DUBAI: Depuis que les combats entre Israël et le groupe militant palestinien Hamas ont éclaté le 7 octobre, Washington et ses alliés européens ont cherché à contenir le conflit et à éviter qu'il ne s'étende à l'ensemble de la région.
Dès qu'Israël a lancé son assaut militaire sur la bande de Gaza – d'où le Hamas a lancé une attaque sans précédent sur le sud d'Israël – le Hezbollah libanais a lancé sa propre campagne de frappes transfrontalières. Cela a contrarié les efforts des forces de maintien de la paix des Nations unies, stationnées le long de la Ligne bleue séparant Israël et le Liban, pour apaiser les tensions.
En tant que force beaucoup plus puissante que le Hamas, ayant accès à une technologie sophistiquée de drones et de missiles fournie par l'Iran, tout conflit à grande échelle impliquant le Hezbollah serait probablement beaucoup plus destructeur pour Israël.
Les forces de défense israéliennes (FDI) ont répondu aux attaques du Hezbollah par des frappes aériennes, des drones et des tirs d'artillerie sur le Liban-Sud, faisant 120 morts, pour la plupart des combattants du Hezbollah. Israël a quant à lui déploré 10 victimes, dont six soldats.
Bien que les échanges soient les plus violents depuis la guerre de trente jours de 2006, les deux parties ont évité les affrontements directs et les incursions qui pourraient entraîner une grave escalade.
EN CHIFFRES
• 100 000 combattants à la disposition du Hezbollah en octobre 2021.
• 150 000 roquettes et missiles dans l'arsenal de guerre du Hezbollah.
• 100 000 soldats israéliens déployés à la frontière nord.
• 100 000 civils évacués du nord d'Israël.
Les députés du gouvernement intérimaire libanais et l'ensemble de la population n'ont guère envie d'une guerre avec Israël, d'autant plus que le pays est aux prises avec la pire crise économique de son histoire.
«Croyez-moi quand je vous dis que nos cœurs saignent pour Gaza, mais nous ne pouvons pas supporter une autre guerre sur notre propre sol», a déclaré à Arab News, Ali Abdallah, un citoyen libanais de 37 ans qui est sans emploi.
«Les nécessités sont devenues des luxes pour beaucoup d'entre nous. Entraîner le Liban, dans son état actuel, dans une nouvelle guerre serait insensible. Comment pouvons-nous répondre à un appel aux armes avec l'estomac vide?», a-t-il expliqué.
L'hésitation du Hezbollah à se lancer dans une guerre totale est aussi en partie le résultat de la pression militaire et diplomatique soutenue de l'Occident.
Depuis octobre, les États-Unis ont stationné deux porte-avions d'attaque et un sous-marin nucléaire en Méditerranée orientale et dans le Golfe afin de dissuader le Hezbollah et d'autres groupes sympathisants du Hamas.
Amos Hochstein, assistant adjoint du président américain, Joe Biden, et conseiller principal pour l'énergie et l'investissement, s'est rendu au Liban en novembre pour mettre en garde les autorités libanaises et le Hezbollah contre une escalade du conflit.
Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a déclaré que le principal objectif des attaques de sa milice contre Israël était d’épuiser les ressources militaires des FDI qui auraient autrement été utilisées à Gaza.
Mais alors qu'il assiste à la destruction du Hamas en tant qu'organisation militaire, ses combattants doivent faire un choix difficile: rester les bras croisés et assister au démantèlement de la branche gazaouie de ce qu'on appelle l'axe de la résistance, soutenu par l'Iran, ou se ranger aux côtés du Hamas pour essayer de le sauver.
«Je pense qu'ils ne le feraient pas. Ils resteraient sur la touche», a déclaré précédemment à Arab News, Firas Maksad, chercheur principal à l'Institut du Moyen-Orient. «Le Hezbollah et l'Iran préfèrent tous deux éviter une confrontation directe plus importante avec Israël», a-t-il précisé.
Maksad et d'autres analystes estiment qu'en tant que première ligne de dissuasion et de défense du régime iranien et de son programme nucléaire si Israël décide de frapper, le Hezbollah ne va pas perdre son temps à sauver le Hamas.
Néanmoins, alors que les FDI encerclent les derniers bastions du Hamas à Gaza et continuent de frapper des cibles au Liban et en Syrie, la probabilité d'une flambée régionale reste forte.
Les analystes de la défense affirment que le Hezbollah a massé une grande partie de sa force de combat d'élite Radwan à la frontière et qu'il utilise de nouvelles armes. Il s'agit notamment des roquettes à courte portée dites Burkan, qui peuvent transporter plus de 453 kg de matières explosives et qui ont infligé de graves dommages à un avant-poste militaire israélien le mois dernier.
Selon un récent rapport du Wall Street Journal, le Hezbollah possède des armes guidées par GPS capables de frapper l'ensemble du territoire israélien, des missiles SCUD très précis et à charge lourde, ainsi qu'une version du missile mortel Tishreen fabriqué par la Syrie, et de nombreux missiles antichars Kornet équipés de munitions guidées par laser.
Tout cela s'ajoute à un arsenal élargi d'environ 150 000 roquettes.
La semaine dernière, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a lancé un avertissement selon lequel Beyrouth et le Liban-Sud seraient transformés «en Gaza et Khan Younès» si les combats s'intensifiaient. Les troupes israéliennes et les militants du Hamas se livrent actuellement à des combats meurtriers pour le contrôle de Khan Younès, La deuxième plus grande ville de Gaza.
