ERFUT: Les larmes montent devant un buffet de poupée en bois, posé sur le rebord de la cuisine. C'est un des seuls souvenirs que Marie-Luise Tröbs conserve de son ancienne maison à Geisa, dans l'ex-Allemagne de l'Est communiste.
La septuagénaire a vécu dans cette bucolique commune jusqu'à ses 10 ans avant que sa famille soit expulsée par les autorités de la République démocratique allemande (RDA) en 1961. Depuis la réunification allemande de 1990, Marie-Luise Tröbs se bat pour obtenir un dédommagement de la part de l'Etat fédéral.
"Maintenant, on voit enfin une lueur d'espoir", soupire la présidente de l'association des déplacés de force est-allemands, qui habite aujourd'hui à Erfurt, à quelque 130 kilomètres de sa localité d'enfance, dans le centre du pays.
Car les sociaux-démocrates (SPD) au pouvoir veulent modifier la loi de réparation des injustices commises par le Parti communiste est-allemand (SED), notamment pour inclure les déplacés "dans la liste des groupes de victimes".
En 1952 et en 1961, quelque 12.000 personnes habitant à la frontière des deux Allemagne, dont Mme Tröbs et sa famille, avaient été relogées de force plus à l'est de la RDA. A peine un millier vivent encore aujourd'hui.
Si les autorités communistes justifiaient cette action par l'établissement d'un périmètre de sécurité à la frontière et le "comportement hostile" de certains habitants, la retraitée dénonce "l'arbitraire, la violence et la volonté d'intimidation" du régime est-allemand.
«Criminels de la frontière»
Le matin du 3 octobre 1961, en rentrant de l'église, Marie-Luise Tröbs découvre avec stupeur plusieurs camions et policiers armés devant sa maison.
"Ils nous ont conduits dans la rue devant tout le monde, comme si nous étions des criminels", raconte-t-elle. Sa famille doit alors faire ses valises en quelques heures.
"Jusqu'à sa mort, mon père a ressassé ce qu'on avait bien pu faire de mal", sanglote Mme Tröbs. Sans compter la réputation de "criminels de la frontière" qui colle à la famille.
Plus au nord, à Dömitz, l'opération a aussi laissé des traces. Inge Bennewitz, 82 ans, parle "d'une cicatrice qui n'a jamais guéri". Depuis son bureau de Berlin, elle se remémore l'expulsion injustifiée de ses parents, alors qu'elle était étudiante.
Dans leur nouvelle maison, "il n'y avait que deux petites pièces, pas de cuisine et les toilettes étaient dans la cour", raconte Mme Bennewitz. "D'un coup, nous n'avions plus rien".
Sa famille est décrite comme "incorrigible" par un journal local. "Je ne suis jamais allé au centre-ville car j’avais peur qu’on me crache au visage", frissonne Inge Bennewitz, qui dirige un groupe de recherche sur les déplacés de force.
Se dépêcher
"Ce traumatisme doit être réparé par la société, sinon nous, les victimes, ne trouverons pas la paix", revendique Marie-Luise Tröbs.
Elle réclame un dédommagement de 20.000 euros : "10.000 euros pour l'injustice subie dans la RDA, 10.000 euros pour l'injustice subie depuis 1990".
Depuis 1992, deux lois ont été adoptées puis régulièrement amendées pour dédommager les victimes du SED. Il s'agit notamment d'anciens prisonniers, de travailleurs forcés et de personnes séparées de leurs enfants.
Mais les réparations se sont encore attendre pour les déplacés de force qui se heurtent aussi aux procédures administratives.
"Les évènements de 1952 et 1961 sont maintenant très anciens et les documents de l'époque sont incomplets", explique à l'AFP Evelyn Zupke, commissaire fédérale aux victimes de la dictature communiste est-allemande.
A ce poste créé en 2021, elle travaille avec députés et associations pour faire évoluer les lois mémorielles.
"Je répète aux politiques qu'il faut vraiment se dépêcher", assure Evelyn Zupke, qui salue l'initiative du SPD et appelle à un projet de loi avant la fin de l'année.
Déplacés de force mais aussi sportifs contraints au dopage, anciens pensionnaires en foyer de "redressement", enfants séparés de leurs parents, l'Allemagne a beaucoup travaillé ces dernières années sur la reconnaissance des victimes de la dictature communiste.
Dans son dernier rapport publié mi-juin, la commissaire Evelyn Zupke souligne toutefois à quel point beaucoup se trouvent aujourd'hui dans une situation précaire, estimant qu'"environ la moitié des personnes touchées par l'injustice du SED vivent au bord de la pauvreté".