La riposte extrêmement violente et sans discernement d’Israël aux attaques du Hamas du 7 octobre a tué plus de 22 000 personnes, dont quelque 10 000 enfants, et elle a suscité une vague de condamnations à l’échelle internationale.
Alors que le président américain, Joe Biden, et le secrétaire d’État, Antony Blinken, ont exprimé leur indignation sans retenue face aux violences du Hamas, leur réponse à la violence bien pire commise par Israël a été, au mieux, réservée. Plutôt que de faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il évite le meurtre de civils, les États-Unis ont fourni à Israël des milliards de dollars d’aide et une quantité inépuisable d’armes, notamment des missiles, des bombes et des munitions, que ses forces utilisent pour augmenter le nombre de victimes civiles.
La position de l’administration Biden sur le conflit à Gaza a incité de nombreux Américains, y compris l’importante population palestinienne qui vit aux États-Unis, à organiser des manifestations dans plusieurs villes à travers le pays. Ces manifestations véhiculent toutes un message puissant et moral: elles veulent que les États-Unis utilisent leur influence considérable sur le gouvernement israélien pour imposer un cessez-le-feu durable, une initiative qu’ils ont jusqu’à présent rejetée.
Ces manifestations ont attiré des dizaines de milliers de manifestants, dont de nombreux non-Arabes, tout aussi indignés par la politique du «deux poids, deux mesures» de la réponse américaine, qui considère la vie des Arabes comme sans importance et celle des Israéliens et des juifs comme sacro-sainte.
«En réalité, ils alimentent la colère – non pas contre le carnage à Gaza, mais contre les perturbations provoquées par les manifestations.»
- Ray Hanania
La nature unilatérale du carnage a suscité des émotions et elle a alimenté un sentiment d’indignation parmi les Américains non arabes qui ont rejoint ou soutenu les manifestations dans de nombreuses villes américaines ainsi qu’au sein des universités du pays. Résultat: on assiste au plus grand élan de solidarité avec la Palestine dans l’histoire de la nation.
Quelque 300 000 personnes ont participé à une manifestation à Washington au mois de novembre; des records ont été battus. Les médias n’ont pas été équitables dans le traitement de ces événements, tout comme ils n’ont pas couvert le carnage quotidien provoqué par l’attaque israélienne.
Des manifestations ont eu lieu à plusieurs reprises à Chicago, Houston, New York, Orlando, Los Angeles, San Francisco, Boston, Atlanta, Minneapolis, Seattle, Portland, Philadelphie et dans des dizaines d’autres villes. La ville de Chicago a été témoin, à elle seule, de douze grandes manifestations.
La question, cependant, est de savoir quel est l’objectif des manifestations propalestiniennes. En découle-t-il des résultats positifs? Ou les manifestations ne font-elles qu’aggraver des sentiments antiarabes déjà exacerbés par une couverture médiatique biaisée et le discours antiarabe de la majorité des élus américains?
D’une part, la priorité d’une manifestation est de faire entendre l’indignation morale du public à un niveau qui reflète le degré de violence contre les civils. Mais, d’autre part, l’objectif est de susciter l’empathie et le soutien du grand public pour contrer les préjugés des médias, des politiciens pro-israéliens et la politique du «deux poids, deux mesures» de l’administration Biden.
Les Américains affirment constamment qu’ils sont les défenseurs des droits civiques et que leur nation adopte une constitution qui garantit les libertés défendues dans le monde entier. Jusqu’à présent, cependant, les manifestants ne semblent pas tellement soucieux de gagner le cœur et l’esprit du public américain. Ils ont plutôt déployé l’essentiel de leurs efforts pour faire des démonstrations de force lors des protestations massives.
«Il est possible de manifester sans perturbations, tout en adressant un message fort au peuple américain.»
- Ray Hanania
Au lieu de convaincre le public américain, ils alimentent la colère – non pas contre le carnage à Gaza, mais contre les perturbations causées par les manifestations. Dans de nombreux cas, les manifestants ont intentionnellement bloqué les principales autoroutes, causant ainsi de graves désagréments. À Chicago, ils ont immobilisé toutes les routes principales, obligeant les gens à rester assis dans leur voiture pendant des heures alors que la police tentait de disperser la manifestation. À New York, les manifestants ont intentionnellement empêché l’accès aux ponts de la ville; les personnes qui tentaient de se rendre au travail ou d’en revenir ont accumulé de grands retards.
Il est possible de manifester sans perturbations tout en adressant un message fort au peuple américain. En revanche, c’est une mauvaise stratégie de perturber la vie quotidienne des Américains et de leur causer des désagréments. S’ils se mettent en colère contre les perturbations, ils se laisseront distraire et seront encore moins préoccupés par la violence à Gaza.
Ainsi, on ne tient même pas compte de certains messages diffusés lors des manifestations, qui sont parfois à la fois antiaméricains et antisémites. Cela joue en faveur d’Israël, qui place la politique américaine dans une impasse.
Les manifestations doivent être réorganisées et menées de manière à moins perturber la vie quotidienne des Américains.
Que peut-on faire pour gagner l’empathie américaine? Beaucoup de choses. Imaginez si tous les manifestants boycottaient leur journal local. Ils pourraient également avoir une très grande incidence en envoyant des lettres à Biden, à Blinken et à leurs membres locaux du Congrès. Au lieu de brandir des pancartes avec des slogans furieux qui critiquent les Américains, il faudrait publier les images du carnage et faire en sorte que les Américains voient ce qu’ils ne peuvent pas voir dans les médias traditionnels.
Tenir des conférences de presse, détailler de manière soigneuse et efficace la manière dont le gouvernement israélien viole les droits humains et civiques tout en tuant des civils. Personnaliser l’histoire en inscrivant les noms et les détails de la vie de certains des civils palestiniens qui ont été tués, en particulier les Américano-Palestiniens.
Il ne s’agirait pas de devenir des éléments perturbateurs. Il faut montrer au public américain que, même si vous êtes outré par la violence à Gaza, vous vous souciez également de leurs droits et souhaitez obtenir leur soutien.
Oui, les Américains doivent être conscients du carnage minimisé par les médias et leurs politiciens. Mais ils ne peuvent pas le faire lorsque leur vie est perturbée par des retards qui entraînent des difficultés. Ce n’est pas ainsi qu’on se fait des amis. C’est plutôt ainsi qu’on se fait davantage d’ennemis.
Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur plusieurs fois primé de la mairie de Chicago. Il peut être joint sur son site Internet personnel à l’adresse suivante: www.Hanania.com.
X: @RayHanania
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com