Frankly Speaking: Israël commet-il un «génocide» à Gaza?

Craig Mokhiber, ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, lors d'un entretien avec Katie Jensen, présentatrice de l'émission Frankly Speaking (Photo, AN).
Craig Mokhiber, ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, lors d'un entretien avec Katie Jensen, présentatrice de l'émission Frankly Speaking (Photo, AN).
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Publié le Lundi 13 novembre 2023

Frankly Speaking: Israël commet-il un «génocide» à Gaza?

  • Un responsable qui a récemment démissionné du HCDH accuse l'ONU de ne pas reconnaître le «génocide» perpétré par Israël dans le conflit actuel
  • Craig Mokhiber affirme que l'objectif du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, n'est pas de sauver les otages ou de renverser le Hamas, mais de déplacer les civils de Gaza

DUBAÏ: Un haut responsable a récemment démissionné de son poste au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH), accusant l'organisation mondiale de manquer à ses devoirs envers la population de Gaza et de faire preuve de timidité face au génocide et à l'apartheid qui se poursuivent dans cette région, malgré la multitude de preuves.

Lors de son passage à Frankly Speaking, l'émission d'actualité d'Arab News, Craig Mokhiber a dénoncé «l'hésitation des Nations unies à parler officiellement de l'apartheid israélien en Palestine, alors que toutes les grandes organisations internationales de défense des droits de l'homme [...] ont décidé que le crime d'apartheid était manifeste dans cette région. Ou encore, comme l'a récemment soulevé ma lettre de démission, la question du génocide tel qu'il est défini par la Convention des Nations unies».

Lors de l'entretien, M. Mokhiber s'est demandé si sa démission changerait quelque chose au HCDH, mais aussi les raisons pour lesquelles, selon lui, les lobbyistes israéliens font pression sur les dirigeants de l'ONU, la nécessité de faire preuve de plus d'empathie à l'égard de la population de Gaza et si quelqu'un pouvait mettre fin au massacre des civils palestiniens.

L'apparente incapacité des Nations unies à faire face à l'aggravation de la situation à Gaza a également fait l'objet de critiques lors du sommet extraordinaire conjoint arabo-islamique qui s'est tenu samedi à Riyad.

Dans son discours d'ouverture, le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, a déclaré: «Nous assistons à une catastrophe humanitaire qui démontre l'incapacité du Conseil de sécurité (de l'ONU) et de la communauté internationale à mettre fin aux flagrantes violations israéliennes des lois et normes internationales et du droit international humanitaire.»

Le prince héritier a ajouté que la situation à Gaza constituait une menace pour la sécurité et la stabilité internationales et que tous les dirigeants devaient s'unir pour prendre des mesures efficaces pour y remédier.

«Nous avons la responsabilité d'exercer toutes les pressions possibles sur la communauté internationale, sur les Nations unies et sur le Conseil de sécurité, afin qu'ils assument leurs responsabilités en matière de paix et de stabilité internationales», a pour sa part indiqué le prince Faisal ben Farhane, ministre saoudien des Affaires étrangères.

Lorsqu'il a quitté son poste de directeur du bureau de New York du HCDH, M. Mokhiber a qualifié les États-Unis, le Royaume-Uni et une grande partie de l'Europe de complices de l'offensive militaire israélienne en cours à Gaza. Dimanche, plus de 11 000 personnes avaient été tuées à Gaza, dont plus de 4 500 enfants, selon les autorités sanitaires palestiniennes.

Bien qu'il s'agisse d'un terme juridique, le génocide est considéré comme excessivement politisé de nos jours. Mais en tant qu'avocat international spécialisé dans les droits de l'homme, M. Mokhiber est convaincu que les actions d'Israël à Gaza constituent incontestablement un génocide.

«Tout d'abord, je traite cette question en tant qu'avocat spécialisé dans les droits de l'homme, ce qui signifie que je travaille à partir de la définition contenue dans le droit international des droits de l'homme, dans la Convention des Nations unies sur le génocide, qui contient une définition très claire ainsi que les éléments qui la composent», a-t-il indiqué à Katie Jensen, présentatrice de l'émission Frankly Speaking.

