L’hiver complique le quotidien des Palestiniens déplacés à Gaza

Des Palestiniens déplacés par l'offensive terrestre israélienne sur la bande de Gaza installent un camp de tentes dans la région de Muasi (Photo, AP).
Des Palestiniens déplacés par l'offensive terrestre israélienne sur la bande de Gaza installent un camp de tentes dans la région de Muasi (Photo, AP).
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Publié le Mardi 19 décembre 2023

L’hiver complique le quotidien des Palestiniens déplacés à Gaza

  • Gaza souffre d’inondations et d’un manque d'abris adéquats lors des pluies torrentielles
  • Des familles entières vivent dans des tentes fragiles et sont exposées aux intempéries

LONDRES: Les vents violents et les fortes pluies qui se sont abattus sur la bande de Gaza au cours de la semaine dernière ont aggravé la situation des quelque deux millions de civils déplacés à l'intérieur du pays. La crainte de voir se déclencher une épidémie de grande ampleur s'accroît alors que les infrastructures en ruine peinent à faire face à la situation.

Même avant les soixante jours de bombardements incessants, les experts avaient prévenu que le système d'évacuation des eaux de Gaza n'était plus adapté. Outre les destructions, les pluies diluviennes ont provoqué des inondations dans de vastes zones de l'enclave palestinienne.

Décrivant la situation comme «plus qu'horrible», une source a déclaré à Arab News que «tout était vrai» et que l'ampleur des destructions avait réduit à néant l'infrastructure d'assainissement du territoire assiégé, qui parvenait à peine à faire face à la situation.

Pour les personnes vivant dans le camp de réfugiés interne érigé à la hâte à Rafah, dans le sud de Gaza, la combinaison du vent et de la pluie a laissé beaucoup d'entre elles encore plus exposées qu'elles ne l'étaient auparavant, les tentes fragiles se retrouvant inondées et déchirées.

S'adressant à l'agence de presse Reuters alors qu'il tentait de réparer la maigre protection de sa famille contre les intempéries, un Palestinien déplacé, Ramadan Mohadad, a déclaré que leur abri, fabriqué à partir de contreplaqué et de bâches en plastique, était «déchiré et que l'eau se déversait sur nous».

Un Palestinien traîne des briques dans un camp de déplacés à Rafah (Photo, AFP).

«Nous avons essayé autant que possible de nous protéger pour que l'eau ne pénètre pas, mais la pluie est passée à travers... ce plastique ne protège en rien les personnes qui dorment dessous», a-t-il ajouté.

La situation de la famille de Mohadad est loin d'être une exception.

La guerre a éclaté le 7 octobre avec une attaque de combattants du Hamas contre le sud d'Israël qui, selon les autorités israéliennes, a entraîné la mort d'environ 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et la prise de près de 240 otages, dont certains ont été libérés au cours d'une brève trêve.

À ce dimanche, l'offensive militaire de représailles menée par Israël avait tué plus de 18 700 Palestiniens et en avait blessé 50 000 autres, selon les responsables de la santé dans le territoire dirigé par le Hamas.

Lorsque les combats entre les Forces de défense israéliennes et le Hamas se sont intensifiés en octobre, de nombreux Palestiniens ont fui leur maison avec les seuls vêtements qu'ils portaient, à une époque où les températures étaient nettement plus élevées.

Alors que le conflit est entré dans son troisième mois, certains d'entre eux ont déclaré à l'agence de presse AFP qu'ils survivaient sans matelas, sans couvertures et sans rien d'autre pour se réchauffer.

Des soldats israéliens se préparent à entrer dans la bande de Gaza, dans une zone de transit près de la frontière entre Israël et Gaza (Photo, AP).

Des vidéos ont été diffusées ce dimanche montrant des foules montant à bord de camions d'aide humanitaire et les poursuivant alors qu'ils pénétraient dans Gaza, dans une situation de plus en plus désespérée pour ces civils pris au piège.

Pour souligner l'ampleur des souffrances, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (Unrwa) a diffusé sur le réseau X une vidéo dans laquelle la mère d'un enfant de deux ans partageant une tente avec 24 autres personnes explique que leur abri de fortune n'a pas permis de protéger son fils de la pluie.

