BEYROUTH: Le gouvernement syrien a annoncé qu'il autoriserait pour six mois l'ONU à acheminer de l'aide internationale aux zones rebelles après l'expiration d'un mécanisme de l'ONU mais les conditions posées par Damas suscitent des craintes parmi les organisations humanitaires.
Un mécanisme mis en place en 2014 permettait à l'ONU d'acheminer depuis la Turquie voisine nourriture, eau et médicaments aux habitants du nord-ouest de la Syrie, dernière région résistant au régime de Bachar al-Assad.
La majeure partie de l'aide passait par le poste-frontière de Bal al-Hawa et ce mécanisme permettait à l'ONU de se dispenser de l'autorisation de Damas, qui dénonce régulièrement une violation de sa souveraineté.
Mais le non-renouvellement le 11 juillet de ce mécanisme au Conseil de sécurité, après un véto de la Russie, allié de Damas, a changé la donne.
Que propose Damas?
L'ONU a désormais besoin du feu vert de Damas pour continuer à acheminer l'aide, même si le gouvernement ne contrôle pas Bab al-Hawa, aux mains du groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ancienne branche locale d'Al-Qaïda).
Damas a décidé "d'autoriser l'ONU et ses agences" à utiliser Bab al-Hawa "en pleine coopération" avec le gouvernement "pour une période de six mois", a déclaré vendredi l'ambassadeur syrien à l'ONU Bassam Sabbagh.
L'autorisation est cependant assortie de deux conditions.
"Les Nations unies et ses représentants et personnels ne doivent pas communiquer avec les organisations et groupes terroristes du nord-ouest de la Syrie", a insisté M. Sabbagh, en référence à HTS.
Damas demande également une supervision des opérations par le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge arabe syrien.
Environ la moitié de la province d'Idleb et des portions des provinces voisines sont contrôlées par HTS, considéré comme une organisation terroriste par Damas et les grandes puissances.
Selon l'ONU, quatre millions de personnes, qui vivent dans ces territoires, ont besoin d'aide humanitaire pour survivre, plus de 12 ans après le début de la guerre en Syrie. Le mécanisme qui a expiré le 10 juillet permettait d'aider 2,7 millions de personnes chaque mois.
Quelles inquiétudes?
L'ONU a jugé "inacceptables" les conditions syriennes.
Commentant la première, le Bureau de coordination des affaires humanitaires (Ocha) a argué que l'ONU devait être en mesure de "continuer à échanger avec les acteurs étatiques et non étatiques pertinents (...) pour conduire des opérations humanitaires sûres".
Quant à la seconde condition, elle n'est "ni en accord avec l'indépendance des Nations unies ni pratique, étant donné que le CIRC et le CARC ne sont pas présents dans le nord-ouest", ajoute-t-il.
L'ONU note encore que la demande que l'acheminement de l'aide se fasse "en pleine coopération" avec Damas mérite d'être "clarifiée".
Au-delà de l'ONU, des ONG craignent que cette proposition ne se fasse au détriment des personnes le plus dans le besoin.
L'ONG MedGlobal, qui gère des cliniques dans les zones rebelles, se dit "très inquiète".
"Le transfert du contrôle de Bab-Al-Hawa (...) depuis une partie neutre (l'ONU, ndlr) à un régime qui a massacré son peuple et déplacé la moitié de sa population conduira à plus de morts et de souffrance parmi des civils innocents", a indiqué son directeur Zaher Sahloul.
Et de craindre qu'il entraînera aussi "une autre crise des réfugiés".
Le Comité de secours international (ICR), un groupe humanitaire très actif à Idleb, exhorte lui à une extension du mécanisme de 2014, soulignant "la responsabilité du Conseil de sécurité pour protéger les Syriens où qu'ils soient".
Quels développements?
Le président Assad se dit déterminé à reprendre les zones rebelles.
Selon l'analyste Nick Heras, le gouvernement "affiche une confiance accrue dans sa capacité à contenir, puis à réduire" ces territoires.
"Damas veut pouvoir contrôler les passages" et "dans un futur proche (...) Assad et ses alliés y arriveront par la force", estime-t-il.
Des membres du Conseil de sécurité espèrent cependant un retour à la table des négociations.
La représentante de la Suisse aux Nations unies, dont le pays et le Brésil avaient présenté le texte de renouvellement du mécanisme, a dit qu'avec son homologue brésilien, ils allaient "se remettre au travail immédiatement" pour trouver une solution.
"Permettre à la Syrie de dicter l'acheminement de l'aide dans les zones échappant au contrôle gouvernemental met en grave danger les vies, les droits et la dignité de millions de Syriens", a averti de son côté Hiba Zayadin, chercheuse à Human Rights Watch.