Selon Meir Javedanfar, conférencier à l'université Reichman de Tel-Aviv, la tolérance israélienne à l'égard des menaces du Hezbollah n'a jamais été aussi faible.
«Benny Gantz, le ministre israélien de la Défense, a informé les Américains qu'Israël voulait que le Hezbollah évacue les zones adjacentes à ses frontières», a révélé Javedanfar à Arab News.
«Cela est conforme à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui stipule qu'ils ne doivent pas se trouver là en premier lieu. C'est l'objectif d'Israël», a-t-il éclairci.
La résolution 1701 est l'accord qui a mis fin à la guerre de 2006. Elle prévoyait «des arrangements de sécurité pour empêcher la reprise des hostilités, notamment l'établissement d'une zone exempte de tous personnels armés, biens et armes autres que ceux du gouvernement libanais et de la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban), entre la Ligne bleue et le fleuve Litani», a-t-il spécifié.
La présence continue du Hezbollah dans la région pourrait être suffisamment provocante pour que les FDI s'attaquent au groupe une fois qu'elles en auront fini avec le Hamas.
Israël a déployé jusqu'à 100 000 soldats le long de la frontière nord, évacué 60 000 résidents locaux et transformé certaines communautés frontalières en bases militaires en raison de la menace perçue d'une invasion du Hezbollah.
«Nous avons vu ce qui se passe lorsque le Hamas se trouve à notre frontière», a prévenu Javedanfar. «Cela a conduit à un tel désastre le 7 octobre.»
«Nous sommes face à une nouvelle situation. Le gouvernement israélien va faire pression sur les Américains et d'autres pays pour qu'ils comprennent qu'il ne peut plus s'accommoder d'une présence militaire du Hezbollah à ses frontières.
«Après le 7 octobre, la tolérance à l'égard des menaces du Hezbollah est devenue très faible. Cela pourrait être la semaine prochaine, cela pourrait être dans cinq ans. Qui sait? Mais Israël mettra fin à la menace du Hezbollah», a-t-il affirmé.
Les analystes militaires estiment que les services de sécurité israéliens s'étaient convaincus que la menace posée par le Hamas avait été contenue, avant d'être pris au dépourvu par l'attaque du 7 octobre, qui a entraîné la mort de quelque 1 400 personnes, principalement des civils, et la prise de plus de 240 otages.
C'est une erreur que les israéliens ne voudront pas refaire, a indiqué Javedanfar.
«Nous pensons que le Hamas avait changé, qu'il était passé d'une organisation militaire extrémiste à une organisation désireuse de développer l'économie de Gaza et de devenir plus responsable», a-t-il signalé.
«On nous a prouvé que nous avions tort. Toutes ces hypothèses se sont avérées fausses. Nous avons vu les conséquences dévastatrices de notre erreur concernant le Hamas, et maintenant nous posons la même question concernant le Hezbollah. Voulons-nous vivre avec ses menaces à nos frontières? Et ses 150 000 missiles?», a-t-il averti.
«Israël dispose de plus de 300 000 militaires en réserve et est prêt à les utiliser pour dissuader le Hezbollah de s'éloigner de ses frontières», a souligné Javedanfar.
Tzachi Hanegbi, chef du Conseil national de sécurité d'Israël, a récemment déclaré qu'une fois le Hamas vaincu, Israël pourrait devoir entrer en guerre contre le Hezbollah, faute de quoi les citoyens pourraient ne pas vouloir retourner dans les régions du nord.
Bien qu'Israël préfère ne pas mener une guerre sur deux fronts, Hanegbi a déclaré qu'il pourrait devoir «imposer une nouvelle réalité» en ce qui concerne le Hezbollah.
Cependant, tous les analystes ne sont pas convaincus qu'Israël ait les moyens, la volonté ou le soutien international nécessaires pour mener à bien une campagne militaire contre le redoutable Hezbollah.
«Une guerre totale avec le Liban serait un fardeau pour Israël», a indiqué à Arab News, Nadim Shehadi, économiste et chroniqueur libanais. «Ce serait trop coûteux économiquement et psychologiquement pour Israël.»
En fait, Shehadi estime que même la défaite totale du Hamas est hors de portée d'Israël, surtout maintenant que l'opinion publique mondiale se retourne contre les Israéliens. «Ce que le Hamas a réalisé en termes de victoire est en train de détruire même la perception des Israéliens d'eux-mêmes», a-t-il expliqué.
«Deux croyances fondamentales ont été ébranlées. La première était que le gouvernement israélien avait créé un lieu sûr où les Juifs pouvaient être protégés par leur État. Cette croyance s'est effondrée car les citoyens ne se sentent pas en sécurité et fuient la Galilée», a-t-il mentionné.
«La deuxième est que l'armée israélienne est morale, qu'elle respecte le droit international et les règles humanitaires. Ce point s'est également effondré. Le monde et les Israéliens n'y croient plus. Ils sont devenus fous à Gaza», a-t-il ajouté.
Plus de 18 000 personnes ont été tuées à Gaza depuis le 7 octobre, la plupart étant des femmes et des enfants, selon le ministère de la Santé dirigé par le Hamas.
«Il s'agit également de gains pour le Hezbollah», a déclaré Shehadi. «Le Hezbollah observe ce qui se passe actuellement à Gaza.»
Toutefois, Shehadi ne croit pas non plus que le Hezbollah veuille une guerre avec Israël, du moins pas pour le moment.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com