BRUXELLES: Le Parlement européen se prononce mardi sur une loi destinée à défendre le pluralisme et l'indépendance des médias ainsi que le secret des sources, un sujet au coeur de l'actualité en France avec la récente garde à vue d'une journaliste.
Le vote doit ouvrir la voie à des négociations avec les Etats membres, avant une adoption finale.
Cette "loi européenne sur la liberté des médias" a été présentée par la Commission en septembre 2022, face à la détérioration de la situation dans des pays de l'UE comme la Pologne et la Hongrie.
Elle prévoit des garanties pour une indépendance éditoriale des rédactions vis-à-vis du pouvoir politique ou économique et fixe des obligations de transparence sur la propriété des médias.
Elle interdit aux Etats membres ou à des entités privées d'obliger les journalistes à divulguer leurs sources.
«Garde-fous»
La version soumise au vote des eurodéputés interdit les détentions de journalistes liées à leur activité professionnelle, les fouilles de documents et perquisitions de leur bureau ou domicile "en particulier quand de telles actions peuvent conduire à l'accès à des sources journalistiques". Les dérogations à ce principe sont strictement encadrées.
"Ces garde-fous sont clairement plus protecteurs que la loi française et apportent un niveau de protection qui aurait empêché qu'un épisode comme celui d'Ariane Lavrilleux se produise", explique à l'AFP Julie Majerczak, directrice du bureau bruxellois de Reporters sans frontières (RSF).
La journaliste Ariane Lavrilleux, qui collabore avec le site d'investigation Disclose, a été placée en garde à vue pendant 39h les 19 et 20 septembre et vu son domicile perquisitionné, dans le cadre d'une information judiciaire pour compromission du secret de la défense nationale. Et ce à la suite d'articles sur des ventes d'armes françaises à l'étranger et sur une mission de renseignement française en Egypte que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des opposants.
Ces dispositions destinées à protéger le travail journalistique promettent de difficiles discussions avec les Etats membres, qui ont adopté en juin dernier leur position sur ce texte. A la demande de la France notamment, ils ont insisté sur les dérogations possibles aux dispositions de cette loi au nom de la "sécurité nationale".
Le texte prévoit par ailleurs que l'utilisation de logiciels espions de type Pegasus à l'encontre de journalistes puisse être autorisée sous certaines conditions: si elle est "justifiée au cas par cas" et si elle est ordonnée par une autorité judiciaire indépendante dans le cadre d'une enquête pour un "crime grave" tel que le terrorisme ou la traite des êtres humains.
Espionnage
Dans une lettre ouverte, 80 organisations et syndicats de journalistes ont appelé les eurodéputés à voter pour une interdiction absolue de l'utilisation de ces "spywares" contre la presse, regrettant que le projet de loi le permette dans certaines circonstances.
"Le Media Freedom Act va autoriser l'espionnage des journalistes au nom de la 'sécurité intérieure' à la demande du gouvernement français", a dénoncé Ariane Lavrilleux sur X (anciennement Twitter), s'insurgeant contre une loi qu'elle juge "liberticide".
Autre point controversé de la législation: la question de la modération des contenus journalistiques par les plateformes en ligne.
Afin d'éviter que ces plateformes ne suppriment ou restreignent arbitrairement des articles ou des reportages vidéo par exemple, la loi prévoit un traitement à part pour les médias remplissant un certain nombre de conditions.
Ces médias doivent être transparents sur leurs propriétaires, être indépendants éditorialement, être soumis à la supervision d'une autorité nationale ou respecter des normes d'autorégulation, ne pas produire de contenus par un système d'intelligence artificielle sans que ce contenu n'ait été soumis à un contrôle humain.
Si une plateforme estime que le contenu d'un média ainsi reconnu enfreint ses règles d'utilisation, elle doit l'avertir 24 heures avant de procéder à une éventuelle suspension ou restriction, afin de lui laisser le temps de se défendre.
Wouter Gekiere, responsable du bureau de l'Union Européenne de Radio-Télévision (UER, alliance de médias de service public de 56 pays) à Bruxelles, s'est félicité des améliorations apportées par les eurodéputés au texte initial, pour "rééquilibrer la relation entre fournisseurs de services de médias et grands opérateurs de plateformes".
Le texte veut aussi renforcer l'indépendance des médias de service public en prévoyant que les Etats membres les financent au moyen de budgets pluriannuels.