PARIS: Ils étaient portés au pinacle par Emmanuel Macron en 2017, toujours présents dans le gouvernement de 2022 mais concentrent désormais les critiques dans l'attente du remaniement: les ministres dits "de la société civile" peinent à trouver leur place dans un contexte politique explosif.
Ce cadre de la majorité soupire: "je suis contre les ministres de la société civile. A chaque fois, c'est un échec patent". Visés, sans être nommés, les titulaires de l’Éducation (Pap Ndiaye), de la Santé (François Braun) ou encore des Solidarités (Jean-Christophe Combe), recrutés en 2022 et régulièrement annoncées comme victimes de ce remaniement imminent qui ne vient toujours pas.
Elle-même estampillée "société civile" en 2017, bien qu'ex-conseillère de Lionel Jospin à Matignon et ex-directrice de cabinet de Ségolène Royal à l'Environnement, Élisabeth Borne a récemment glissé au Figaro qu'"avec une composition inédite de l'Assemblée nationale sous la Ve République", "les ministres, quel que soit leur parcours, doivent avoir la vision, la capacité à diriger leur administration, à porter des textes au Parlement, à échanger avec les députés et les sénateurs".
"Des qualités plus indispensables que jamais", a insisté la cheffe du gouvernement, dessinant ainsi une critique en creux de ces ministres société civile.
Un ancien ministre se veut plus direct: "on est face à un monde et à une action publique de plus en plus complexe. Dans ce cas-là, dans n'importe quel métier, on fait appel à des pros". Les difficultés de Pap Ndiaye rue de Grenelle? "C'était écrit d'avance. Qu'il n'y arrive pas, ce sont ceux qui l'ont nommé les responsables, pas lui!"
Confier des ministères à des personnalités reconnues pour leur expertise professionnelle, sans engagement partisan de premier plan, n'est pas nouveau, depuis la scientifique Irène Joliot-Curie dans le gouvernement du Front populaire en 1936. Sous la Ve République, la plupart des présidents en ont usé, de Simone Veil pour Valéry Giscard d'Estaing à Christine Lagarde sous Nicolas Sarkozy.
Mais avec plus de quinze ministres de ce profil en 2017, Emmanuel Macron "a poussé le curseur plus loin que ses prédécesseurs", relève Gautier Pirotte, professeur à l'Université de Liège, auteur de "La notion de société civile" (La Découverte).
"On était face à un candidat sans réel appareil de parti structuré derrière lui. La société civile faisait partie de son arsenal électoral", poursuit M. Pirotte.
«Lépreux»
Emmanuel Macron l'avait théorisé en mars 2017, lorsqu'il ambitionnait "non pas l'alternance entre la gauche et la droite" mais "entre l'impuissance et l'efficacité, entre le monde d'hier et le siècle nouveau."
"L'organisation politique" étant à ses yeux le "principal obstacle à la transformation du pays", le futur président avertissait qu'il ne composerait pas son gouvernement "avec les états-majors des partis politiques" et promettait "d'en finir avec les ministres qui n'ont d'autre légitimité que celle d'un apparatchik". Les siens allaient donc être "issus pour une partie conséquente de la société civile, dans toute sa diversité."
Furent donc nommés, entre autres, l'ex-DRH de Danone Muriel Pénicaud (Emploi), l'hématologue Agnès Buzyn (Santé), l'éditrice Françoise Nyssen (Culture) ou encore l'animateur télé vedette Nicolas Hulot (Environnement), qui a démissionné un an plus tard en direct à la radio.
Peu ont traversé le premier quinquennat de part en part, comme Frédérique Vidal (Enseignement supérieur) ou Sophie Cluzel (Handicapés).
Rebelote en 2022. Mais "le problème, c'est de savoir si le président veut des politiques ou s'il veut des collaborateurs. Les collabs', les technos, on en voit quand même les limites au bout de cinq ans", peste un parlementaire Renaissance.
Les principaux intéressés, en privé, goûtent modérément ce statut de cibles faciles, alors qu'à l'exception de quelques ministres-clé, le gouvernement dans son ensemble peine à imprimer.
"C'est ridicule, c'est comme si vous aviez une pancarte de lépreux sur le dos", soupire l'un d'eux.
"Je ne sais pas ce que c'est d'être un ministre politique... On est venu me chercher parce que je suis de la société civile, que je connais les sujets que je traite", renchérit un autre.
"Je pense que la vie politique gagne à diversifier les sources de recrutement et ne pas s'inscrire dans une filière classique, le cursus honorum de l'élu local qui devient député puis ministre", juge un ministre. Un peu comme Emmanuel Macron, jamais élu avant de décrocher l'Elysée.