«Il y a essentiellement deux éléments. Le premier est l'intention de détruire. Le second, un catalogue d'actes spécifiques, est incontestable. Il s'agit d'un massacre de masse», a-t-il ajouté.

«Nous parlons de dommages graves causés, y compris des dommages physiques, de l'imposition de conditions de vie conçues pour entraîner la destruction de la population, encore une fois incontestable parce que nous sommes tous bien conscients du bouclage et du siège de la bande de Gaza depuis 2015, qui est spécifiquement conçu pour limiter les produits alimentaires, les médicaments, les logements adéquats, l'eau, l'assainissement, la liberté de mouvement, toutes les conditions de vie nécessaires à la survie», poursuit-il.

«Normalement, lorsqu'on enquête sur un génocide, il faut fouiller dans des archives poussiéreuses pour trouver des documents prouvant l'intention. Dans le cas présent, en raison du climat d'impunité qui règne depuis plusieurs décennies, des responsables israéliens ont exprimé publiquement des intentions génocidaires, notamment le président, le Premier ministre, des ministres influents et des responsables militaires de haut rang, appelant explicitement à l'extermination de tout Gaza, déshumanisant explicitement les Palestiniens, appelant explicitement à ne pas faire de distinction entre les combattants et les non-combattants.»

«Même le Premier ministre (Benjamin Netanyahou) a invoqué un verset biblique, appelant à l'extermination de toute la population, n'épargnant aucun d'entre eux, y compris les femmes, les hommes, les enfants et les nourrissons, ainsi que leur bétail. La citation de ce verset biblique (était une indication claire) de l'intention génocidaire, avec un si long catalogue d'actions spécifiquement énumérées (inscrites dans la convention sur le génocide) ayant eu lieu», explique M. Mokhiber.

«Comme nous avons assisté à des nettoyages ethniques successifs depuis 1948 avec une telle intention, il s'agit du cas le plus évident de génocide que nous ayons vu.»

M. Mokhiber a répondu aux accusations selon lesquelles les civils palestiniens de Gaza étaient complices des attaques menées par le Hamas le 7 octobre dans le sud d'Israël parce qu'ils avaient voté pour le Hamas il y a plus de quinze ans et qu'ils avaient refusé de renverser le parti. Il a déclaré qu'il s'agissait là d'une «nouvelle preuve de la rhétorique génocidaire, qui est allée bien au-delà des responsables politiques et s'est infiltrée dans la conscience du public».

«Si on parle de Gaza, on parle de 2,3 millions de civils dans une prison à ciel ouvert densément peuplée. Ils sont littéralement encagés dans cette zone, ils ne peuvent ni entrer ni sortir, ils sont régulièrement privés de nourriture, d'eau, d'abri, de système d'assainissement de l'eau, de tout ce qui est nécessaire à une vie décente», a-t-il ajouté.

Évoquant son expérience de vie avec les Palestiniens à Gaza dans les années 1990, il a décrit l'enclave actuellement assiégée comme «l'un des meilleurs endroits où j'ai jamais vécu – non pas en raison des conditions sur le terrain, mais grâce aux personnes que j'ai rencontrées».

M. Mokhiber a évoqué son récent départ du bureau des droits de l'homme des Nations unies, accusant l'organisation de manquer à ses devoirs envers la population de Gaza et de faire preuve de timidité face au génocide et à l'apartheid en cours dans cette région (Photo, AN).

«Les images véhiculées par les médias et les hommes politiques ne reflètent pas la réalité du peuple palestinien. Si seulement vous pouviez regarder dans les yeux d'un enfant, d'une femme, d'un homme, d'une grand-mère ou d'un grand-père palestinien, si vous pouviez les connaître en tant que peuple, voir que tout comme vous, ils rient et ils pleurent, qu'ils tombent amoureux et qu'ils organisent des fêtes, toutes les choses que fait votre propre famille.»

