KABOUL: Plus propres et plus sûres, mais aussi plus sombres, les rues de Kaboul ont changé de visage depuis que les talibans se sont réinstallés dans la capitale de l'Afghanistan, expliquent la municipalité et des habitants.
Grouillante, polluée et ultra-sécurisée, Kaboul "était conçue au départ pour 500.000 habitants mais elle en compte près de 7 millions", déclare Nematullah Barakzai, conseiller à la municipalité pour les affaires culturelles.
Depuis leur reconquête éclair de Kaboul, en août 2021, les talibans ont accordé la priorité à la propreté et à la sécurité.
Ils ont fait "un effort visible sur le nettoyage des rues, le ramassage des ordures ménagères, l'évacuation" des eaux usées, indique Amin Karim, architecte urbaniste et ancien conseiller de l'ex-président Ashraf Ghani.
Mais la sécurité est leur "plus grand accomplissement". "Ceux qui étaient à l'origine de l'insécurité sont maintenant chargés de la sécurité!", ironise-t-il.
Sur un marché de la capitale, Khalilullah, un vendeur de pommes de 21 ans, dit pouvoir désormais "aller travailler et rentrer à la maison même tard dans la nuit".
Kaboul est quadrillée par 620 000 caméras de vidéosurveillance. "Pour empêcher la criminalité", selon le ministère de l'Intérieur. Pour les surveiller, estiment de nombreux Kaboulis.
Ramisha, une peintre de 26 ans rencontrée dans l'ouest de Kaboul, se dit soulagée de ne plus craindre "les vols, enlèvements ou attentats".
Pour déjouer les attaques des djihadistes de l'Etat islamique, les talibans ont laissé en place les checkpoints censés autrefois empêcher leurs propres attentats.
Deux ans après, de nombreux quartiers de Kaboul restent "bunkérisés". L'accès est filtré par des chevaux de frise, des chicanes de béton, des barrières, et des hommes cagoulés et armés.
Un million de fleurs
Les dirigeants de l'Emirat islamique ont aussi rendu aux Kaboulis des kilomètres de rues bloquées par les puissants de l'ancien régime: seigneurs de guerre, ministres ou députés.
"Plus d'une centaine de rues qui étaient fermées au public ont été rouvertes" à la circulation, se félicite M. Barakzai.
Planté au milieu d'un carrefour de la "zone verte", le responsable municipal montre avec d'amples gestes l'avenue où a été détruite la résidence de la fille d'un ex-président.
En deux ans, plus de 100 kilomètres de routes ou rues ont été construites à Kaboul.
Les coffres de la capitale se sont remplis. La municipalité talibane a récupéré les taxes foncières sans coup férir, et rétroactivement. Une nouveauté à Kaboul, qui était par ailleurs gangrénée par la corruption.
L'administration talibane s'efforce également de verdir la métropole poussiéreuse.
Dans le parc réaménagé du quartier de Shar-e Naw, des pelouses étonnamment grasses défient l'aridité ambiante.
Sous des serres vont pousser un million de fleurs qui seront plantées au printemps dans la capitale.
Les parcs étant interdits aux femmes, seuls des hommes se prélassent sous les pins majestueux, à quelques jets de pierre d'une rue où des pelleteuses démolissent les salons de beauté fermés autoritairement en juillet.
Le "nettoyage" de Kaboul a aussi vidé ses rues de milliers de drogués.
Embouteillages monstres
Mais les embouteillages comme la pollution s'avèrent des défis plus compliqués.
A la sortie nord de Kaboul, un vieil homme enturbanné passe à cheval près des puissantes pelleteuses qui construisent une voie express de 4 km, le long de taudis de briques accrochés à un flanc de montagne pelé.
Une centaine de maisons a été rasée pour le projet de 370 millions d'afghanis (4,9 millions d'euros) pour le premier des deux axes de six voies censés fluidifier l'entrée et la sortie de Kaboul.
En deux ans, 24 ronds-points ont été aménagés pour discipliner la circulation. Mais des voitures les négocient par la gauche.
"On a toujours des problèmes de circulation, mais on va pouvoir les régler", assure M. Barakzai, "on a une vision stratégique sur 10 ans".
Devant l'ancien lycée français Esteqlal où un roi et des chefs de guerre ont étudié, ce sont des embouteillages monstres. Et la pollution qui va avec.
Vieilles guimbardes, essence frelatée, chauffage domestique au charbon et même au plastique, Kaboul suffoque.
Une ville masculine
L'atmosphère dans la capitale a beaucoup changé.
Kaboul a perdu ses couleurs alors que les femmes étaient sommées de revêtir l'abaya, cette longue tenue descendant jusqu'aux pieds, généralement noire.
Le soir, les rues sont sombres et désertes, comme si la capitale vivait sous couvre-feu.
"Avant, les jeudis après-midi et les vendredis jusque tard dans la nuit, le centre grouillait de monde. Les restaurants étaient pleins, on entendait de la musique partout", se souvient Amin Karim.
Pour Humaira, une employée de 29 ans, avant son interdiction "la musique était un loisir agréable". Mais "les gens en écoutent encore en voiture. Ils l'éteignent aux checkpoints".
Si elle trouve aussi que "les vêtements des femmes ont beaucoup changé", elle ajoute toutefois se sentir "plus en sécurité" car elle n'est plus "harcelée dans la rue".
Exclues de l'enseignement secondaire et universitaire comme d'une partie du marché du travail, les Kaboulies sont plus rares dans les rues. "La capitale est devenue une ville quasi exclusivement masculine (...) une prison pour les femmes", estime Amin Karim.
"On ne peut plus aller dans les jardins de Babur, au zoo de Kaboul et dans plein d'autres parcs", regrette Ramisha, la peintre.
Cependant, "la tristesse sur le visage d'une femme ou d'un homme vient des difficultés économiques", dit-elle: le chômage a explosé et la capitale s'est paupérisée.