évaluation des besoins psychiatriques est prématurée: ceux-ci n'apparaissent en effet qu'après l'exposition à l'évènement déclencheur et ne sont considérés comme tels que s'ils durent plus d'un mois après, explique la psychologue Milca Adrey, de OneFamily, association de soutien aux victimes d'attentats en Israël.
Or, l'exposition continue. Car chaque famille israélienne ou presque compte un soldat dans ses rangs, professionnel ou réserviste, dont bon nombre sont engagés dans les opérations à Gaza. Ils sont 224 à y être tombés au combat.
Sentiment d'abandon
"Le Hamas utilise la terreur comme une arme de guerre" pour atteindre le collectif à travers l'individuel et "sidérer une population en réactivant les traumatismes passés", tels que ceux liés "aux déplacements successifs, aux guerres et à la Shoah", souligne Milca Adrey.
Suzy Sprecher, virologue à la retraite, explique pour sa part que les enfants retenus à Gaza, possiblement dans des dédales lugubres, ont "remis en lumière" le caractère inaudible des récits des survivants de l'Holocauste.
"Un jour, j'étais seule chez moi, je me suis effondrée", raconte à l'AFP cette octogénaire. Tout d'un coup, "le silence a ressurgi" pour cette enfant cachée pendant la Seconde Guerre mondiale. Et ce "sentiment d'abandon".
"Ne pas avoir les bras de sa mère, dans ma chair, je sais ce que c'est", témoigne-t-elle. "Ce silence s'imprime dans tout (...), ça reste dans tous les recoins de votre mental".
Elle en a parlé avec Aloumim, une association d'enfants cachés en France pendant la Shoah, dont elle est membre. Comme elle, beaucoup d'Israéliens ont participé à des groupes de parole, d'autres à des séances de thérapie par le toucher quand les mots étaient impossibles.
Face aux besoins et à la pénurie de professionnels, le gouvernement a annoncé une campagne de recrutement et voté mi-janvier une rallonge de 1,4 milliard de shekels (plus de 350 millions d'euros) pour la santé mentale.
Dans l'immédiat, la société civile se mobilise. Des casques de réalité virtuelle ont été utilisés à des fins thérapeutiques. Et les mineurs otages libérés en novembre ont fait l'objet d'une prise en charge inédite du centre médical pour enfants Schneider de Tel-Aviv.
"On essaie de combler les lacunes du système", résume Shiri Daniels.