PARIS: Devenu le plus jeune Premier ministre français de l'histoire, Gabriel Attal aura aussi pour mission de porter la majorité vers les élections européennes. Et de contrer Jordan Bardella, le leader de l'extrême droite, de six ans son cadet, favori des sondages et très populaire chez les jeunes.
Car les deux jeunes loups, 34 ans pour le premier 28 pour le second, sont peu à peu devenus les meilleurs ennemis, un duel notamment éprouvé lors des cinq débats télévisés organisés au cours des campagnes présidentielle et législatives de 2022.
De ce parcours, les deux ont gardé un tutoiement, trace d'une forme de respect mutuel, et d'une bonne connaissance des forces et faiblesses de l'adversaire.
Outre la jeunesse et l'ambition, ils ont en commun leur aptitude générationnelle à user des réseaux sociaux, avides de vidéos et de selfies. Et aussi une popularité ascendante ces derniers mois.
Celle de Gabriel Attal a explosé depuis son passage éclair au ministère de l'Education nationale.
Quant à celle de son opposant, elle apparaît tout aussi fringante dans une étude OpinionWay parue mi-décembre en vue des Européennes de juin: le président du Rassemblement national (RN), qui conduira la liste du parti d'extrême droite, y recueille 27% d'intentions de vote sur l'ensemble de la population, et même 42% chez les 18-24 ans.
Ces derniers jours, le dauphin de Marine Le Pen s'est du reste enorgueilli d'avoir passé la barre symbolique du million d'abonnés sur TikTok, l'un des réseaux sociaux les plus prisés de la jeunesse.
Des chiffres à faire pâlir d'envie le camp du président français Emmanuel Macron, lequel n'a toujours pas choisi sa tête de liste, ne convainc que 19% des sondés... et à peine 8% chez les électeurs les plus jeunes.
La nomination de Gabriel Attal comme chef du gouvernement est ainsi apparue comme l'une des réponses à ce retard dans les sondages de la majorité présidentielle.
"Envoyer Attal aux Européennes aurait été une erreur: pour affronter Bardella, il a beaucoup plus de cartes en main depuis Matignon (résidence du Premier ministre, ndlr)", confirme le patron de l'institut Odoxa, Gaël Sliman.
Obliger le RN à l'offensive
Imposer le match de la jeunesse Attal-Bardella pour tenter de ringardiser Marine Le Pen ? Voire inciter Jordan Bardella à s'émanciper de celle qui, par trois fois, a échoué à la présidentielle. Et qui entend être à nouveau en lice en 2027 ?
Lors d'une récente rencontre avec les partis politiques français, les flatteries d'Emmanuel Macron à l'endroit du président du RN avaient été perçues comme une manière de cultiver ses ambitions. "J'ai du mal à croire à ce genre de coup de billard à trois bandes", tempère le politologue Jean-Daniel Lévy, de l'institut Harris Interactive.
"Dans l'opinion, Jordan Bardella n'est pas vu comme étant jeune et Gabriel Attal n'est pas qualifié de jeune en premier", observe-t-il en balayant le facteur générationnel. Il note, en revanche, "pour le premier, une approbation à l'égard du RN en général" et, concernant le nouveau Premier ministre, "un profil politique identifié autour de positions fortes et de valeurs" à l'école.
Lors de son passage à l'Education nationale, Gabriel Attal a notamment oeuvré pour un retour de l'autorité, et l'uniforme dans les classes, via une expérimentation de grande ampleur.
"Si Bardella marche bien après des jeunes, ça n'est pas lié à son âge mais à la structure du vote RN", sur-représenté par les moins de 35 ans, y compris dans l'électorat de Marine Le Pen, insiste encore l'expert.
La tâche de Gabriel Attal n'en est que plus ardue: "Il peut récupérer des points auprès de la jeunesse autour de l'espoir, mais pas du fait qu'il soit lui-même jeune", prévient Jean-Daniel Lévy, qui estime toutefois que le nouveau Premier ministre, venu de la gauche, "peut remobiliser l'électorat d'Emmanuel Macron du premier tour de la présidentielle de 2022".
"Si les gens sont satisfaits de Gabriel Attal, il est probable qu'on voie l'avance du RN se réduire", abonde Gaël Sliman, qui identifie alors une conséquence indirecte: "Jordan Bardella ne pourra plus être dans la posture +Ne rien dire et tirer les marrons du feu+, ça obligera le RN à être à l'offensive".