Dans la «petite Arménie» française, la crainte d'une Histoire qui se répète

Une voiture abandonnée abandonnée par des Arméniens en fuite est vue sur le bord d'une route menant au couloir de Lachin, lors d'une visite médiatique organisée par le gouvernement azéri, dans la région contrôlée par l'Azerbaïdjan du Haut-Karabakh, le 3 octobre 2023. (Photo d'Emmanuel Dunand / AFP)
Une voiture abandonnée abandonnée par des Arméniens en fuite est vue sur le bord d'une route menant au couloir de Lachin, lors d'une visite médiatique organisée par le gouvernement azéri, dans la région contrôlée par l'Azerbaïdjan du Haut-Karabakh, le 3 octobre 2023. (Photo d'Emmanuel Dunand / AFP)
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Publié le Vendredi 06 octobre 2023

Dans la «petite Arménie» française, la crainte d'une Histoire qui se répète

  • Vilma Kouyoumdjian, née à Istanbul et enseignante d'arménien occidental à la Maison de la culture arménienne (MCA), estime de son côté que «pour tous les Arméniens, le génocide n'a pas pris fin»
  • «Que ce soit en Turquie ou en Azerbaïdjan, ils nomment leurs rues avec des génocidaires»

ALFORTVILLE: Dans le centre d'Alfortville, surnommée la "petite Arménie" française, une stèle célèbre la mémoire des victimes du génocide arménien de 1915. Une tragédie ayant emporté les ancêtres de nombreux habitants de cette ville proche de Paris, dont beaucoup craignent la répétition après les évènements au Haut-Karabakh.

Arax Der Kevorkian, 44 ans, incarne cette histoire douloureuse. Ses aïeux sont des survivants d'atrocités commises durant la Première Guerre mondiale, quand 1,2 à 1,5 million d'Arméniens furent tués par les troupes de l'Empire ottoman, alors allié à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie.

"Mon arrière-grand-mère m'a raconté des histoires de viols, dit-elle, de femmes enceintes qu'on éventre" durant ce que l'Arménie et de nombreux historiens qualifient de génocide, qu'Erevan cherche à faire reconnaître par la communauté internationale.

Les gouvernements ou parlements d'une trentaine de pays (Etats-Unis, France, Allemagne...) en ont admis l'existence. La Turquie, issue du démantèlement de l'Empire en 1920, reconnaît des massacres mais récuse à l'inverse tout génocide, évoquant une guerre civile en Anatolie, doublée d'une famine, dans laquelle 300.000 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs sont morts.

Chargée de ce lourd passé, Mme Der Kevorkian est devenue directrice de la Maison de la culture arménienne d'Alfortville. Elle a fait partie en 2018 d'une délégation au Haut-Karabakh dont l'objectif était de sceller une "charte d'amitié" entre sa commune et le village de Berdzor.

"C'était une terre arménienne", affirme-t-elle, éplorée, des photos de ce voyage devant les yeux. Et de se désespérer, en mentionnant des exactions commises selon elle par la partie azerbaïdjanaise: "J'entends les mêmes choses aujourd'hui. Pour nous, c’est comme revivre ce qui a été vécu."

Erevan dénonce un "nettoyage ethnique", que réfute formellement l'Azerbaïdjan, après l'exode forcé de plus de 100.000 Arméniens du Karabakh. Le Parlement européen a accusé jeudi Bakou d'"épuration ethnique" et demandé des "sanctions ciblées".

Alfortville, qui entretient "une relation presque charnelle" avec l'Arménie, selon son maire Luc Carvounas (socialiste), s'inquiète au diapason. La ville s'est en effet "construite avec des milliers" d'Arméniens fuyant le génocide, dans les années 1920, explique l'édile.

Ils formèrent leur propre quartier à Alfortville, dont 6 à 7.000 des 45.000 habitants aujourd'hui sont d'origine arménienne. Chaque année, la commune, qui compte des écoles bilingues, une église apostolique ou encore une radio communautaire, est l'une des rares en France à commémorer le génocide de 1915.

«Colère» 

Alfortville fut aussi en 2020 la première ville française à reconnaître la République autoproclamée d'Artsakh, le nom arménien du Haut-Karabakh, une région largement peuplée d'Arméniens, qui proclama son indépendance de l'Azerbaïdjan en 1991 après la chute de l'URSS, avec le soutien de l'Arménie.