«Il est essoufflé, sa poitrine est tendue. Il n'y a pas de couverture pour le couvrir. Qamar, ma nièce, a un an et demi. Elle est également malade. Il n'y a ni médicament ni traitement, et à cause du froid, elle est également essoufflée», a indiqué la femme.

«Nous souffrons. Nous sommes 24 personnes dans cette tente. Nous avons froid et nous avons des enfants... La pluie nous arrose et il n'y a pas de couverture, rien pour nous protéger. La nuit dernière, l'eau est entrée à l'intérieur et nous a noyés. Nous gardons les enfants sur les marches», a-t-elle ajouté.

Fikr Shalltoot, directrice de l'organisation caritative Medical Aid for Palestinians à Gaza, a déclaré à Arab News qu'en plus des «graves pénuries» de matériaux de base pour les abris, à savoir les tentes et les bâches en plastique, la pluie avait affecté la capacité des personnes déplacées de Gaza à se nourrir.

«En raison du manque de gaz de cuisine, les gens utilisent du bois pour cuisiner, mais avec la pluie, cela devient impossible pour de nombreuses familles», a précisé Mme Shalltoot.

Résidente de Gaza, Mme Shalltoot s'était rendue en Égypte le 7 octobre et n'a pas été autorisée à y retourner.

Des enfants palestiniens jouent sous la pluie dans un camp de personnes déplacées à Rafah (Photo, AFP).

La question de l'élimination des déchets est toutefois plus préoccupante à long terme. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies a déclaré que les eaux usées étaient devenues «ingérables» en raison de trois problèmes simultanés: la surpopulation dans les sites désignés par Israël comme sûrs pour les civils, les dommages causés aux canalisations et les inondations.

Cette situation a conduit les partenaires humanitaires du Bureau de la coordination des affaires humanitaires à lancer des appels urgents pour que les matériaux de construction soient autorisés à entrer, l'organisme des Nations unies avertissant que «l'incapacité à faire des réparations pourrait entraîner une coupure d'eau dans certaines zones du sud de la bande de Gaza».

Le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) a signalé en novembre que les infrastructures endommagées, les pénuries de carburant et les restrictions imposées à l'acheminement de l'aide n'avaient laissé que 5% de l'approvisionnement en eau d'avant-guerre.

Gaza ne doit pas non plus s'attendre à une accalmie imminente, les températures devant descendre jusqu'à 10 degrés Celsius en décembre, voire plus bas encore en janvier, tandis que la saison des pluies se prolongera probablement jusqu'en février.

Cette saison des pluies pourrait être pire que la normale, les stations météorologiques proches de la frontière sud entre Gaza et Israël ayant déjà enregistré près de deux fois les précipitations moyennes, ce qui renforce les craintes de voir les crues soudaines contaminer le peu d'eau potable qui reste.

Les organisations humanitaires contactées par Arab News, dont la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ont déclaré qu'elles étaient «préoccupées par le fait que les fortes pluies et les inondations qui touchent de grandes parties de Gaza augmentent encore le risque de maladies d'origine hydrique».

Après les tempêtes, les autorités sanitaires de Gaza ont recensé environ 360 000 cas de maladies infectieuses dans les abris, mais les Nations unies ont depuis lors averti que le nombre réel pourrait être beaucoup plus élevé.

Mme Shalltoot a noté que les responsables de Medical Aid for Palestinians avaient signalé que des maladies infectieuses se propageaient rapidement dans les abris surpeuplés, faisant écho aux inquiétudes concernant les crues soudaines qui présentent un «risque alarmant» pour la vie humaine.

«Sur les 360 000 cas signalés, on compte des infections respiratoires, des diarrhées, des cas de gale et des maladies de peau. Les enfants souffrent de gastro-entérite et de diarrhée, et des cas d'hépatite et de méningite ont également été signalés», a-t-elle alerté.

Julia Roknifard, professeure adjointe à l'école de politique, d'histoire et de relations internationales de l'université de Nottingham, a déclaré: «Il y a aussi le fait que les gens ont une immunité très affaiblie maintenant, ce qui va tout aggraver.»

Le 12 décembre, Philippe Lazzarini, commissaire général de l'Unrwa, s'est rendu à Gaza pour la troisième fois depuis le début de la guerre: «Chaque fois que j'y retourne, je pense que la situation ne peut empirer, mais chaque fois, je suis témoin d'une plus grande misère», a-t-il confié.