«En voyant l'humanité du peuple palestinien, il devient impossible de poursuivre ce type de politiques génocidaires que de nombreux gouvernements mènent. Il devient impossible de les considérer comme “l'autre”. Ils ne sont pas “l'autre”, ils sont “nous”. Ils sont vous. Lorsque vous œuvrez dans le domaine des droits de l'homme, vous ressentez une grande solidarité envers les personnes avec lesquelles vous travaillez dans le monde entier», a révélé M. Mokhiber.

«Les voir tous les jours, voir leurs sourires, leurs larmes et leurs rires. Aimer les gens de cette communauté, cela change tout. Et nous avons besoin de beaucoup plus de cela, y compris de savoir qu'en ce moment même, alors que nous parlons, il y a des enfants, des femmes et des hommes enterrés sous des décombres, les os brisés, la peau brûlée, avec très peu d'oxygène dans l'espace où ils se trouvent; ils meurent lentement, atrocement, alors que les gens au-dessus essaient de les sortir de là à mains nues. C'est de cela qu'il s'agit.»

Affirmant que l'assaut militaire israélien n'est pas «une guerre contre le Hamas», il a déclaré que les habitants de Gaza «ne sont pas des chiffres et des statistiques».

«Il ne s'agit pas d'une population barbare vivant dans un endroit obscur du monde. Ce sont des êtres humains. Ce sont vous et moi. Si nous parvenons à dépasser la déshumanisation et à commencer à considérer tout le monde, chrétiens, musulmans et juifs, comme des êtres humains égaux, c'est là que nous trouverons des solutions», a-t-il affirmé.

Pour M. Mokhiber, l'objectif de Netanyahou n'est pas d'éliminer le Hamas, mais de déplacer les civils ordinaires de Gaza, ce qui équivaut à un cas typique de génocide.

«Netanyahou est certainement responsable des violations qui sont à l'origine de l'existence du Hamas. (Mais) ses motivations en ce moment ne sont manifestement pas de sauver les otages, puisqu'ils larguent des bombes sur les lieux où vivent les otages», a-t-il déclaré.

Se référant aux actions de l'armée israélienne à Gaza, il a ajouté: «Il est clair qu'ils ne se contentent pas de combattre le Hamas, car ils procèdent à des destructions massives et à des massacres.»

«Ce qui se passe actuellement à Gaza est une tentative de purger la partie restante de la Palestine qu'est la bande de Gaza. La majeure partie de la ville sera bombardée, le reste sera rendu invivable dans l'espoir que les Palestiniens survivants seront alors contraints, pour des raisons de survie, de partir vers la frontière de Rafah et de se perdre dans la péninsule du Sinaï ou de rejoindre la diaspora palestinienne. La mainmise sur la Palestine historique sera alors complète.»

M. Mokhiber estime en outre que des pays tels que les États-Unis et le Royaume-Uni ne respectent pas leurs obligations en matière de droit humanitaire international dans la crise palestinienne en fournissant des financements, des armes, des renseignements et un soutien diplomatique à Israël, et qu'ils pourraient donc voir leur responsabilité juridique engagée pour leurs actions.

Cette photo prise le 12 novembre 2023 depuis une position le long de la frontière avec la bande de Gaza dans le sud d'Israël montre un panache de fumée apparaissant lors d'un bombardement israélien sur l'enclave palestinienne (Photo, AFP).

«Les États-Unis et le Royaume-Uni sont parties à ces conventions internationales. Ils sont liés par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme, ce qui est clair. Premièrement, les Conventions de Genève n'exigent pas seulement que vous les respectiez dans votre propre conduite, elles exigent que toutes les hautes parties contractantes les respectent vis-à-vis d'autres personnes sur lesquelles elles ont une influence, en l'occurrence Israël.»

«Non seulement les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays n'ont pas fait ce qu'il fallait pour mettre fin à cette situation, mais ils ont même été activement complices. Les États-Unis, par exemple, ont fourni des financements, des renseignements en matière d'armement, un soutien, une couverture diplomatique, et ont même utilisé leur droit de veto au Conseil de sécurité», affirme M. Moukhiber.

