NEW YORK: Les «déclarations incendiaires» de certains dirigeants israéliens appelant à la réinstallation permanente des Palestiniens dans d’autres pays ont fait craindre qu’ils ne soient délibérément forcés de quitter Gaza, et ne soient pas autorisés à y revenir. Un haut responsable des droits de l’homme de l’ONU a prévenu vendredi le Conseil de sécurité que «cela ne devait pas être permis», et que contraindre les Palestiniens à évacuer leur terre pourrait équivaloir à un crime de guerre.
Ilze Brands Kehris, Sous-Secrétaire générale aux droits de l’homme, a déclaré aux membres du Conseil que «l'horreur des attentats du 7 octobre, pour lesquels il doit y avoir une reddition des comptes, ne sera pas oubliée.»
Cependant, la menace d’un déplacement forcé revêt «un écho particulier» auprès des Palestiniens, a-t-elle ajouté.
«Cela est gravé dans la conscience collective palestinienne par ce qu’ils appellent la Nakba, ou «catastrophe», de 1948, lorsque des millions de Palestiniens ont été forcés de quitter leurs foyers», a-t-elle expliqué.
Ilze Brands Kehris s'exprimait lors d'une réunion du Conseil de sécurité, à la demande de l'Algérie, pour discuter de la menace de déplacement forcé à Gaza pour les Palestiniens.
Elle a expliqué que les déplacements massifs ont commencé le 12 octobre lorsque les autorités israéliennes ont ordonné aux civils vivant au nord de Wadi Gaza de quitter leurs maisons et de se diriger vers le sud, avant le lancement de l’offensive militaire israélienne.
«Même si Israël a déclaré que ses ordres d'évacuation visaient à assurer la sécurité des civils palestiniens, il semble qu'Israël a pris peu de mesures pour garantir que ces réinstallations soient conformes au droit international, en particulier en garantissant l'accès à des soins d'hygiène, de santé, de sécurité, de nourriture et d'hébergement appropriés, et en prenant des mesures pour minimiser le risque de séparation des membres des familles», a précisé Ilze Brands Kehris.
«De telles évacuations forcées, qui ne remplissent pas les conditions conformes à la légalité, constituent donc potentiellement un transfert forcé: un crime de guerre.
«Ces ordres ont souvent prêté à confusion, exigeant des civils de se déplacer vers des soi-disant «zones humanitaires» ou des «abris connus», malgré le fait que de nombreuses zones de ce type ont été par la suite frappées au cours des opérations militaires israéliennes, de même que le manque de capacité de ces abris à accueillir davantage de personnes.»
Plus de 90 % de la population de Gaza souffre d’une insécurité alimentaire aiguë, a-t-elle ajouté, dont un grand nombre sont au bord d’une famine «évitable, provoquée par l’homme.» Elle a mis l’accent sur le fait qu’affamer une population civile comme tactique de guerre était interdit par le droit international.
«Le taux élevé inacceptable de victimes civiles, la destruction presque complète des infrastructures civiles essentielles, le déplacement d'un pourcentage impressionnant de la population et les conditions humanitaires horribles que 2,2 millions de personnes sont forcées d’endurer donnent lieu à de très sérieuses inquiétudes quant à la perpétration potentielle de crimes de guerre, alors que le risque de nouvelles violations graves, voire d’atrocités, est bien réel», a affirmé Ilze Brands Kehris.
«La perspective de famine et de maladies généralisées, sachant que les Palestiniens sont entassés dans les plus petites parcelles de la bande de Gaza, le long de la frontière égyptienne, dans des conditions humanitaires désastreuses de surpopulation, avec une aide insuffisante et une rupture de la fourniture des services de base, tandis que le centre de Gaza et Khan Younès sont toujours sujets à des bombardements aériens permanents, accroît les risques de nouveaux déplacements massifs à une échelle toujours plus grande, potentiellement même au-delà des frontières de Gaza. Avec des gens ayant désespérément besoin d’un abri sûr et sécurisé, c’est là un danger dont le conseil doit être conscient.
Le droit des Palestiniens au retour dans leurs foyers doit être l’objet d’«une garantie à toute épreuve», a-t-elle ajouté.
Martin Griffiths, directeur des affaires humanitaires de l’ONU, a prévenu les membres du Conseil que toute tentative visant à modifier la démographie de Gaza devait être «fermement rejetée.» Il a décrit la guerre dans l’enclave comme étant menée sans «quasiment aucune considération pour son impact sur les civils.»
Depuis près de 100 jours, a-t-il affirmé, les opérations militaires incessantes d’Israël ont entraîné des dizaines de milliers de morts et de blessés, dont une majorité de femmes et d’enfants. Le déplacement forcé de 1,9 million de civils, soit 85 % de la population totale, a contraint des personnes traumatisées à fuir à plusieurs reprises, sous une pluie de bombes et de missiles, a-t-il ajouté.
Martin Griffiths a décrit en détail les abris surpeuplés, l’épuisement des réserves de nourriture et d'eau, ainsi que le risque croissant de famine. Il a indiqué que le système de santé à Gaza était sur le point de s’écrouler, avec comme conséquence le fait qu’il devient risqué pour les femmes d’accoucher, pour les enfants d’être vaccinés, et pour les malades et les blessés de recevoir des soins. Les maladies infectieuses sont en augmentation, a-t-il ajouté, obligeant les gens à se réfugier dans les enceintes des hôpitaux.
«Il n’y a aucun endroit sûr à Gaza», a soutenu Griffiths. «Une vie humaine digne est quasiment impossible.»
Les efforts visant à envoyer des convois humanitaires vers le nord de Gaza se heurtent à des retards ou à des refus d'autorisation, mettant ainsi les membres des équipes humanitaires en danger, a-t-il ajouté.
«Le manque de respect du système de notification humanitaire met en danger toute action des travailleurs humanitaires», a-t-il déclaré.
«Les collègues qui ont réussi à gagner le nord ces derniers jours décrivent des scènes d'horreur absolue: des cadavres laissés sur la route, des gens présentant des signes évidents de famine arrêtant des camions, à la recherche de tout ce qui pourrait leur permettre de survivre.
«Et même si les gens pouvaient rentrer chez eux, un grand nombre d’entre eux n’auraient plus de logement où aller.»
La fourniture d’une aide humanitaire dans Gaza est considérée comme presque impossible, a indiqué Griffiths, compte tenu de l’accès limité aux domaines vitaux. Il a mis en garde sur le fait que la poursuite de l'extension des hostilités plus au sud pourrait entraîner des déplacements massifs vers les pays voisins, suscitant des inquiétudes quant à d'éventuels transferts forcés de population ou à des déportations.
Martin Griffiths a réitéré son précédent appel à «un bien plus important respect du droit humanitaire international, notamment la protection des civils et des infrastructures dont ils dépendent, la fourniture des éléments essentiels à la survie, la facilitation de l'aide humanitaire à l'échelle requise, ainsi que le traitement humain et la libération immédiate de tous les otages.»
Il a également réitéré son appel à un cessez-le-feu, et au Conseil de sécurité afin qu’il prenne des mesures urgentes pour mettre un terme à la guerre.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com