«Ce qui a changé par rapport à ma dernière visite, c'est qu'avant, nous avions des abris surpeuplés avec plus d'un million de personnes vivant dans les locaux de l'ONU, lors de ce voyage, lorsque j'ai visité un entrepôt devenu un abri, nous avions des dizaines de milliers de personnes à l'extérieur», a-t-il expliqué.

EN CHIFFRES

1,2 million de réfugiés à Gaza ont accès à l'aide alimentaire de l'Unrwa

1,9 million de réfugiés à Gaza utilisent les services de santé de l'Unrwa

«Les plus chanceux sont ceux qui ont une place à l'intérieur de nos locaux, surtout maintenant que l'hiver a commencé. Mais les autres n'ont absolument nulle part où aller, ils vivent à l'air libre, dans le froid, dans la boue et sous la pluie», a ajouté M. Lazzarini.

Des milliers de personnes n'ont pas encore réussi à atteindre les zones légèrement plus sûres de Gaza. Des vidéos ont été diffusées sur les réseaux sociaux montrant un jeune Palestinien trempé par la pluie, transportant un petit corps enveloppé dans un linceul dans des rues inondées par des eaux qui lui arrivent aux genoux.

La montée des eaux a pratiquement coupé certaines des routes les plus faciles vers le sud. Un habitant de Gaza a déclaré aux journalistes que le voyage déjà périlleux vers les camps de réfugiés était devenu encore plus difficile, un problème qui touche également les personnes travaillant pour les services d'urgence de l'enclave.

Une Palestinienne s'approvisionne en eau à l'extérieur de son abri de fortune dans un camp de personnes déplacées à Rafah (Photo, AFP).

Près de la frontière égyptienne, Rafah est devenu un vaste camp pour les personnes déplacées, avec des centaines de tentes érigées à l'aide de bois et de bâches en plastique.

«Nous avons passé cinq jours dehors. Et maintenant, la pluie a inondé les tentes», a déclaré à l'AFP Bilal al-Qassas, un habitant déplacé.

De nouvelles craintes s'emparent aussi de ceux qui ont rejoint les camps de Rafah: l'intention d'Israël est de continuer à étendre la guerre jusqu'à ce que les combats engloutissent l'ensemble de la bande de Gaza.

Inas, mère de cinq enfants âgée de 38 ans, a déclaré à Reuters qu'elle avait été contrainte de fuir quatre fois depuis le 7 octobre.

Aujourd'hui, elle se dit «terrifiée à l'idée d'être déplacée en Égypte. C'est notre pire cauchemar. Vont-ils étendre la guerre terrestre à Rafah? Si cela se produit, où devrions-nous aller? Vers la mer ou vers le Sinaï?».

Yasmine Mhani a expliqué à Reuters, alors qu'elle étendait des vêtements mouillés pour les faire sécher sur l'abri de la tente, qu'elle avait perdu un enfant dans l’explosion d’une bombe israélienne qui a frappé leur maison. Ayant déménagé cinq fois depuis, elle partage maintenant une seule couverture avec les cinq membres restants de sa famille.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com 


Liban: quatre morts dans un raid israélien, riposte du Hezbollah et des factions alliées

Cette photo prise depuis le kibboutz de Malkia, au nord d'Israël, le long de la frontière avec le sud du Liban, montre de la fumée s'échappant du village libanais de Mays al-Jabal lors des bombardements israéliens le 5 mai 2024 (Photo, AFP).
Cette photo prise depuis le kibboutz de Malkia, au nord d'Israël, le long de la frontière avec le sud du Liban, montre de la fumée s'échappant du village libanais de Mays al-Jabal lors des bombardements israéliens le 5 mai 2024 (Photo, AFP).
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  • Les blessés ont été transportés vers des hôpitaux de la région
  • En près de sept mois de violences transfrontalières, au moins 389 personnes parmi lesquelles 255 combattants du Hezbollah et plus de 70 civils ont été tuées au Liban

BEYROUTH: «Quatre personnes d'une même famille» ont été tuées dans un «raid de l'armée israélienne» sur le village de Mays al-Jabal, a déclaré l'agence officielle d'information libanaise (ANI), actualisant un précédent bilan faisant état de trois victimes.

