TEL-AVIV : Comme des milliers d'autres travailleurs agricoles thaïlandais en Israël, Pornchai Somnuan a fui les champs d'avocats pour rentrer dans son pays, loin de la guerre qui fait rage entre Israël et le Hamas palestinien depuis un mois.
Lorsque les combattants du Hamas ont attaqué Israël le 7 octobre, les ouvriers employés dans les exploitations agricoles près de la frontière avec la bande de Gaza se sont retrouvés en première ligne. Trente-quatre ressortissants thaïlandais ont été tués et 19 blessés, tandis que 24 autres ont été pris en otage et emmenés à Gaza, selon les autorités thaïlandaises.
Ce drame a jeté l'effroi parmi les 30 000 Thaïlandais travaillant en Israël, et Pornchai Somnuan a demandé de l'aide pour quitter le pays.
"Ma famille voulait que je rentre, elle est inquiète", explique le jeune homme de 27 ans à l'AFP dans un hôtel de Tel-Aviv, d'où sont organisées les évacuations. "J'ai sept amis. Quatre sont rentrés, trois son encore ici", confie-t-il.
Des boîtes de nouilles thaïlandaises et des packs de bouteilles d'eau sont stockés devant la pièce où les candidats au départ remplissent les documents nécessaires.
"Notre priorité est de rapatrier le plus grand nombre possible de Thaïlandais qui en ont besoin", détaille Naruchai Ninnad, chef adjoint des affaires consulaires au ministère thaïlandais des Affaires étrangères venu coordonner les départs.
Médiation
Bangkok a organisé des dizaines de vols pour rapatrier environ 7 500 personnes, tandis que quelque 1 500 autres sont rentrées chez elles par leurs propres moyens, selon Naruchai Ninnad.
Le Premier ministre thaïlandais, Srettha Thavisin, a exhorté à plusieurs reprises ses concitoyens à rentrer chez eux. Son cabinet a approuvé une indemnisation de 50 000 bahts (1 300 dollars) pour chaque travailleur revenant d'Israël. Le gouvernement a également déclaré que les rapatriés pourraient bénéficier d'un prêt à taux avantageux.
Parallèlement, la Thaïlande mène des discussions avec les acteurs régionaux pour tenter d'obtenir la libération de ses ressortissants détenus parmi les quelque 240 otages du Hamas. Une équipe de négociateurs thaïlandais s'est rendu en Iran, où elle a eu des entretiens directs avec des responsables du mouvement islamiste palestinien le 26 octobre.
Rencontré à Tel-Aviv, Warongkorn Srisuk est partagé quand il pense à son départ.
Ouvrier agricole près la frontière nord avec le Liban, où les échanges de tirs sont quotidiens entre l'armée israélienne et des groupes armés pro-palestiniens, dont le Hezbollah libanais, il dit "ne pas (se) sentir à l'aise".
Mais il sait qu'il ne pourra pas compter sur le même salaire en rentrant en Thaïlande.
"J'aimerais revenir, quand la guerre sera finie, mon employeur me renverra ici", assure-t-il.
Il y a plus de dix ans que Bangkok a signé un accord avec Israël pour faciliter le travail des Thaïlandais dans le secteur agricole.
Les conditions de vie de ces immigrés laissent souvent à désirer avec des problèmes d'heures supplémentaires non payées en totalité, d'absence de chauffage ou de climatisation dans des logements exigus, note Yahel Kurlander, spécialiste des migrations.
«J'ai peur»
Les caravanes ou conteneurs où sont généralement hébergés les travailleurs thaïlandais n'ont pas de pièce sécurisée. En cas d'alerte, ils doivent se précipiter vers un abri mobile.
Dans ces conditions, "les travailleurs étaient plus vulnérables à l'attaque" du 7 octobre, estime Mme Kurlander, qui est basé au Tel-Hai College, dans le nord d'Israël.
Au moins 1 400 personnes ont été tuées depuis le 7 octobre côté israélien, en majorité des civils massacrés ce jour-là, selon les autorités israéliennes.
En représailles, Israël a dit vouloir "anéantir" le Hamas et pilonne sans relâche la bande de Gaza, sous contrôle du mouvement islamiste palestinien. Ces frappes ont tué plus de 10 000 personnes dont plus de 4 000 enfants, selon un dernier bilan du gouvernement du Hamas.
Le départ de milliers de Thaïlandais va entraîner "un tournant" pour Israël qui pourrait faire venir à la hâte d'autres travailleurs immigrés sans accord bilatéral encadrant leurs droits, selon Mme Kurlander.
Pornchai Somnuan a eu une vie "agréable" dans les champs de culture d'avocats du centre du pays. Mais lorsque la guerre sera terminée, "je ne reviendrai probablement pas ici, dit-il. J'ai peur".