«Il s'agit là d'actes directs de complicité en violation de leurs obligations en matière de droit humanitaire. Le crime de génocide, tel qu'il est défini dans la convention, comprend l'acte de génocide, la tentative de génocide, l'incitation au génocide, l'entente en vue du génocide et la complicité dans le génocide.»

«Le soutien actif qui se poursuit, alors même que ces actes ont lieu, expose les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres États qui ont été impliqués directement à la responsabilité juridique de leurs actions. Ce qu'ils devraient faire, c'est user de toute leur influence, diplomatique et autre, pour mettre un terme à ce qui se passe, notamment en cessant d'armer, de financer, de soutenir les services de renseignement, de couvrir diplomatiquement (le gouvernement israélien), afin que les responsabilités soient établies, que des vies humaines puissent être sauvées et que la dignité humaine soit protégée.»

Interrogé sur les raisons qui l'ont poussé à démissionner alors qu'il avait clairement exprimé son inquiétude quant à l'absence de prise en compte des droits du peuple palestinien, M. Mokhiber a reconnu que la conversation avait débuté en mars entre lui-même et le HCDH à la suite d'une «série d'atrocités israéliennes en Cisjordanie, notamment certaines attaques militaires contre des civils en Cisjordanie et les pogroms perpétrés par des colons israéliens à Hawara».

«À ce moment-là, je parlais assez publiquement de ces violations en public et sur les médias sociaux. L'ONU adoptait une approche plus prudente, voire timorée, à l'égard de ces événements», a-t-il ajouté.

«J'en parlais publiquement avec force, comme je le fais depuis trente-deux ans à propos des situations des droits de l'homme dans les pays du monde. Mais dans ce cas, un groupe d'organisations de lobbying israéliennes ont mené une campagne pour me dénigrer et me salir sur les médias sociaux, mais aussi en (remettant une note de protestation à) l'ONU afin de me punir, en dépit du fait que je suis un fonctionnaire des droits de l'homme de l'ONU, dont le travail est de dénoncer les violations des droits de l'homme.»

«Cela a créé une atmosphère où il y avait encore plus d'inquiétude et de tentatives du côté de l'ONU pour me demander de me taire sur ces questions, ce que je ne pouvais manifestement pas faire.»

«Dès le mois de mars, j'ai écrit et indiqué, premièrement, que je pensais que cette déférence à l'égard des États puissants – parce que la critique venait également des pays occidentaux et de ces groupes de pression – portait atteinte à notre application de principe des normes et standards de l'ONU, et que nous devions nous élever contre ces choses et ne pas nous laisser intimider et réduire au silence par elles. Au contraire, j'encourage à parler plus fort.»

Des soldats de l'armée israélienne reviennent après avoir cherché des restes humains à la suite de l'attaque du 7 octobre menée par des militants palestiniens de la bande de Gaza, près d'une position le long de la frontière avec le sud d'Israël, le 12 novembre (Photo, AFP).

Contrairement à la plupart des hommes politiques qui appellent à une solution à deux États, M. Mokhiber pense que le monde doit soutenir un seul État démocratique et laïque dans toute la Palestine historique, avec des droits égaux pour les chrétiens, les musulmans et les juifs.

À la remarque selon laquelle le seul autre homme politique connu à avoir réclamé cette solution est le défunt dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, M. Mokhiber a répondu qu'il y a beaucoup de personnalités publiques dans le monde qui la réclament depuis «de très nombreuses années, y compris des membres de la communauté des droits de l'homme qui considèrent que cette solution est conforme à nos normes».

Expliquant pourquoi il ne considère pas la solution d'un seul État comme étant non conventionnelle, il a déclaré: «Ce qui est intéressant, c'est que dans toutes les autres situations dans le monde, la communauté internationale appelle à des solutions fondées sur l'égalité entre toutes les personnes présentes sur le territoire. Elle demande un État démocratique et laïque, avec des droits égaux pour tous ceux qui sont impliqués dans l'application des normes internationales en matière de droits de l'homme.»