Les séparatistes du Haut-Karabakh, jamais reconnus internationalement, s'opposèrent trois décennies durant à Bakou, notamment durant deux guerres sanglantes (1988-1994 puis automne 2020), pour finalement être défaits par une offensive éclair des forces azerbaïdjanaises il y a quelques semaines.

"Il faut absolument que cela s'arrête, parce qu'on sait aujourd'hui que ce n'est pas seulement l'Artsakh qui est attaquée, mais aussi l'Arménie", s'indigne Arax Der Kevorkian, en référence aux prétentions territoriales de Bakou sur une partie de son pays d'origine.

Depuis peu, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev qualifie ainsi le Sud arménien d'"Azerbaïdjan occidental". En février 2018, il allait même beaucoup plus loin. "Erevan est notre terre historique", affirmait-il lors d'un congrès. "Nous Azerbaïdjanais devons retourner sur nos terres historiques."

Des propos nourrissant les craintes d'Erevan que l'Histoire se répète. En juillet dernier, deux mois à peine avant l'offensive victorieuse de Bakou, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian dénonçait un "génocide en cours" mené par l'Azerbaïdjan au Haut-Karabakh.

Ces mots trouvent un écho fort à Alfortville. Agnès Kechichian, auxiliaire de puériculture de 34 ans rencontrée par l'AFP devant un commerce arménien, dit ressentir "de la tristesse" et de la "colère face aux Azerbaïdjanais qui vont en fait exterminer tout un peuple".

Vilma Kouyoumdjian, née à Istanbul et enseignante d'arménien occidental à la Maison de la culture arménienne (MCA), estime de son côté que "pour tous les Arméniens, le génocide n'a pas pris fin". "Que ce soit en Turquie ou en Azerbaïdjan, ils nomment leurs rues avec des génocidaires", avance-t-elle.

Michèle-Archalouïs Sarkissian, dont les deux grands-pères étaient originaires de l'ancien village arménien de Tchenguiler près d'Istanbul et rescapés du génocide, a écrit un livre: "Les Arméniens d'Alfortville".

Se basant sur l'histoire de son peuple, elle craint également le pire pour l'Arménie. "Ici, nous sommes beaucoup à être issus d'Anatolie, remarque-t-elle. Et notre Arménie qui a depuis disparu, elle était en Turquie."


Vaste opération des forces de l'ordre en Nouvelle-Calédonie, après six morts dans des émeutes

Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024.  (Photo Delphine Mayeur / AFP)
Une rue bloquée par des débris et des objets brûlés est visible après les troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur / AFP)
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  • Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X
  • Sur la route vers l’aéroport, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient

NOUMÉA, France : L'Etat français a lancé dimanche une vaste opération des forces de l'ordre dans son archipel du Pacifique Sud de Nouvelle-Calédonie pour dégager la route vers l'aéroport, après six morts en six jours d'émeutes contre une réforme électorale.

Cette opération «avec plus de 600 gendarmes» vise «à reprendre totalement la maîtrise de la route principale de 60 km entre Nouméa et l’aéroport», a annoncé le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin dans un message sur X.

Une urgence pour les autorités, d'autant que la Nouvelle-Zélande a annoncé dimanche avoir demandé à la France de pouvoir poser des avions, afin de rapatrier ses ressortissants.

«Nous sommes prêts à décoller, et attendons l'autorisation des autorités françaises pour savoir quand ces vols pourront avoir lieu en toute sécurité», a indiqué dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Winston Peters.

En l'absence de vols depuis et vers la Nouvelle-Calédonie, suspendus depuis mardi, le gouvernement de l'archipel estimait samedi que 3.200 personnes étaient bloquées, soit parce qu'elles ne pouvaient pas quitter l'archipel, soit parce qu'elles ne pouvaient pas le rejoindre.

- Plus de 3.000 personnes bloquées -

Pour déblayer la route vers l'aéroport, un convoi constitué notamment de blindés et d'engins de chantier à quitté Nouméa, dans un premier temps vers Païta.

Mais des journalistes de l'AFP ont constaté que dimanche à la mi-journée, à Nouméa et dans les communes avoisinantes, des indépendantistes filtraient toujours le passage par de très nombreux barrages faits de pierres, d'engins divers ou d'autres objets, en fonction des véhicules qui se présentaient.

«On est prêt à aller jusqu’au bout, sinon à quoi bon?», a dit un manifestant à l'AFP sur un barrage à Tamoa.

