NESSEBAR, Bulgarie : «Comme un salarié modeste obligé d'entretenir une Mercedes»: c'est le sentiment partagé par beaucoup à Nessebar, un site bulgare trois fois millénaire surplombant la mer Noire, qui a échappé à une inscription au patrimoine mondial en péril.
La cité ancienne, entrée sur la liste en 1983, n'a pas été placée sur le classement infamant, selon une décision jeudi du Comité de l'Unesco réuni à Ryad.
«Les gens sont en colère, ils veulent sortir de l'Unesco!», s'emporte le pêcheur Vesselin Maksimov, 48 ans.
Les experts «passent leur temps à poser des interdits», dit-il à l'AFP, encore énervé d'avoir dû attendre 13 mois pour pouvoir faire réparer le toit de sa maison.
- Corruption -
A l'origine site de peuplement des Thraces, cet ancien comptoir grec rassemble sur son sol des vestiges de nombreuses civilisations: édifices de l'Antiquité, églises du Moyen Age, bâtiments en bois du 19e siècle...
Arborant fière allure sur sa péninsule rocheuse, la ville de 1.700 habitants a vu pousser ces dernières années des constructions menaçant l'architecture traditionnelle, sur fond de corruption endémique dans le pays le plus pauvre de l'UE.
Et les avertissements répétés de l'Unesco ne semblent guère inciter la municipalité à changer de cap.
L'agence onusienne s'inquiète ainsi du nouveau plan de développement adopté en 2021, qui préfère le tourisme à la préservation du site. Contactée par l'AFP, la mairie n'a pas souhaité réagir.
Dans les ruelles pavées, des groupes de visiteurs se fraient un chemin entre les stands de vêtements bon marché, les boutiques de souvenirs et les kebabs.
Séduite par la vue sur la mer Noire, Marie Hruba, 20 ans, venue de République tchèque par un vol «bon marché», apprécie «la beauté» du lieu.
- Relégation «inévitable» -
Mais derrière la carte postale, «les maisons tombent en lambeaux, leur remise en état coûte une fortune, or nous ne recevons aucune aide. Les politiciens ne sont occupés qu'à voler des sous», lance Vesselin Maksimov.
Au lieu de rénover le patrimoine, la ville «dépense des millions» pour faire des travaux publics de piètre qualité, abonde Gueorgui Chichmanidov, qui gère l'association Mesemvria 2020 représentant les résidents de la vieille ville.
Pour ce patron d'un coquet café niché dans un bâtiment historique, le classement dans la catégorie «en péril» de Nessebar est à terme «inévitable».
Lui aussi pointe l'appétit des promoteurs immobiliers, «les intérêts économiques» qui n'ont que faire de la communauté locale, blâmant aussi «la grave incompétence» des institutions culturelles nationales.
Une relégation pourrait avoir «un effet salutaire» pour stopper cette dérive, estime le quinquagénaire.
Dans le secteur du tourisme, on redoute cependant pareil scénario.
Si Nessebar, aujourd'hui parmi les sites les plus visités de Bulgarie, «ne figure plus au patrimoine mondial, plus personne ne viendra», avertit Nikolay Balevski, un restaurateur de 38 ans.
«Nous n'avons ni plage ni attractions à offrir, seulement notre héritage culturel», dit-il, appelant à arrêter de «l'enlaidir».