PARIS : C'est un fils de radiologues originaire d'une ville des Landes, où le rugby est roi. Rien ne prédestinait Paul Marque, qui a contracté le virus du ballet dans un studio à Dax, au titre de danseur étoile de l'Opéra, obtenu en pleine pandémie.
Si des étoiles avaient déjà été nommées dans des circonstances inhabituelles (pendant une grève, sur un plateau de télévision, etc.), le danseur de 23 ans, lui, a été sacré le 13 décembre lors d'un streaming en direct devant une salle vide, tout un symbole d'une année traumatisante pour les artistes privés de scène.
Il sera peut-être l'un des rares artistes à se souvenir de 2020 avec un sourire. «Je suis toujours sur un petit nuage, je n'ai pas envie d'en redescendre», dit-il à l'AFP.
Ce titre d'étoile -le Graal pour les danseurs de l'Opéra- était d'autant plus surprenant qu'il ne dansait pas un rôle principal dans le ballet «La Bayadère», mais celui de l'Idole dorée qui a une variation très physique de moins de trois minutes.
«Je m'éclatais»
Une nomination atypique, mais un parcours presque exemplaire: admis à 10 ans à la prestigieuse Ecole de danse de l'Opéra, il rejoint le corps de ballet six ans plus tard puis remporte la médaille d'or au concours de Varna, les «Jeux Olympiques» du ballet. Il gravit rapidement les échelons, devient «premier danseur» en 2018 et se voit confier des rôles d'étoile.
Une semaine avant le streaming de «La Bayadère», il remplace au pied levé un danseur étoile dans le rôle principal, un «rêve», tellement il affectionne ce ballet qui est resté longtemps inconnu en Occident, jusqu'à ce qu'un certain Rudolf Noureev vienne en danser un célèbre acte en 1961 au palais Garnier. Le même Noureev révisera «La Bayadère» pour l'Opéra en 1992.
«Tout petit, j'allais voir le cours de danse de ma grande soeur à Dax et ma mère me raconte qu'à chaque fois je restais scotché», affirme celui qui est désormais la plus jeune étoile à l'Opéra.
Son père radiologue et sa mère, une ex-technicienne radiologue dans l'armée, inculquent à leurs quatre enfants l'amour du sport : son grand frère fera de l'athlétisme, son petit frère, du foot et du rugby.
A 5 ans, il s'initie à la danse dans un studio avec sa première professeure, Laeticia Michel, puis découvre à 7 ans les stages de Biarritz avec Nicole Cavallin, professeure à l'Ecole de danse.
Si d'autres enfants jettent l'éponge rapidement, «moi je m'éclatais», affirme le jeune homme à la technique raffinée.
«Ça valait le coup»
Il ne se rappelle pas avoir fait l'objet de «moqueries» à l'école. «Mes frères et ma soeur me racontaient que si, on me disait des remarques pas forcément sympa, mais ça me glissait dessus». Le danseur étoile Hugo Marchand a, lui, récemment confié à Brut avoir gardé «des blessures d'enfant» en raison de remarques offensantes, signe que les clichés persistent sur les garçons faisant du ballet.
Nicole Cavallin encourage ses parents à le présenter au concours d'admission à l'Ecole de danse de l'Opéra, basée à Nanterre. Comme pour la majorité des «petits rats» de l'Opéra en internat, le choc initial est rude.
«Les jours de la semaine, je les appelais chaque soir en pleurant; ce n'est qu'en classe que je me rendais compte que ça valait le coup». Quand j'ai été engagé dans le corps de ballet, mes parents ont soufflé de soulagement», rit-il.
Mais avant d'en arriver là, il a fallu plus de six ans de dur apprentissage dans l'établissement à réputation internationale.
L'ancienne danseuse étoile «Ghislaine Thesmar avait dit dans le passé que l' "Ecole de danse était une machine à broyer les faibles". Je ne reprendrais pas ces mots-là, je dirais juste que si cette école ne correspond pas à l'enfant, ça peut être très difficile, et j'en ai vu des exemples».
«L'Ecole de danse a beaucoup changé; on est dans une époque où quand on voit qu'un élève n'est pas forcément prêt, ne se sent pas bien, on en prend soin, on parle aux parents», ajoute-t-il. «Cela ne veut pas dire que l'établissement peut se permettre d'être laxiste et d'accepter tout le monde; ça reste une école d'élite».