PARIS: Combien de CO2 l'humanité peut-elle encore émettre si elle veut tenir les objectifs de l'accord de Paris? Une nouvelle étude montre qu'il reste sans doute moins de temps que prévu pour limiter les émissions et le réchauffement, tout en soulignant les incertitudes entourant cette question.
Selon cette analyse parue lundi dans Nature Climate Change, au rythme actuel des émissions de carbone -- environ 40 milliards de tonnes (Gt) chaque année -- il reste environ 6 ans avant que la barre de 1,5°C de réchauffement -- l'objectif le plus ambitieux de l'accord de 2015 -- ne soit franchie.
Se fondant sur des données et une méthodologie réévaluées par rapport aux précédentes estimations, notamment le dernier rapport du Giec, Robin Lamboll de l'Imperial College et son équipe ont recalculé le "budget carbone" restant (RCB). Cela correspond à la quantité nette de CO2 qui peut encore être émise sans dépasser un seuil de réchauffement donné.
Selon les experts mandatés par l'ONU, en 2020, le budget carbone permettant de rester sous +1,5°C était de 500 Gt et de 1.150 Gt pour +2°C.
Les calculs de la nouvelle étude aboutissent à la conclusion que pour avoir 50% de chances de rester sous 1,5°C, le RCB devrait être de 250 GtCO2 à compter de janvier 2023.
"La fenêtre pour éviter les 1,5 degrés se réduit", souligne Robin Lamboll.
Joeri Rogelj, l'un des autres contributeurs, est encore plus radical: "Il est clair que les options probables pour limiter le réchauffement à 1,5°C ont disparu, et ce depuis un certain temps", a-t-il déclaré.
Roulette russe
Depuis l'ère industrielle, la planète s'est déjà réchauffée de 1,2°C en moyenne. Et les dernières estimations de l'observatoire européen Copernicus montrent que +1,5 °C pourrait intervenir d'ici 2034, et non au milieu du siècle comme le prévoient les politiques climatiques à travers le monde.
Pour être effectivement atteinte, cette limite devra être mesurée sur plusieurs décennies, mais son franchissement pourrait être observé ponctuellement beaucoup plus tôt, etc, ouvrant la voie à des conséquences funestes en cascade comme la fonte des calottes glaciaires, le dépérissement des forêts, l'extinction des coraux... Il est ainsi "hautement probable que 2023 excède 1,5 degré", estime M. Lamboll.
Pour rester sous les 2 degrés, un "dernier recours" selon les scientifiques, la marge de manoeuvre n'est guère plus élevée.
Pour avoir 50% de chances de rester dans les clous, si les émissions restent au niveau actuel, la fenêtre de tir est de 30 ans. Et pour 90% de chances, environ 13 ans.
Il reste toutefois de nombreuses incertitudes, d'autres facteurs comme le réchauffement par les autres gaz à effet de serre comme le méthane ou l'effet refroidissant des aérosols (particules fines), pouvant également intervenir, soulignent les auteurs.
"C'est comme jouer à la roulette russe avec deux balles. Peu de gens seront surpris si quelqu'un se fait tirer dessus avec de telles chances", met pourtant en garde M. Rogelj.
Chaque dixième de degré compte
Néanmoins les auteurs insistent sur le fait qu'il ne faut pas baisser les bras.
"Il reste une chance", affirme Christopher Smith de l'université de Leeds.
"Cela ne veut pas dire que la bataille contre le changement climatique sera perdue dans six ans", abonde M. Lamboll.
"Même si nous ne limitons pas le réchauffement à 1,5 degré, nous en tenir à des émissions limitées nous donnera de meilleures chances de rester à 1,6/1,7 degrés, ce qui serait un très bon résultat compte tenu de la direction dans laquelle nous nous dirigeons actuellement".
Les derniers rapports scientifiques montrent que nous sommes actuellement sur une trajectoire de réchauffement à +2,4 degrés ou plus d'ici la fin du siècle.
"Cela vaut le coup de continuer à se battre pour chaque dixième de degrés", martèle M. Smith.
Les auteurs pressent les gouvernements d'agir rapidement, à un mois de la COP28 de Dubaï où la baisse rapide des émissions, et les moyens d'y parvenir, sera l'un des thèmes de négociation les plus difficiles.