Il s'agit d'un homme, d'une femme et de leurs enfants âgés de 12 et 21 ans, d'après l'ANI, qui a précisé que deux autres personnes ont été blessées.

Depuis le début de la guerre à Gaza, le Hezbollah libanais, un allié du Hamas palestinien, échange quasi-quotidiennement avec l'armée israélienne des tirs à la frontière libano-israélienne. Des factions palestiniennes et autres groupes alliés ont aussi revendiqué des attaques depuis le Liban contre Israël.

Blessés transportés 

Selon ANI, des habitants du village inspectaient leurs maisons et magasins endommagés dans de précédents bombardements au moment du raid.

Les blessés ont été transportés vers des hôpitaux de la région.

Samedi soir, le Hezbollah a revendiqué des tirs sur des positions militaires dans le nord d'Israël.

Le Hezbollah a déclaré dans un communiqué avoir tiré « des dizaines de roquettes de types Katioucha et Falaq » sur Kiryat Shmona, dans le nord d'Israël, «en réponse au crime horrible que l'ennemi israélien a commis à Mays al-Jabal », qui, selon lui, a tué et blessé des civils.

En près de sept mois de violences transfrontalières, au moins 389 personnes parmi lesquelles 255 combattants du Hezbollah et plus de 70 civils ont été tuées au Liban, selon un décompte de l'AFP. Au moins 11 combattants du Hamas ont été tués selon ce même décompte.

Côté israélien, 11 soldats et neuf civils ont été tués, selon un bilan officiel.


Le forum de Riyad examine le rôle de la traduction dans la promotion de l'identité saoudienne

L'Université Princesse Noura bent Abdelrahman accueillera le 15 mai une conférence intitulée « Traduire l'identité saoudienne à travers d'autres langues et cultures ». (SPA)
L'Université Princesse Noura bent Abdelrahman accueillera le 15 mai une conférence intitulée « Traduire l'identité saoudienne à travers d'autres langues et cultures ». (SPA)
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  • La conférence vise à contribuer à un objectif clé de la Vision 2030 du Royaume, à savoir la promotion des valeurs islamiques et de l'identité nationale, en encourageant les Saoudiens à traduire ces concepts dans d'autres langues et cultures
  • Le rôle de la traduction dans la promotion d'une image positive du Royaume sera également discuté, ainsi que la promotion de la reconnaissance internationale et la mise en évidence de l'impact culturel du Royaume

RIYAD : Le Collège des langues de l'Université Princesse Noura bent Abdelrahman de Riyad accueillera le 15 mai une conférence intitulée « Traduire l'identité saoudienne à travers d'autres langues et cultures ».

L'événement, dont le slogan est « Nous traduisons notre identité », aura lieu au département des conférences et des séminaires et est parrainé par le ministre saoudien de l'Éducation, Yousef Al-Benyan.

Il se concentrera sur le partage du patrimoine culturel, historique, littéraire et intellectuel du Royaume avec un public mondial, a rapporté l'agence de presse saoudienne.


L'interminable attente des proches de jeunes migrants tunisiens perdus en mer

El Hencha fait actuellement face à un exode de jeunes en quête de mieux comme en Europe. (X : @ClimateActionG1)
El Hencha fait actuellement face à un exode de jeunes en quête de mieux comme en Europe. (X : @ClimateActionG1)
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  • Les occupants du bateau étaient surtout des jeunes de 17 à 30 ans, originaires d'El Hencha, bourgade agricole de 6.000 habitants
  • Inès Lafi n'avait aucune idée des intentions de son frère Mohamed, presque 30 ans

EL HENCHA: La plupart avaient gardé le secret: une quarantaine de migrants tunisiens, très jeunes, ont embarqué clandestinement en janvier en quête du "paradis européen" et depuis plus de quatre mois, leurs proches désespèrent de recevoir des nouvelles des disparus.

Ils sont partis vraisemblablement de Sfax (centre), épicentre en Tunisie de l'émigration irrégulière vers l'Italie, la nuit du 10 au 11 janvier sur une mer démontée, selon les familles.

Les occupants du bateau étaient surtout des jeunes de 17 à 30 ans, originaires d'El Hencha, bourgade agricole de 6.000 habitants à 40 kilomètres au nord de Sfax. Une mère et son bébé de quatre mois étaient aussi du voyage.