«C'est seulement dans cette situation particulière que cette cohérence a été en quelque sorte muselée. Il s'agit donc d'une réponse très conventionnelle. C'est juste qu'elle a été limitée par une application dans ce cas précis. La réalité est qu'il y a déjà un État de facto: toute la zone de la Palestine historique en Israël est contrôlée par le gouvernement israélien. Il ne reste plus rien en Cisjordanie et à Gaza pour un État palestinien viable et durable en tant que deuxième État.»

«Même s'ils l'adoptaient, cela ne résoudrait pas le problème central des droits de l'homme, car les Palestiniens à l'intérieur de la ligne verte seraient toujours des citoyens de seconde zone, ils n'auraient pas le droit de rentrer chez eux, et ainsi de suite. (La solution à deux États) n'a jamais répondu à cette question. Et la question est la suivante: si nous exigeons l'égalité partout ailleurs, dans ce cas, l'égalité des droits pour les chrétiens, les musulmans et les juifs, pourquoi ne l'exigeons-nous pas dans le cas d'Israël et de la Palestine?»

M. Mokhiber a fermement rejeté l'idée selon laquelle préconiser un État unique était en réalité un appel à la fin du statut d'État juif d'Israël, l'idée existentielle sur laquelle l'État d'Israël a été fondé il y a quelque 75 ans.

«Le gouvernement de M. Netanyahu n'est même pas d'accord pour arrêter un génocide. Ils ne font pas partie de mon auditoire», a-t-il affirmé.

«Il ne s'agit pas d'un appel à la fin d'Israël, mais au salut d'Israël et de la Palestine. Il s'agit d'un appel à la fin de l'apartheid et du colonialisme de peuplement, et à l'adoption des normes des Nations unies qui appellent à des États démocratiques et laïques, offrant des droits égaux à toutes les personnes qui doivent être protégées.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com 


Macron à Beyrouth: soutien ferme aux Libanais et leurs nouveaux dirigeants, pour une ère nouvelle

Le président français Emmanuel Macron serre la main de son homologue libanais Joseph Aoun au palais présidentiel de Baabda le 17 janvier 2025. Le 17 janvier, M. Macron a annoncé que Paris accueillerait dans les prochaines semaines une conférence internationale « pour la reconstruction du Liban » après une guerre entre le groupe militant Hezbollah et Israël. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron serre la main de son homologue libanais Joseph Aoun au palais présidentiel de Baabda le 17 janvier 2025. Le 17 janvier, M. Macron a annoncé que Paris accueillerait dans les prochaines semaines une conférence internationale « pour la reconstruction du Liban » après une guerre entre le groupe militant Hezbollah et Israël. (AFP)
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  • Pour affronter ces défis et amorcer l’écriture de la nouvelle page qui s’ouvre pour le pays, le président français estime qu’il faut s’adosser à trois piliers : restaurer la souveraineté, mettre le Liban sur la voie de la prospérité
  • C’est ce credo que Macron a déroulé lors de ses entretiens avec Aoun et qu’il a réitéré durant ses rencontres avec Salam et le chef du parlement libanais Nabih Berry

PARIS: En se rendant à Beyrouth, quelques jours après l’élection du nouveau président libanais Joseph Aoun et la désignation du nouveau premier ministre Nawaf Salam, le président français Emmanuel Macron a voulu confirmer que la France se tient fermement aux côtés du Liban et des Libanais, dans cette nouvelle ère qui s’ouvre.

C’est une ère porteuse de grands espoirs, pour un pays qui semblait voué au chaos, à cause de l’ineptie de sa classe politique et de ses luttes internes. C’est ce qu’il a voulu constater par lui-même en allant au contact des nouveaux dirigeants et du peuple libanais.

Mais c’est également une ère de défis complexes et difficiles, tant le Liban est fragilisé au niveau de ses institutions, de son économie et de son tissu social par des pratiques mercantiles et communautaires, les ingérences externes, puis récemment une guerre avec Israël qui a laissé une partie de son territoire en lambeaux.

