WASHINGTON: Un procès télévisé, une vingtaine de prévenus, une cartographie détaillée des ramifications de l'ingérence électorale présumée et pas de grâce envisageable: l'inculpation de Donald Trump en Géorgie n'a rien d'une affaire de routine pour l'ex-président américain.
Il s'agit de la quatrième inculpation pénale en moins de six mois pour Donald Trump, en campagne pour la primaire républicaine pour reconquérir la Maison Blanche en 2024.
Les trois autres portent sur l'achat du silence d'une actrice de films pour adultes, à New York, et au niveau fédéral, sur sa présumée négligence dans la gestion de documents confidentiels en Floride (sud-est) et ses tentatives présumées frauduleuses d'inverser le résultat de l'élection de 2020 dans sept Etats-clé.
Bien que beaucoup des faits visés se retrouvent dans la procédure fédérale instruite à Washington par le procureur spécial Jack Smith, le recours par la procureure Fani Willis à une loi de Géorgie réprimant la criminalité en bande organisée change radicalement la donne, en raison du nombre de prévenus et de l'ampleur du dossier.
L'inculpation de l'ex-président en Géorgie "est unique à bien des égards parmi les poursuites pénales ouvertes contre Trump, mais une différence significative est qu'elle implique 19 prévenus" au total, remarque Erica Hashimoto, professeure de droit à l'université de Georgetown dans un article publié mardi sur le blog spécialisé Just Security.
Par comparaison, il n'a que deux coprévenus en Floride et aucun officiellement identifié dans les deux autres procédures, rappelle-t-elle.
Pour le juriste Norman Eisen, ancien spécialiste en éthique au sein de l'administration Obama et l'avocate Amy Lee Copeland, cette inculpation "est la première à explorer toutes les profondeurs du complot (...) à l'échelle d'un Etat".
"La Géorgie dispose d'un éventail de lois pénales taillées sur mesure pour les turpitudes tentaculaires auxquelles M. Trump et ses coconspirateurs sont accusés de s'être livrés", écrivent-ils dans une tribune publiée par le New York Times.
Le parquet propose le 4 mars 2024 pour le procès
Fani Willis, la procureure du comté de Fulton en Géorgie, a demandé à la justice de fixer le 4 mars comme date de début du procès.
Elle affirme avoir choisi cette date pour ne pas interférer avec les autres poursuites, fédérales ou à l'échelle des Etats, visant Donald Trump.
C'est à un juge que reviendra au final le choix de la date.
«Tableau complet»
Selon l'éditorialiste du Washington Post Jennifer Rubin, la procédure fédérale sur la manipulation électorale présumée et celle au niveau de l'Etat de Géorgie ne s'opposent pas mais se complètent.
"Si l'inculpation de Smith nous donne une vue large du complot pour bloquer la passation de pouvoir à Washington, l'inculpation en Géorgie présente un examen frappant des pressions désespérées exercées sur des responsables publics et des habitants ordinaires de l'Etat qui essayaient de faire leur travail", explique-t-elle dans une tribune.
"Bien que les faits se recoupent, ils ne sont pas identiques. Pris ensemble, ils promettent d'apporter un tableau complet des actions de Trump", ajoute-t-elle.
Lorsque se tiendra le futur procès en Géorgie, dont la date reste à fixer, il devrait être retransmis à la télévision, a contrario des procès fédéraux dans lesquels cette possibilité est exclue.
"Le procès en Géorgie devrait être le seul qu'il sera possible de suivre à mesure qu'il se déroule", soulignent Norman Eisen et Amy Lee Copeland, estimant que "cela ne fait qu'augmenter la nature historique de l'inculpation".
Mais le magnat de l'immobilier, qui doit une bonne partie de sa célébrité à son rôle d'animateur omnipotent d'une émission de téléréalité, devrait être autorisé à s'y faire représenter.
