JÉRUSALEM : En échange de relations ouvertes avec Israël, le Maroc a obtenu un “cadeau” de Trump: la reconnaissance par Washington de sa souveraineté sur le Sahara occidental, déclare Bruce Maddy-Weitzman, spécialiste des relations israélo-marocaines à l’université de Tel-Aviv.
Avez-vous été surpris lorsque le président américain, Donald Trump, a annoncé jeudi un accord de normalisation des relations entre Israël et le Maroc?
Honnêtement, oui. J‘ai été surpris. C’était dans l'air depuis un certain temps, mais je n'étais vraiment pas certain que ça allait se produire. Et pour comprendre pourquoi ça c'est produit, il faut regarder le timing. Du point de vue des Marocains, il s’agit d'un cadeau d’une administration Trump sur le départ et d'un cadeau de surcroît central à l’identité nationale du Maroc, et à sa priorité en terme de politique étrangère depuis le milieu des années 1970: le Sahara occidental. Le fait que l’administration américaine reconnaisse la souveraineté du Maroc sur ce territoire et y ouvre un consulat, c’est vraiment hors de l’ordinaire. Aussi, le fait qu’une nouvelle administration arrive à Washington a poussé les Marocains à conclure l'accord. Enfin, le fait que les accords d'Abraham (entente de normalisation entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn, ndlr) aillent de l’avant rend la chose plus facile pour le Maroc.
S'agit-il d’un échange entre d’un côté la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et de l’autre la normalisation par le Maroc de ses relations avec Israël, allié clé de Washington?
Oui, il s'agit définitivement d’une transaction. Les Marocains n’utilisent pas le mot «normalisation», mais dans la pratique il s’agit d’étendre des relations qui ont toujours été là, et pour les Marocains cela renforce leur image en Occident de pays libéral, tolérant, ouvert, multiculturel et qui valorise son patrimoine juif (...) La question est de savoir quel est le prix payé par les Marocains? Ils ont calculé le prix en termes de politique intérieure de cette mesure. Depuis que le Maroc a fermé son bureau de liaison en Israël, et le bureau de liaison israélien au Maroc au début des années 2000, le roi a préféré maintenir un profil bas en maintenant des relations avec Israël, en développant ces relations, mais en les gardant sous le radar, car il y a une opposition à l’intérieur du pays sur ces relations de la part des islamistes, des nationalistes, de personnes proches des Palestiniens. Pour la monarchie, la question était donc: quel bénéfice pouvons-nous tirer de ça? Et il n’y avait jamais assez de bénéfice qu’Israël pouvait offrir à lui seul afin de renverser la décision de fermer ces bureaux de liaison. Israël avait beau faire du lobbying à Washington en faveur du Maroc sur la question du Sahara occidental, ou pour une aide au Maroc, ce n’était pas suffisant. Mais là, la donne change complètement avec la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Croyez-vous que la France, qui jouit de relations privilégiées avec le Maroc, a joué un rôle pour arriver à ces accords?
C'est la question que je me pose moi-même. Mais je parierais que les Français n'ont pas joué de rôle dans cette affaire et qu’ils vont faire profil bas. Je ne pense pas qu’ils vont suivre les Américains en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Les Français doivent gérer leur relation avec l’Algérie (qui soutient le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui, ndlr) et ne peuvent être perçu comme ayant un parti pris. Il n’est pas dans l'intérêt de suivre les Américains sur ce front, et c'est pour cela que je pense qu’ils n'étaient probablement pas impliqués.