Pour affronter ces défis et amorcer l’écriture de la nouvelle page qui s’ouvre pour le pays, le président français estime qu’il faut s’adosser à trois piliers : restaurer la souveraineté, mettre le Liban sur la voie de la prospérité et consolider son unité.

C’est ce credo que Macron a déroulé lors de ses entretiens avec Aoun et qu’il a réitéré durant ses rencontres avec Salam et le chef du parlement libanais Nabih Berry.

S’exprimant devant les journalistes à la suite de son tête-à-tête avec Aoun au palais présidentiel de Baabda il a souligné que la souveraineté passe par le respect du cessez-le-feu instauré entre le Liban et Israël le 26 novembre dernier et qu’il a qualifié de «succès diplomatique historique qui a permis de sauver des vies». Avec pour effet la nécessité de consolider le mécanisme de surveillance dont la France fait partie.

Cela implique une application stricte des engagements pris par les autorités israéliennes et libanaises dans le cadre de l'accord et dans les délais prévus.

 Soulignant que « des résultats ont été obtenus » à ce niveau, Macron a estimé qu’ils « doivent se fédérer, se confirmer dans la durée », avec « un retrait total des forces israéliennes, et un monopole total de l'armée libanaise sur les armes ».

C'est pourquoi ajoute Macron « nous soutenons, avec force la montée en puissance des forces armées libanaises et leur déploiement dans le sud du pays » tout en continuant à « consolider l'appui international en matière d'équipement de formation, et de soutien financier ».

Cet effort est soutenu par, la France à titre bilatéral et « je sais aussi que nos amis, l'arabie saoudite le Qatar les pays de la région sont prêts à faire davantage » ajoute-t-il, tout en travaillant « avec vous à la démarcation de la ligne bleue pour dégager une solution pérenne au bénéfice de la sécurité de tous ».

Macron a par ailleurs rappelé que cette souveraineté ne concerne pas que le sud du Liban, et que le contrôle des autres frontières, notamment dans le contexte du bouleversement en cours en Syrie, « constitue aussi un enjeu majeur ». 

L’autre pilier étant la prospérité au bénéfice de tous, il exprimé l’espoir d’une formation rapide du nouveau gouvernement pour mener à bien cette tâche et subvenir à l’urgence humanitaire qui n’est pas révolue.

La nécessité de réformer

La France assure t-il veille à ce que les engagements pris le 24 octobre à Paris soient tenus et qu'ils se traduisent matériellement au profit des populations déplacées par la guerre, Mais « au-delà des réponses d'urgence, la communauté internationale doit anticiper un soutien massif à la reconstruction des infrastructures des habitations détruites par la guerre, tout particulièrement au sud, où le million de déplacés libanais sont rentrés pour trouver leur maison et leur village réduits en cendres ».

À ce propos Macron a précisé qu’une conférence internationale pour la reconstruction se tiendra à Paris dans quelques semaines, lors d’une visite qu’effectuera le président libanais.

La prospérité suppose également des réformes, elles sont « attendues et connues » et s’adressant à Aoun dans des termes empreints d’une chaleur amicale « vous les portez, et vous les défendez », la réforme de la justice, la réforme bancaire, la réforme du marché de l'énergie, la lutte contre la corruption, « toutes ces réformes nécessaires, c'est le gouvernement à venir qui le portera, elles sont indissociables de cette reconstruction ». 

L'ensemble de ces points poursuit Macron doit servir le troisième objectif, « celui d'une nation libanaise, réconciliée et unie dans son pluralisme », car la plus grande des appartenances « est celle à une république qui croit dans l'universel, et d'un pluralisme qui respecte toutes les religions, toutes les communautés leur donnent à chacune sa place ».

Ce n'est que dans cette unité, assure-t-il dans « ce pluralisme réconcilié que le chemin est possible », rendant hommage au peuple libanais, aux milliers de victimes que le pays a déploré depuis le déclenchement de la guerre, « une guerre dans laquelle le Liban a été plongé, malgré lui par l'irresponsabilité de quelques uns ».

