PARIS : Quand ils voient les trains bondés ou les files d'attente devant les centres commerciaux, ils sont fous de rage. Les chefs étoilés Guy Savoy et Jean-François Piège se sentent sacrifiés et s'interrogent sur l'avenir de leurs restaurants fermés depuis six mois.
Ils se sont pourtant tenus en "bons élèves". Dans son restaurant à la Monnaie de Paris, 3 étoiles Michelin et "meilleur au monde" depuis plusieurs années, selon le classement La Liste, Guy Savoy décontaminait à l'ozone, ouvrait les fenêtres en plein service et faisait venir un laboratoire pour tester régulièrement les collaborateurs: "aucun n'est tombé malade" depuis le début de l'épidémie de Covid.
Jean-François Piège a réduit de 25 à 15 les couverts au Grand Restaurant, 2 étoiles, et a réaménagé la salle. Avec l'instauration du couvre-feu à l'automne, il a avancé le service à 18H dans cet établissement à deux pas de l'Elysée et contre toute attente, "cela fonctionnait!"
"Ce qui me trouble aujourd'hui, c'est de voir notre activité mise en coma artificiel et qu'à côté, il y a des excès, des aberrations", déclare Guy Savoy en montrant une photo de quai de gare bondé qu'il a prise lors d'un récent voyage à Lyon. "Quand vous êtes restaurateur, voir cela fait très mal".
"Il y avait même des gens debout dans le train, j'ai mis deux masques, je ne peux pas prendre tous ces précautions depuis un an et puis me faire contaminer sur un voyage de deux heures!".
"bêtise"
Les deux chefs refusent de "comprendre" cette nouvelle fermeture fin octobre jusqu'au 20 janvier, au mieux.
Samedi midi, "on serait mieux bien installé dans un restaurant que faire des courses dans un lieu très fréquenté" et le réveillon y serait plus sûr que dans les appartements avec un apéritif debout, assure Guy Savoy.
"On est en train de sacrifier les cafés et restaurants à l'autel de la bêtise", lance Jean-François Piège à l'AFP. "On a été assujetti à de lourdes sanctions parce qu'on s'aperçoit que les restaurants sont fermés et les contaminations reprogressent. Dans ce cas, fermez tout le pays!"
Si leurs confrères étrangers sont admiratifs devant les aides publiques françaises, ils trouvent qu'elles ne sont pas suffisantes.
Sur le premier confinement "on a eu les aides zéro", sur le deuxième "sur 5 restaurants à Paris, il n'y a que 3 qui sont éligibles, les autres n'ont pas assez perdu- 42%, c'est beaucoup, mais il faut perdre 50%", énumère Jean-François Piège.
Par ailleurs, il se bat en justice avec l'assureur Axa qui refuse de l'indemniser pour ses pertes liées à la fermeture administrative. "Axa cherche à préserver ses bénéfices alors que le combat des restaurateurs c'est pour préserver leurs emplois, leurs filières".
S'il est sûr de retrouver sa clientèle dans le restaurant étoilé, Guy Savoy s'interroge sur l'avenir de ses deux Supu Ramen qui servent des nouilles franco-japonaises à des prix abordables.
Le premier est au quartier Latin, "un lieu très touristique et on ne sait pas quand le tourisme reprendra", le deuxième dans un quartier de bureaux où les commandes ont chuté de 50% à cause du télétravail "qui va perdurer".
"Manque de vie sociale"
"La moitié des restaurants à Paris ne pourront pas rouvrir", avance Guy Savoy. Certains vont s'installer en province "où les loyers sont plus bas, il y a moins de grèves et de gilets jaunes".
Pendant cette période festive, les deux chefs introduisent des homards, huitres, foie gras et autres volailles fines dans leur menu à emporter "pour que la gourmandise ne soit pas confinée", selon Guy Savoy.
Il a "pris le risque" et acheté 37 poulardes à son fournisseur habituel, mais a fait ensuite une nuit blanche, n'étant pas sûr de "pouvoir les présenter correctement. "Ce sera bon, mais hors sol".
"On le fait avec tout notre coeur, mais on n'a pas choisi ce métier pour se résoudre à ce qu'il soit mis en barquette et réchauffé", renchérit Jean-François Piège.
"On est dans les vrais rapports humains, ce pain vous le touchez, il est croustillant, le champagne pétille, tout ce qui se passe dans un restaurant est sublimement concret. C'est ce que viennent chercher les convives chez nous dans ce monde de plus en plus virtuel", souligne Guy Savoy qui confie vivre "très mal ce manque de vie sociale".