Les violences ont fait six morts, le dernier en date samedi après-midi, un Caldoche (Calédonien d'origine européenne) à Kaala-Gomen, dans la province Nord. Les cinq autres morts sont deux gendarmes et trois civils kanaks, dans l'agglomération de Nouméa.

Dans un communiqué dimanche matin, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie a fait cependant état d'une nuit «plus calme», soulignant que l'Etat se mobilisait.

«Au total, 230 émeutiers ont été interpellés» en près d'une semaine, a-t-il précisé.

Reprendre le contrôle par la force devrait être un travail de longue haleine pour les forces de l'ordre. La violence dans certains quartiers chaque nuit montre que les émeutiers restent très déterminés.

«La réalité c'est qu'il y a (...) des zones de non-droit (...) qui sont tenues par des bandes armées, des bandes indépendantistes, de la CCAT. Et dans ces endroits, ils détruisent tout», affirmait samedi sur BFMTV le vice-président de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Blaise.

La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) est une organisation indépendantiste radicale accusée d'inciter à la plus grande violence.

- «Ingérences» -

Nouvel exemple des troubles dans la nuit de samedi à dimanche: d'après la chaîne de télévision publique Nouvelle-Calédonie La 1ère, la médiathèque du quartier de Rivière salée à Nouméa a été incendiée.

Interrogée par l'AFP, la mairie de Nouméa a répondu dimanche matin n'avoir «aucun moyen pour le moment de le vérifier, le quartier étant inaccessible».

La maire de Nouméa, Sonia Lagarde (Renaissance), estimait samedi sur BFMTV que la situation était «loin d'un retour à l'apaisement». «Est-ce qu'on peut dire qu'on est dans une ville assiégée? Oui, je pense qu'on peut le dire», ajoutait-elle.

Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues, à savoir le couvre-feu entre 18H00 et 6H00 (7H00 et 19H00 GMT), l'interdiction des rassemblements, du transport d'armes et de la vente d'alcool, et le bannissement de l'application TikTok.

Signe d'une situation qui pourrait durer, le passage de la flamme olympique en Nouvelle-Calédonie prévu le 11 juin a été annulé.

Pour la population, se déplacer, acheter des produits de première nécessité et se soigner devient plus difficile chaque jour. De moins en moins de commerces réussissent à ouvrir, et les nombreux obstacles à la circulation compliquent de plus en plus la logistique pour les approvisionner, surtout dans les quartiers les plus défavorisés.

Dimanche matin, la province Sud, qui regroupe près des deux tiers de la population, a annoncé que toutes les écoles resteraient fermées dans la semaine.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak, qui redoutent une réduction de leur poids électoral.

Sans faire de lien direct avec les violences, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a accusé l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie, Bakou dénonçant des accusations «infondées».

Le sénateur français Claude Malhuret, rapporteur d'une commission d'enquête sur TikTok, interdit sur l'archipel en raison des émeutes, a lui estimé qu'il fallait plus craindre «des ingérences de la Chine» qui «veut être dans son pré carré en mer de Chine mais également prépondérante dans le Pacifique». «Elle a besoin de nickel pour produire ses batteries», a-t-il expliqué dans un entretien à l'AFP, en référence au minerai brut dont l'archipel détient 20 à 30% des ressources mondiales.

 


Le premier procès en France pour juger les crimes du régime syrien s'ouvre mardi

Le nouveau procureur antiterroriste français Olivier Christen pose lors d'une séance photo à Paris le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
Le nouveau procureur antiterroriste français Olivier Christen pose lors d'une séance photo à Paris le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
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  • Prévue sur quatre jours, l'audience sera filmée au titre de la conservation d'archives historiques de la justice
  • Parallèlement, en juillet 2016, l'épouse et la fille de Mazzen Dabbagh étaient expulsées de leur maison à Damas, qui était réquisitionnée par Abdel Salah Mahmoud

PARIS: Une première en France: trois hauts responsables du régime de Bachar Al-Assad seront jugés à partir de mardi, par défaut, de complicité de crimes contre l'humanité et de délit de guerre devant la cour d'assises de Paris, pour leur rôle dans la mort de deux Franco-syriens arrêtés en 2013.

Selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), ce procès "jugera les plus hauts responsables du régime jamais poursuivis en justice depuis l'éclatement de la révolution syrienne en mars 2011".