Inès Lafi n'avait aucune idée des intentions de son frère Mohamed, presque 30 ans, qui gagnait sa vie en conduisant la camionnette familiale de "louage" (taxi collectif).

"Il est sorti vers 22H00 avec son téléphone, sans rien dire à mes parents, sans vêtements de rechange ni sac, comme s'il allait retrouver ses amis", raconte à l'AFP cette ouvrière de 42 ans, qui souffre d'insomnies depuis.

Yousri, 22 ans, est aussi parti en cachette. "La majorité des jeunes n'ont pas informé leur famille, ils se sont débrouillés pour avoir un peu d'argent", confirme M. Henchi, son oncle instituteur.

Meftah Jalloul, poissonnier de 62 ans, savait lui "depuis un certain temps" que son fils Mohamed, 17 ans, "voulait migrer en Europe" et le lui avait déconseillé "mais c'est devenu une idée fixe".

La nuit fatidique, il a tenté d'empêcher son unique garçon de sortir, l'implorant d'attendre une meilleure météo, mais "il m'a embrassé sur la tête et il est parti", relate M. Jalloul.

«Désespérance»

Le commerçant culpabilise: "chaque jour, il créait des problèmes à la maison, il voulait de l'argent pour migrer. C'est moi qui lui ai donné l'argent, donc je suis responsable".

Les Tunisiens ont représenté la deuxième nationalité des migrants illégaux arrivés en Italie (17.304) en 2023, après les Guinéens, selon des statistiques officielles.

"Cette immigration irrégulière ne s'explique pas seulement par des motifs économiques et sociaux", analyse Romdhane Ben Amor, porte-parole de l'ONG FTDES. Il y a aussi "le facteur politique (le coup de force du président Kais Saied à l'été 2021, NDLR) et le sentiment de désespérance des Tunisiens qui ne croient pas dans l'avenir du pays".

Les disparus d'El Hencha, issus de la classe moyenne, pas particulièrement pauvres, partageaient cette "sensation d'horizon bouché".

Le frère d'Inès avait un travail mais "avec 20 dinars par jour (trois euros environ), une fois payé ses cigarettes, il disait qu'il ne pouvait pas faire de projets, ni construire une maison, ni se marier".

Mohamed l'instituteur pointe du doigt "les jeunes déjà en Italie qui publient sur les réseaux sociaux (...) leur quotidien". Les autres "voient ça et veulent changer leur avenir. Ils imaginent l'Europe comme un paradis", souligne-t-il. C'était, pense-t-il, le cas de Yousri qui travaillait dans un café internet pour 10/15 dinars par jour après avoir quitté le lycée avant le bac.

Meftah Jalloul était lui d'accord pour que son fils, également décrocheur scolaire, émigre, mais légalement et seulement après avoir fait une formation. "Il pouvait apprendre un métier: plombier, menuisier, mécanicien", souligne le père de famille.

Aujourd'hui, M. Jalloul lutte pour garder espoir.

«Temps très mauvais»

"Quatre mois se sont écoulés et je pleure mon fils. Ma famille et moi, nous sommes épuisés", dit-il en fondant en larmes.

Lui et d'autres familles se raccrochent à l'idée que l'embarcation aurait pu dériver vers la Libye voisine. Des contacts ont été pris, des recherches menées, en vain.

Inès Lafi et Mohamed Henchi redoutent le pire. Plus de 1.300 migrants sont morts ou ont disparu dans des naufrages l'an passé près des côtes tunisiennes, selon le FTDES.

"Le temps était très mauvais. Même les pêcheurs qui connaissent la mer sont rentrés, lui est sorti", explique Inès, furieuse contre le passeur, connu de tous pour son activité clandestine, qui n'est pas non plus revenu de cette dernière traversée.

Aux autorités, les familles demandent la poursuite des recherches et davantage d'opportunités à El Hencha.

"Il faut enrichir la zone industrielle avec d'autres unités de production, fournir des emplois aux jeunes", estime M. Henchi.

Il faudrait aussi, dit l'instituteur, "construire un état d'esprit différent" avec des programmes éducatifs pour donner envie de bâtir son avenir en Tunisie. Sinon les jeunes "se contentent d'un tour au café, d'un peu de ping-pong ou volley-ball".