Autre différence notable par rapport à la justice fédérale : même en cas de victoire à la présidentielle en 2024, Donald Trump ne pourra ni obtenir l'abandon des poursuites par le bureau du procureur ni se gracier lui-même en cas de condamnation puisque l'Etat fédéral n'a aucune autorité au niveau des Etats.
Cette issue lui est d'autant plus fermée qu'en Géorgie les réductions et aménagements de peine dépendent d'un organisme composé par des élus des deux partis et que les grâces ne peuvent en principe y être accordées que cinq ans après l'exécution de la peine.
Les déboires judiciaires de Donald Trump
Voici les principaux démêlés judiciaires auxquels fait face le républicain:
L'élection de 2020 en Géorgie
M. Trump a été inculpé le 14 août par la justice de Géorgie (sud-est) aux côtés de 18 autres personnes pour leurs tentatives présumées illicites d'obtenir l'inversion du résultat de l'élection de 2020 dans cet Etat clé.
La procureure en charge du dossier a recouru à une loi en vigueur dans cet Etat sur la délinquance en bande organisée, utilisée notamment contre les gangs et prévoyant des peines de cinq à vingt ans de prison.
Malgré la défaite du président sortant en Géorgie en 2020, "Trump et les autres prévenus ont refusé de reconnaître qu'il avait perdu et ont en connaissance de cause et délibérément participé à un complot pour changer illégalement le résultat de l'élection en sa faveur", selon l'acte d'accusation.
Le milliardaire républicain fait face au total à 13 chefs d'accusation pour des tentatives de fraude électorale dans cet Etat remporté d'une courte tête par Joe Biden en 2020.
Election présidentielle et assaut du Capitole
Donald Trump a été inculpé le 1er août de "complot à l'encontre de l'Etat américain", d'entrave à une procédure officielle et d'atteinte aux droits électoraux, en lien avec les événements survenus à l'issue de l'élection présidentielle de 2020 et ayant culminé avec l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021.
"Malgré sa défaite, l'accusé était déterminé à rester au pouvoir," écrit l'acte d'accusation, qui estime que les "allégations" portées par M. Trump sur l'élection "étaient fausses, et le prévenu savait qu'elles étaient fausses."
Il s'agit des accusations les plus sérieuses portées à l'encontre de l'ex-chef de l'Etat.
Archives de la Maison Blanche
Donald Trump, 77 ans, a été inculpé en juin et juillet par la justice fédérale dans le cadre d'une autre enquête, portant elle sur sa gestion négligente de documents confidentiels, une première pour un ancien président américain.
Il a comparu mi-juin devant un tribunal à Miami, où il a plaidé non coupable des 37 premiers chefs d'accusation retenus contre lui. Inculpé fin juillet de chefs supplémentaires, il nie en bloc.
Donald Trump est accusé dans ce dossier d'avoir mis la sécurité des Etats-Unis en péril en conservant des documents confidentiels après son départ de la Maison Blanche en janvier 2021 dans sa résidence de Floride, au lieu de les remettre aux Archives nationales comme l'y oblige la loi.
Un procès est prévu en mai 2024, au moment où les primaires républicaines battront leur plein.
L'affaire Stormy Daniels
Donald Trump a été inculpé fin mars au pénal par la justice de l'Etat de New York dans un dossier dans lequel il est accusé d'avoir "orchestré" des paiements en vue d'obtenir le silence de trois individus dont les révélations auraient pu lui être dommageables à l'approche de l'élection présidentielle de 2016, qu'il a finalement remportée.
Bien que de tels paiements ne soient pas illégaux en soi, M. Trump les a inscrits comme "frais juridiques" dans les comptes de son entreprise. L'ancien président, qui a comparu le 4 avril à New York, a plaidé non coupable. Un procès est également attendu.
Condamnation à New York
En janvier, la Trump Organization avait été condamnée à New York également à une amende maximale de 1,6 million de dollars pour fraudes financières et fiscales, une première au pénal pour le groupe, qui attend un procès au civil à l'automne.