DUBAÏ: C'est dans la métropole côtière de Djeddah, en Arabie saoudite, que Lama al-Bluwi a passé son enfance. Elle a toujours eu le sentiment d'être détachée des racines bédouines de sa famille à AlUla, dans le nord du pays. Aujourd'hui, son désir de préserver ce riche héritage culturel prend forme à travers une collection de mode remarquable, qui associe les dessins traditionnels de ses ancêtres aux dernières tendances de la mode.
À travers le Royaume, les jeunes Saoudiens puisent leur inspiration dans le patrimoine de leur pays, et Lama al-Bluwi est l’une d’eux. La collection primée de cette jeune femme de 23 ans a été dévoilée l'hiver dernier, à peine quelques mois après avoir obtenu son diplôme de stylisme de l'université Dar Al-Hekma de Djeddah.
«Je me suis inspirée du patrimoine bédouin, et j'ai essayé de le représenter d'une manière plus moderne et plus branchée», raconte Lama à Arab News. Le prix de la collection de mode la plus créative que l'université lui a décerné, l'a encouragée à présenter ses créations lors de la Saison AlUla, un festival qui célèbre la créativité et les talents des Saoudiens.
Le travail de Lama al-Bluwi se démarque par les portraits de bédouins dessinés à la main qu'elle imprime sur des tissus locaux. Elle en fait des manteaux, des vestes, des sweatshirts à capuche et des T-shirts oversize qui cartonnent sur Instagram auprès des clients qui en ont assez des designs trop prévisibles et haut de gamme.
«De tout temps, j'ai réalisé des portraits de bédouins, alors j'ai mêlé toutes mes idées pour présenter ma collection et mon projet de fin d'études à l'université », dit-elle.
Al-Bluwi qui est née et a grandi à Djeddah, se souvient de ses voyages à la ferme familiale d'AlUla chaque hiver pendant son enfance. Elle se souvient avec émotion de la convivialité des habitants et de la culture fière des bédouins, ces Arabes nomades qui vivent dans le désert du Royaume. «Je retrouve chez eux quelque chose de réel. Ce sentiment d'être, d'authenticité et de réalisme m'inspire», dit-elle.
«C'est leur vie simple qui m'a fascinée. Pour moi, ce sont des gens qui travaillent dur et qui m'inspirent à bien des égards. Ils sont vraiment généreux, et j'adore ça. Le respect qu'ils portent à leur héritage est particulièrement touchant et ils sont très fiers de leurs origines.»
AlUla est une ancienne ville impressionnante entourée de murailles et abritant des maisons historiques en brique de terre et en pierre. Située dans la région de Médine, dans le nord-ouest de l'Arabie saoudite, elle abrite également la merveille nabatéenne de l'Hégra, vieille de 2 000 ans et connue sous le nom de Mada'in Saleh. Hégra est le premier site du Royaume à être classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Compte tenu de la notoriété grandissante d'AlUla en tant que site archéologique et touristique du Moyen-Orient, la population locale est bien entendu fière de son histoire et de sa culture.
Si Al-Bluwi visitait chaque année sa maison ancestrale, son enfance et ses années d'éducation passées à Djeddah lui ont donné le sentiment d'être détachée de son héritage. Curieuse de connaître ses racines et de sortir de la bulle culturelle de la « scène de Djeddah », comme elle l'appelle, Al-Bluwi s'est lancée à la découverte de ses origines.
Ce voyage personnel n'a pas tardé à prendre une tournure créative. Al-Bluwi s'est d'abord intéressée aux beaux-arts. Elle a découvert par la suite sa passion pour les tissus, encouragée par son amour du croquis et des voyages en famille en Europe où elle a visité des musées.
«Je suppliais ma mère pour qu'elle m'accompagne au musée», se souvient-elle. « Personne de ma famille n'était intéressé, mais je les obligeais à y aller et ils adoraient ça. Mais c'est moi qui ai pris l'initiative.»
Bien qu'AlUla et l'héritage bédouin soient au cœur de son travail, ses créations ont également été influencées par la culture japonaise, en particulier le concept de wabi-sabi – l'art d'accepter l'imperfection.
«Tout ce qui est brut et imparfait est parfait, plus que ce qui est poli», précise-t-elle. «C'était mon concept de base. Quand vous regardez mes créations, vous remarquerez que les coutures sont à l'envers et que les bords sont rugueux. J'ai intégré les imperfections dans mes créations.»
En effet, sa recherche a été motivée par son amour des «choses bizarres et imparfaites». «Je n'aime pas voir des choses polies et impeccables, alors j'ai commencé à étudier l'histoire de l'imperfection, puis je suis tombée sur cette philosophie japonaise», dit-elle. «Je me suis documentée, j'ai fait des recherches et cela m'a paru incroyable.»
Al-Bluwi affirme que ses créations sont très prisées en Arabie saoudite, et que beaucoup de ses amis aiment les porter. «J'adore quand on s'identifie à une pièce ou quand elle nous apporte quelque chose», dit-elle.
Par ailleurs, elle espère étendre sa présence au-delà du royaume pour propager sa culture et son héritage dans le monde entier.
En dépit de la pandémie de coronavirus, qui met à rude épreuve les petites entreprises et le calendrier des événements de la mode, Al-Bluwi considère que son entreprise est en plein essor et qu'elle fait l'objet d'un intérêt croissant à l'étranger. «J'ai été très heureuse de voir que des gens d'autres cultures s'intéressent à “ma collection”», dit-elle.
Répondre aux demandes d'une clientèle internationale aidera Al-Bluwi non seulement à développer sa marque, mais aussi à élargir l'attrait et l'appétit mondial pour le patrimoine bédouin de l'Arabie saoudite.
«Il est important pour nous, artistes ou designers, de changer notre perspective à ce sujet», déclare-t-elle pour faire référence à sa réticence dans le passé à s'engager sur le marché mondial. «Nous avançons lentement. Pourtant, ma collection a attiré l’attention de plusieurs personnes, je suis donc sur la bonne voie.»
La pandémie a donné à Al-Bluwi le temps d'affiner ses compétences et d'apprendre des autres designers en plein essor en Arabie saoudite, bien qu'elle n'ait pas pu participer aux événements organisés cette année. «J'ai appris qu'il est très important d'avoir une plate-forme active ou un site web de qualité qui permet à tout le monde de consulter mon travail et de ne pas trop dépendre des événements», déclare-t-elle.
Avec les investissements importants que le gouvernement saoudien consacre aux jeunes entrepreneurs dans le cadre de son plan de diversification économique de la Vision 2030, Al-Bluwi se réjouit de voir davantage de créateurs voler de leurs propres ailes.
«Je suis si heureuse de vivre en Arabie saoudite à cette époque. Le travail qu'ils font ici est magnifique. Le gouvernement nous épaule de bien des manières -– dans la mode, mais aussi dans de nombreux autres secteurs», affirme-t-elle.
«Ça fait plaisir. Cela nous incite à aller de l'avant de la meilleure façon possible, et je suis fière des talents saoudiens parce qu'une motivation réciproque nous anime.»
Twitter : @CalineMalek
Ce texte est la traduction d'un article sur Arabnews.com