ANKARA: Un décret présidentiel très attendu concernant la nomination de 54 ambassadeurs de la Turquie dans des missions à l'étranger a été publié mardi.
Certaines nominations ont été considérées comme politiques, en particulier celle de Murat Mercan, l'actuel ambassadeur au Japon, qui occupera désormais le poste d'envoyé principal à Washington.
Les experts estiment que la nomination du politicien de 61 ans au poste américain pourrait être un message voilé à l’égard de l’administration du nouveau président élu Joe Biden. La Turquie semblerait donc prête à ouvrir une nouvelle page dans les relations bilatérales, aux yeux des observateurs américains.
Mercan, qui n'est pas un diplomate de carrière, était membre du parlement turc sous le Parti de la justice et du développement (AKP) aujourd’hui au pouvoir, mais aussi vice-ministre de l'Énergie jusqu'à sa démission en 2014. Titulaire d'un doctorat de l'Université de Floride, il est connu pour être proche de l'ancien président turc Abdullah Gul.
Soner Cagaptay, un universitaire turc de l’Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient, révèle à Arab News que les dernières nominations aux postes d’ambassadeurs pourraient être qualifiées de «mini-révolution» dans le contexte de l’approche traditionnelle du ministère turc des Affaires étrangères.
Cette nomination tactique survient pour la première fois dans la capitale de l'allié le plus important de la Turquie, les États-Unis. Mercan est un politicien pragmatique, mais sa nomination est vue comme une rupture significative avec la tradition turque, qui remplit ces postes de diplomates de carrière depuis des siècles», a-t-il ajouté.
Mercan devra faire face à un programme chargé et complexe. En tête de liste, les potentielles sanctions de la CAATSA (Contrer les adversaires de l'Amérique par la loi des sanctions), envisagées à la suite de la décision d’Ankara d’acheter le système de défense antimissile russe, le S-400.
Les termes des sanctions ont été récemment modifiés dans le cadre d’un projet de loi annuel sur la politique de défense. La nouvelle loi permettrait au président d’imposer au moins cinq sanctions à la Turquie d’ici 30 jours, une mission qui à l'administration de Joe Biden qui doit entrer en fonction le 20 janvier.
Un autre défi pour l'envoyé sera l'affaire de Halkbank sur le contournement des sanctions américaines contre l'Iran, et dont le procès débute à New York le 3 mars prochain.
Emre Caliskan, chercheur au Centre de politique étrangère du Royaume-Uni, affirme à Arab News que les nouveaux ambassadeurs ont été soigneusement sélectionnés par le président turc Recep Tayyip Erdogan.
«Le changement d'ambassadeurs dans les pays où la Turquie a eu des différends diplomatiques est une indication qu'Erdogan veut ouvrir un nouveau chapitre. La nomination de Murat Mercan à Washington par exemple dévoile l'intention d'Erdogan d’entamer un nouveau départ avec l'administration Biden», a-t-il avoué.
Il a ajouté que malgré la nomination politique de Mercan, elle sera perçue positivement par les responsables américains qui accusent l'actuel envoyé turc d'être le «bras long» d'Erdogan à Washington.
«Choisir une telle nomination politique pour les États-Unis indique également qu'Erdogan veut entrer en communication directe avec Joe Biden, comme il le faisait avec (le président américain) Donald Trump», a signalé Caliskan.
La nomination par la Turquie de l’actuel ambassadeur en Tunisie, Ali Onaner, en tant qu’ambassadeur en France, est également vue comme cruciale. Ce dernier était effectivement camarade de classe du président français Emmanuel Macron à l’École nationale d’administration.
Diplomate de carrière, Onaner a félicité Macron dans un tweet lorsque son ami a remporté le premier tour de l'élection présidentielle en avril 2017. Cependant, il a récemment attaqué le leader français sur Twitter quand ce dernier a exprimé le souhait de voir Ankara ouvrir des «canaux de dialogue sérieux». Le 9 septembre il tweete : «J'ai un conseil amical à mon camarade de classe Macron: avancez, n'attendez pas, continuez».
Les médias français voient dans la nomination d'Onaner un «rameau d’olivier» qu'Ankara tendrait à Paris.
L’approche du sommet européen des 10 et 11 décembre sera le théâtre de discussions autour de sanctions potentielles contre Ankara pour ses activités contestées en Méditerranée orientale. Ce sujet aura probablement d’inévitables répercussions sur les relations de la Turquie avec la France.
«Les nominations en France et dans d'autres villes européennes indiquent également qu'Erdogan souhaite avoir une meilleure relation avec l'UE. La plupart des ambassadeurs dans les villes de l'UE sont des diplomates de carrière respectés», ajoute Caliskan.
Burak Akcapar, diplomate de carrière qui a servi aux États-Unis, à l'OTAN et en Allemagne, a été nommé ambassadeur en Espagne.
Tugay Tuncer devient ambassadeur aux Émirats arabes unis et Fatih Ulusoy sera le nouvel envoyé en Arabie saoudite, deux fronts diplomatiques épineux dans les relations de la Turquie avec les pays du Golfe. Caliskan a affirmé que les choix d'Erdogan pour les postes d'Abu Dhabi et de Riyad signifient en effet que la Turquie veut améliorer ses relations avec les deux pays.
«Le nouvel ambassadeur à Abu Dhabi, Tugay Tuncer était le chef de mission adjoint de l'ambassade de la Turquie à Washington. De même, avant de devenir ambassadeur en Éthiopie, Fatih Ulusoy était chargé d’affaires diplomatique à Londres. Les deux personnes nommées sont des diplomates de carrière expérimentés qui ont déjà travaillé à Washington et à Londres », a-t-il ajouté.
Un dialogue de haut niveau aurait récemment eu lieu entre la Turquie et l'Arabie saoudite. Néanmoins, il y a quelques mois à peine, Les spéculations sur une éventuelle coupure des relations diplomatiques allaient bon train. En effet, le 14 août Erdogan a averti Abu Dhabi que la Turquie envisageait de fermer son ambassade et de suspendre ses relations diplomatiques avec les Émirats arabes unis à la suite à son accord de normalisation des relations avec Israël.
Il y a deux semaines, les EAU ont suspendu les visas de voyage pour les ressortissants de 13 pays, dont la Turquie, pour «des motifs de sécurité».
Dans un autre acte tactique, Kenan Yilmaz, un bureaucrate actif pendant les négociations diplomatiques sur le conflit en Libye, a été lui aussi nommé ambassadeur de Turquie à Tripoli.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com