Des procès sur les exactions du régime syrien ont déjà eu lieu ailleurs en Europe, notamment en Allemagne. Mais dans ces cas, les personnes poursuivies étaient de rang inférieur, et présentes aux audiences.

Visés par des mandats d'arrêt internationaux, Ali Mamlouk, ancien chef du Bureau de la sécurité nationale, la plus haute instance de renseignement en Syrie, Jamil Hassan, ancien directeur des très redoutés services de renseignements de l'armée de l'Air et Abdel Salam Mahmoud, ancien directeur de la branche investigation de ces services, seront jugés, eux, par défaut.

Pour cette raison, la cour d'assises sera composée de trois magistrats professionnels, sans jurés.

Prévue sur quatre jours, l'audience sera filmée au titre de la conservation d'archives historiques de la justice. Et pour la première fois à la cour d'assises de Paris, un interprétariat en arabe sera assuré pour le public.

Les deux victimes, Patrick et son père Mazzen Dabbagh, étudiant à la faculté de lettres et sciences humaines de Damas né en 1993 pour le premier et conseiller principal d'éducation à l'Ecole française de Damas né en 1956 pour le deuxième, avaient été arrêtés en novembre 2013 par des officiers déclarant appartenir aux services de renseignement de l'armée de l'Air syrienne.

Torture 

Selon le beau-frère de Mazzen Dabbagh, arrêté en même temps que lui mais relâché deux jours plus tard, les deux hommes, de nationalités française et syrienne, ont été transférés à l'aéroport de Mezzeh, siège d'un lieu de détention dénoncé comme un des pires centres de torture du régime.

Puis ils n'ont plus donné signe de vie jusqu'à être déclarés morts en août 2018. Selon les actes de décès transmis à la famille, Patrick serait mort le 21 janvier 2014 et Mazzen le 25 novembre 2017.

Dans leur ordonnance de mise en accusation, les juges d'instruction jugent "suffisamment établi" que les deux hommes "ont subi comme des milliers de détenus au sein des renseignements de l'armée de l'Air, des tortures d'une telle intensité qu'ils en sont décédés".

Coups de barres de fer sur la plante des pieds, décharges électriques, violences sexuelles... lors des investigations, plusieurs dizaines de témoins - dont plusieurs déserteurs de l'armée syrienne et des anciens détenus d'al-Mezzeh - ont détaillé aux enquêteurs français et à l'ONG Commission internationale pour la justice et la responsabilité (CIJA) les tortures infligées dans la prison de Mezzeh.

Parallèlement, en juillet 2016, l'épouse et la fille de Mazzen Dabbagh étaient expulsées de leur maison à Damas, qui était réquisitionnée par Abdel Salah Mahmoud. Des faits "susceptibles de constituer les délits de guerre, d'extorsion et de recel d'extorsion", selon l'accusation, qui souligne que "l'appréhension des propriétés des Syriens disparus, placés en détention, déplacés de force ou réfugiés, représentait un véritable enjeu pour le régime syrien".

"Beaucoup pourraient considérer ce procès comme symbolique, mais il s'inscrit dans un long processus et doit se lire à l'aune des procès" déjà tenus ou en cours ailleurs dans le monde, observe Me Clémence Bectarte, qui défend plusieurs parties civiles. "Tout cela participe à un effort de lutte contre l'impunité des crimes du régime syrien, d'autant plus indispensable que ce combat pour la justice est aussi un combat pour la vérité".

"On a tendance à oublier que les crimes du régime sont encore commis aujourd'hui", met en garde l'avocate. Ce procès vient rappeler qu'"il ne faut en aucun cas normaliser les relations avec le régime de Bachar al-Assad".


En Nouvelle-Calédonie, situation «plus calme» mais vie quotidienne difficile

Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
Des personnes font la queue pour acheter des provisions dans un supermarché alors que des articles carbonisés précédemment incendiés sont visibles à la suite des troubles de la nuit dans le quartier de Magenta à Nouméa, territoire français de Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique, le 18 mai 2024. (Photo Delphine Mayeur AFP)
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  • Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation
  • Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel

NOUMÉA, France : La vie quotidienne des Néo-Calédoniens devient de plus en plus difficile samedi, malgré une situation «plus calme» sur la majeure partie de l'archipel français du Pacifique Sud, au sixième jour des émeutes causées par une réforme électorale qui a provoqué la colère des indépendantistes.

Vendredi en fin de soirée, l'arrivée de 1.000 renforts supplémentaires, en plus des 1.700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation.

