PARIS: «Quand on fait de la BD, on est tout le temps endetté», dit la dessinatrice Lisa Mandel. Alors elle va tenter le pari, avec une maison d'édition anticonformiste, de changer le système de rémunération en triplant celle des auteurs.
Son objectif, pour lancer Exemplaire, était de lever 20 000 euros de financement participatif. La collecte sur la plate-forme Ulule s'est terminée le 13 décembre avec 101 350 euros. «Exemplaire existe désormais», a proclamé son équipe.
Un des dessins de Lisa Mandel sur Instagram, en novembre, expliquait: «36 % des auteurs vivent sous le seuil de pauvreté et on voudrait que ça change».
L'autrice d'Une année exemplaire a du succès elle-même. Cette série humoristique et autobiographique de trois cent soixante-cinq jours sur la lutte contre les addictions, publiée initialement sur Instagram, a bien marché. Mais son banquier ne voit pas forcément la couleur de cette réussite artistique.
«Le pire statut»
«Les à-valoir [avances de l'éditeur] que j'obtiens, je n'arrive jamais à les rembourser avec mes droits d'auteurs. Auteur est un métier qui paie très mal, avec l'édition classique», raconte-t-elle.
«L'auteur aujourd'hui touche 8 à 10 % du prix de vente d'une BD. Il a des charges, il paie l'Urssaf. Il est dans le même rapport hiérarchique avec son éditeur qu'un salarié avec son patron, mais il ne bénéficie d'aucun avantage: pas de droit au chômage, pas de congés payés. C'est le pire statut qui existe», dit Lisa Mandel à l'AFP.
«Et quand on négocie on se heurte à des murs. On nous fait comprendre que si l'auteur était mieux rémunéré, l'ensemble de la filière s'effondrerait. Cela m'a donné l'envie de reprendre un projet que j'avais en tête depuis de longues années: créer une maison d'édition». D'après elle, Exemplaire compte garantir aux auteurs «des droits deux fois supérieurs sur les livres vendus en libraire, et six à sept fois supérieurs en vente directe. Donc en moyenne trois fois supérieurs.»
Le premier ouvrage de la maison doit sortir en juin ou septembre 2021.
Les revenus de misère, la dessinatrice Maud Amoretti en a eu assez. Elle est partie vers l'autoédition, et c'est également le financement participatif qui va lui permettre de sortir son prochain livre d'illustrations, Godiva.
«Avant, on pouvait gagner 12 000 euros pour un 50 pages qui prend un an de boulot. Je parle en brut, donc on était sous le Smic. C'était très peu mais pourquoi pas. Aujourd'hui on est presque en dessous de la moitié de ça», raconte-t-elle à l'AFP. Sa conclusion: «Je ne ferai plus de BD.»
Surproduction
La bande dessinée ne se porte pourtant pas si mal dans son ensemble. Interrogé par l'AFP, le Syndicat national de l'édition (SNE) estime que, en excluant le phénomène «Astérix» qui fausse les chiffres par son ampleur, le chiffre d'affaires de ce secteur en 2020 devrait être «au moins aussi important» qu'en 2019. Or, l'année a été très perturbée par les fermetures de librairies.
Ce sont les auteurs qui trouvent peu d'écho dans les médias qui ont le plus souffert de la crise de la Covid-19. L'État y a répondu avec des aides d'urgence, via le Centre national du livre, pour compenser le manque à gagner de ceux qui ont publié en 2020. Une centaine d'auteurs de BD en ont obtenu une.
«L'État a fait ce qu'il sait faire: verser de l'argent en situation de crise. Ce n'est pas ça que les auteurs attendent. Ils attendent de pouvoir vivre de leur métier», avance le président du SNE, Vincent Montagne.
À propos des raisons à cette crise, même les auteurs sont d'accord sur un point: la surproduction est problématique.
«Là où un auteur, il y a trente ans, était sûr quand il était édité de vendre 20 000 exemplaires, aujourd'hui s'il en vend 5 000 il est content. Le nombre de nouveautés a décuplé. Même avec plus de lecteurs, tous les auteurs ne peuvent pas s'y retrouver», résume Lisa Mandel.
D'après Maud Amoretti, «avec 5 000 à 6 500 sorties par an, si on rémunérait correctement tout le monde les éditeurs ne se paieraient pas. Il reste des jeunes qui sont tellement contents qu'on leur propose d'imprimer qu'ils acceptent n'importe quel contrat. Mais mon métier disparaît lentement».