PARIS: Sa communication est maîtrisée et ses prises de parole choisies. Toujours sans déclarer ouvertement ses intentions pour l'élection de 2027, le député insoumis François Ruffin travaille sa stature de présidentiable, au risque de froisser le noyau dur de son mouvement.
Mardi soir, loin des caméras, l'élu de la Somme a inauguré à Paris des locaux de son micro-parti "Picardie Debout", six mois après avoir lancé un appel aux dons visiblement suivi d'effet.
"Ces dons ont permis d'engager deux salariés à Picardie Debout et de louer ce local", glisse un de ses proches. "Ca fera un bon incubateur", ajoute un des participants à l'inauguration.
Un peu plus tôt dans la journée, l'ancien journaliste de 48 ans s'était encore illustré en étant l'un des premiers élus LFI à poser des mots forts sur la mort du jeune Thomas dans la Drôme, dénonçant "l'hémiplégie, la demi-cécité dans notre humanité", "comme s'il fallait choisir son camp, selon l'origine réelle ou supposée des victimes ou des agresseurs". Sans oublier de dénoncer en même temps une agression raciste dans le Val-de-Marne.
Quelques semaines auparavant, François Ruffin avait fait un pas de côté par rapport à la communication officielle du mouvement en étant l'un des premiers insoumis à qualifier le Hamas de groupe "terroriste".
«l'anti-Mélenchon»
Celui qui se revendique comme une "voix libre" et qui se définit volontiers comme "social-démocrate" évolue souvent à la marge de La France insoumise et revendique vouloir récupérer les votes des bourgs et des campagnes populaires qui se sont souvent tournés vers le Rassemblement national.
Surtout, il appelle ses camarades à adopter un ton plus apaisé et rassembleur, après s'être lui-même fait connaître du grand public par ses "happenings" à l'Assemblée nationale, comme le port d'un maillot de foot à la tribune.
"C'est tôt, mais il avance ses pions pour 2027", note un élu LFI, proche de François Ruffin.
"Il a peut-être compris avant les autres que se répartir une petite part de marché électoral ancré, ce n'est pas une fin en soi", analyse pour sa part un ministre.
"Le système voudra présenter François comme l'anti-Mélenchon", prévient un autre Insoumis, même s'il prend bien soin de ne pas rentrer en opposition directe avec le triple candidat malheureux à la présidentielle, officiellement en retrait mais dont l'ombre est toujours omniprésente.
Malgré les précautions du réalisateur de "Merci Patron!", le cercle proche de Jean-Luc Mélenchon ne se prive pas de faire pleuvoir les critiques, lui reprochant de jouer une partition trop personnelle.
Testé à 7%
"François ne veut pas avoir de responsabilité dans le groupe, il est un pied dehors et un pied dedans", regrette un membre de la direction.
"Si Ruffin aspire à changer de dimension, il va falloir qu'on l'entende sur des sujets comme l'abaya", abondait un autre responsable du mouvement à la rentrée, en pleine polémique sur ce vêtement.
Depuis, le député de la Somme est sorti de sa zone de confort, en s'aventurant sur des sujets sur lesquels on l'entendait moins jusqu'ici, comme l'immigration.
Défendant l'intégration "par la langue, par le travail", il a ainsi participé à un débat sur France 2 pendant lequel Adrien Quatennens, proche de M. Mélenchon, a regretté d'un tweet cinglant qu'"on ne trouve pas (sur le plateau, ndlr) un responsable politique de gauche pour évoquer les causes des mouvements de population".
"Ruffin veut fédérer la gauche sur la base sociale pour parler aux fameux +fâchés pas fachos+", analyse pour sa part le député Louis Boyard. "Il oublie qu'il y a un mouvement dans la société pour la justice, sur les questions de genre, de laïcité, d'écologie ou d'antiracisme", poursuit ce cadre insoumis.
Parmi les "frondeurs", le nom de Clémentine Autain revient également parfois pour 2027. "François est un peu en avance", estime un Insoumis de longue date. "Et il a été testé à 7% d'entrée, c'est pas mal", ajoute-t-il en référence à un sondage Ifop de fin octobre qui testait différentes options, sans candidature commune à gauche.
"On est bien en amont de l'élection, il n'a jamais été candidat, 7% c'est pas inintéressant", note le député Damien Maudet, ancien attaché parlementaire de François Ruffin, qui rappelle que l'objectif de ce dernier est de "monter une équipe" pour la présidentielle.