Mais pour les habitants, les dégâts de plus en plus étendus compliquent le ravitaillement dans les commerces, ainsi que le fonctionnement des services publics, notamment de santé.

Le danger subsiste par ailleurs dans les quartiers où les émeutiers sont les plus nombreux et les mieux organisés.

Dans l'un d'eux, la Vallée du Tir à Nouméa, un motard s'est tué vendredi en fin d'après-midi dans un accident de la route en heurtant une épave de voiture, selon le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a appelé lors d'une conférence de presse à cesser barrages et barricades.

«On est en train de s'entretuer et on ne peut pas continuer comme ça», a déclaré Vaimu'a Muliava, membre du gouvernement chargé de la fonction publique.

«Des gens meurent déjà non pas à cause des conflits armés, mais parce qu'ils n'ont pas accès aux soins, pas accès à l'alimentation», a-t-il ajouté.

Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a aussi recensé 3.200 personnes bloquées en raison de l'absence de vols commerciaux au départ de et vers l'archipel.

Les autorités françaises espèrent que l'état d'urgence en vigueur depuis jeudi va continuer à faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak.

Depuis, la crise qui frappe ce territoire colonisé par la France au XIXe siècle a fait cinq morts, dont deux gendarmes et trois civils kanaks, et des centaines de blessés au cours de violentes nuit d'émeutes. En réponse, le gouvernement a envoyé des renforts policiers, interdit TikTok - réseau social prisé des émeutiers -, et déployé des militaires.

- Strict minimum -

Devant les rares magasins de Nouméa qui n'ont pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d'attente restaient très longues samedi.

«Cela fait plus de trois heures qu'on est là», soupirait Kenzo, 17 ans, en quête de riz et de pâtes.

Selon la Chambre de commerce et d'industrie de Nouvelle-Calédonie, les violences ont «anéanti» 80% à 90% de la chaîne de distribution commerciale de la ville.

Le représentant de l'Etat français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, a promis la mobilisation de l'Etat pour «organiser l'acheminement des produits de première nécessité» et un «pont aérien» entre la métropole et son archipel, séparés de plus de 16.000 km.

De son côté, un responsable de l'hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s'est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire. «Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d'accessibilité aux soins», en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé sur la radio France Info.

Face à la «gravité» de la situation et afin «de répondre aux besoins sanitaires de la population», l'Etablissement français du sang (EFS) a annoncé vendredi l'envoi de produits sanguins.

- «Grande fermeté» -

A Paris, le ministre de la Justice a demandé au parquet «la plus grande fermeté à l'encontre des auteurs des exactions». Eric Dupond-Moretti a aussi indiqué qu'il envisageait de transférer les «criminels» arrêtés sur le «Caillou» en métropole «pour ne pas qu'il y ait de contaminations (...) des esprits les plus fragiles».

Parallèlement, la justice française a ouvert une enquête sur «les commanditaires» des émeutes, ciblant notamment le collectif CCAT (Cellule de coordination des action de terrain), frange la plus radicale des indépendantistes, déjà mis en cause par le gouvernement.

«J'ai décidé d'ouvrir une enquête visant notamment des faits susceptibles de concerner des commanditaires», parmi lesquels «certains membres de la CCAT», a déclaré le procureur Yves Dupas, pointant «ceux qui ont instrumentalisé certains jeunes dans une spirale de radicalisation violente». Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.

Jeudi, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait qualifié la CCAT d'organisation «mafieuse».

Vendredi, ce collectif a demandé «un temps d'apaisement pour enrayer l'escalade de la violence». Sur la radio RFI, un de ses membres, Rock Haocas, a assuré que son organisation «n'a pas appelé à la violence», attribuant ces émeutes à une «population majoritairement kanak marginalisée».

Sur le front politique, après l'annulation d'une visioconférence avec tous les élus calédoniens jeudi, le président français Emmanuel Macron a commencé vendredi à avoir des échanges avec certains d'entre eux mais son service de communication a refusé d'en dire plus.

Présentée par son gouvernement, la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l'archipel. Les partisans de l'indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral.

Paris a par ailleurs détaillé ses accusations portées contre l'Azerbaïdjan «d'ingérences» en Nouvelle-Calédonie, archipel stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie Pacifique et de part ses riches ressources en nickel.

Paris a évoqué une «propagation massive et coordonnée» de contenus relayés par des comptes liés à Bakou et accusant la police française de tirer sur des manifestants indépendantistes.