MONTAZELS, France : Jadis quelque 6.000 ouvriers produisaient des chapeaux en haute-vallée de l'Aude, aujourd'hui il ne reste plus qu'une fabrique, Montcapel, reprise par des passionnés qui y relancent avec humilité, mais détermination l'industrie du couvre-chef en feutre de laine.
Des bâtiments vétustes, bordés de touffes d'herbes folles, ne laissent pas deviner le trésor industriel qu'ils abritent, à quelques mètres du flot tumultueux de l'Aude.
Un modeste banderole indique bien «Chapellerie Montcapel». Mais le visiteur se sent plus dans la peau d'un aventurier en «urbex» (exploration de friches urbaines) progressant à pas prudents dans un décor à l'abandon.
Et pourtant elle tourne, cette usine. Depuis janvier 2021, elle est même «la dernière chapellerie de France à être capable de faire des chapeaux du début jusqu'à la fin en démarrant par la laine», dit avec fierté Serge Anton, 59 ans, directeur de la production.
Tout a bien failli s'arrêter en mars 2018 avec le départ à la retraite des deux derniers dirigeants. A l'époque, l'usine, qui a compté jusqu'à 600 ouvriers lors de son âge d'or dans l'entre-deux-guerres, n'a plus que neuf salariés.
«Quand ça a fermé, c'était la dernière chapellerie de la vallée, je me suis dit, un héritage et un savoir-faire national qu'on laisse tomber comme ça, c'est quand même très dommage», se souvient Sonia Mielke, l'actuelle présidente de Montcapel.
- Sauvegarde du patrimoine -
Enfant, cette franco-irlandaise de 56 ans passait ses vacances dans ce village, chez ses grands-parents. En 2019, elle qui travaille dans les télécoms et ne connait rien aux chapeaux, décide, avec une petite dizaine d'autres passionnés, de relancer l'usine.
Montcapel, dont elle s'occupe sur son temps libre, renaît sous la forme d'une société collective d'intérêt coopératif (SCIC).
«On a démarré comme ça, au début on était sept, aujourd'hui on est 300, il y a des entreprises, des collectivités et beaucoup de personnes qui ont acheté deux–trois parts sociales pour soutenir cette volonté de sauvegarde du patrimoine», détaille-t-elle l’œil pétillant.
Son fils, Thomas Früh, 25 ans, directeur commercial, fait faire la visite. «Ça c'est la cardeuse», explique-t-il près d'un mastodonte de métal, tout en pistons et rouleaux sur lesquels s'étale un tapis de laine blanche.
«Pour moi, c'est un bijou de mécanique. Quand elle tourne et que chaque pignon est parfaitement réglé, c'est magnifique», s'enthousiasme-t-il.
Le patrimoine ici est aussi humain et réside dans les savoir-faire, comme celui d'Elodie Pourquié, 42 ans, «dernière enrouleuse de France», s’enorgueillit M. Früh.
- Haut de gamme -
Outre d'autres tâches au sein de la fabrique, elle enroule les bandes de laine délicatement cardée autour de dômes de bois, pour former une cloche dont elle évalue le poids au toucher «à un ou deux grammes près».
«C'est beaucoup d'exigence», confie-t-elle. «Il faut faire en fonction de la matière vivante qu'est la laine. Quand il fait humide, elle est différente, il faut s'adapter à tout ça.»
De la cloche au chapeau, près d'une vingtaine d'opérations, pour presque autant de machines, sont nécessaires: «feutrage», «semoussage», «dégageage», «rognage» et bien d'autres mots d'un autre âge.
Pour donner forme à ses feutres de laine haut de gamme, Montcapel pioche dans sa vaste collection de moules en aluminium qui chacun porte un nom évocateur: le «Texas», l'«Indiana», le «Sacristain» ou le plus simple «canotier». Au total, environ 1.500 modèles.
Trois ans après la production de son premier chapeau, malgré le Covid, la guerre en Ukraine et l'explosion des coûts de l'énergie, Montcapel «ne lâche pas», assure Sonia Mielke. La fabrique vend aujourd'hui à des particuliers, mais surtout produit pour des marques de mode.
«On espère sur les deux années à venir être à l'équilibre, enfin, et de façon pérenne», dit-elle, déterminée à enraciner un patrimoine qui semblait voué à disparaître.