Avant sa rencontre avec Aoun au palais de Baabda Macron avait déposé une gerbe au monument du soldat inconnu, puis il s’est livré à un exercice qu’il affectionne particulièrement, en déambulant dans le quartier de Gemayzeh, qui avait été dévasté par l’explosion du port de Beyrouth en 2020

Évoluant au milieu d’une foule de libanais qui l’ont accueilli par des applaudissements chaleureux, il a siroté un café puis il a regardé des livres sur la reconstruction de ce quartier, qu’il avait visité juste au lendemain de l’explosion.

Il a échangé en toute spontanéité avec les personnes qui l’entouraient, il a fait des selfies, bu des jus de fruits, partagé une pizza en écoutant attentivement les personnes qui s'adressent à lui.

« Vous êtes adorable » lui lance une vieille dame, « aidez le Liban » lui demande un homme, une autre personne lui fait part de sa crainte d’une reprise de la guerre.

« Bon courage » et « garder le moral », assène le président français à ses interlocuteurs, avant de souligner que l’ère qui s’ouvre est une ère d’espoir où chacun a sa part à accomplir.

Macron avait commencé sa visite par une rencontre avec le premier ministre libanais en exercice Najib Mikati, et deux entretiens avec le chef d’état major de la FINUL, le général Jean-Jacques Fatinet, puis avec le commandant des opérations spéciales au sein du mécanisme de surveillance du cessez le feu le Général Jasper Jeffers et du représentant de la France au sein de ce mécanisme le général Guillaume Pin Hun.

 


Le procureur de la CPI, Karim Khan, rencontre le nouveau dirigeant syrien 

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  • Le président déchu, Bachar al-Assad, qui a fui à Moscou, refusait de coopérer avec la CPI, ne reconnaissant pas sa compétence sur son territoire
  • M. Chareh et le chef de la diplomatie syrienne, Assaad al-Chaibani, ont rencontré "une délégation de la Cour pénale internationale, dirigée" par Karim Khan, a déclaré Sana, qui a également publié des images de la réunion

DAMAS: Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a été reçu vendredi par le nouveau dirigeant syrien, Ahmad al-Chareh, qui a pris le pouvoir après la chute de Bachar al-Assad accusé de crimes durant la guerre civile, a indiqué l'agence de presse officielle Sana.

M. Chareh et le chef de la diplomatie syrienne, Assaad al-Chaibani, ont rencontré "une délégation de la Cour pénale internationale, dirigée" par Karim Khan, a déclaré Sana, qui a également publié des images de la réunion.

Le président déchu, Bachar al-Assad, qui a fui à Moscou, refusait de coopérer avec la CPI, ne reconnaissant pas sa compétence sur son territoire.

Le groupe islamiste de M. Chareh, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a mené une coalition qui a renversé Assad le 8 décembre, plus de 13 ans après la répression sanglante de manifestations anti-Assad ayant déclenché une guerre qui a fait plus de 500.000 morts.

Les nouvelles autorités ont promis de rendre justice aux victimes des atrocités commises durant les décennies de règne du clan Assad, s'engageant à juger les responsables impliqués dans la torture des détenus.

Elles ont exhorté la communauté internationale à leur remettre les personnes recherchées qui ont fui.

La CPI, basée à La Haye, n'a pas été en mesure d'enquêter sur la Syrie car le pays n'a jamais ratifié le Statut de Rome, son traité fondateur.

En 2014, la Russie et la Chine ont opposé leur veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité visant à renvoyer le dossier syrien devant la CPI.

 


Explosion au port de Beyrouth: le juge reprend ses enquêtes après deux ans de suspension

Une source judiciaire a indiqué à l'AFP, sous couvert d'anonymat, que M. Bitar avait "repris ses investigations dans le dossier et engagé des poursuites contre trois employés du port et sept officiers de haut rang de l'armée, de la sécurité générale et des douanes". (AFP)
Une source judiciaire a indiqué à l'AFP, sous couvert d'anonymat, que M. Bitar avait "repris ses investigations dans le dossier et engagé des poursuites contre trois employés du port et sept officiers de haut rang de l'armée, de la sécurité générale et des douanes". (AFP)
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  • M. Bitar, juge indépendant, avait dû interrompre son enquête en janvier 2023, se heurtant à l'hostilité d'une grande partie de la classe politique, notamment du Hezbollah, ainsi qu'à une série de poursuites judiciaires
  • La reprise de ses investigations intervient après l'élection du nouveau président libanais Joseph Aoun et la nomination de Nawaf Salam comme Premier ministre, permises par un affaiblissement du Hezbollah après sa guerre dévastatrice contre Israël

BEYROUTH: Le juge libanais Tarek Bitar, chargé d'enquêter sur la  gigantesque explosion meurtrière au port de Beyrouth a repris ses investigations et engagé des poursuites contre dix nouvelles personnes jeudi, a indiqué à l'AFP une source judiciaire.

Le 4 août 2020, l'une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire a dévasté des pans entiers de la capitale du Liban, tuant plus de 220 personnes et en blessant plus de 6.500.

M. Bitar, juge indépendant, avait dû interrompre son enquête en janvier 2023, se heurtant à l'hostilité d'une grande partie de la classe politique, notamment du Hezbollah, ainsi qu'à une série de poursuites judiciaires.

La reprise de ses investigations intervient après l'élection du nouveau président libanais Joseph Aoun et la nomination de Nawaf Salam comme Premier ministre, permises par un affaiblissement du Hezbollah après sa guerre dévastatrice contre Israël et la chute de Bachar al-Assad en Syrie.

M. Aoun et M. Salam se sont engagés à garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire et à empêcher toute ingérence dans le travail du juge, dans un pays où la culture de l'impunité prévaut.

Une source judiciaire a indiqué à l'AFP, sous couvert d'anonymat, que M. Bitar avait "repris ses investigations dans le dossier et engagé des poursuites contre trois employés du port et sept officiers de haut rang de l'armée, de la sécurité générale et des douanes".

Il a précisé que les interrogatoires débuteront à partir du 7 février. Des séances d'interrogatoire sont également prévues en mars et avril avec d'autres inculpés, parmi lesquels des anciens ministres et députés.

Selon la même source, M. Bitar prévoit ensuite de clore l'enquête et de la transmettre au procureur général près la Cour de cassation pour qu'il examine l'affaire, en vue de formuler un acte d'accusation.

"Espoir" 

"Les promesses faites par le président et le Premier ministre, puis la reprise de l'enquête (...) aujourd'hui, nous donnent l'impression qu'il y a un espoir que les droits des victimes, pour lesquels nous n'avons cessé de lutter, ne seront pas oubliés", a déclaré à l'AFP Cécile Roukoz, l'une des avocates des familles des victimes, qui a perdu son frère dans l'explosion.

Jeudi, le Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme Volker Türk a appelé à la "reprise d'une enquête indépendante", insistant sur la nécessité que les responsables "rendent des comptes" et proposant l'aide de son Bureau à cette fin.

La déflagration a été provoquée par un incendie dans un entrepôt où étaient stockées sans précaution des tonnes de nitrate d'ammonium, malgré des avertissements répétés aux plus hauts responsables.

Un premier juge chargé en 2020 de l'enquête avait dû jeter l'éponge, après avoir inculpé l'ex-Premier ministre, Hassan Diab, et trois anciens ministres.

Tarek Bitar s'était à son tour attaqué à des responsables politiques, mais a été confronté aux mêmes obstacles et à une demande du Hezbollah qu'il soit démis de ses fonctions.

Il avait repris son travail à la surprise générale en janvier 2023, inculpant plusieurs personnalités de haut rang, avant d'être poursuivi pour insubordination par le procureur général, une première dans l'histoire du Liban.

Les proches de victimes et de nombreuses ONG internationales ont demandé à plusieurs reprises la formation d'une commission d'enquête internationale, mais s'étaient heurtés à un refus officiel du Liban.

Dans son premier discours mardi, M. Salam a dit qu'il ferait "tout son possible pour rendre justice aux victimes de l'explosion".