BEYROUTH: Six mille Libanais feront le grand pèlerinage de l’Adha cette année. C’est le deuxième grand Hajj après les années Covid et les quotas de chaque pays ont été revus à la hausse.
L’année dernière, selon les chiffres officiels, deux mille cinq cents pèlerins Libanais s’étaient rendus à La Mecque – alors que le quota était de deux mille sept cents – durant le mois de Dhou al-hijja, (celui du pèlerinage en français), le dernier mois du calendrier musulman, pendant lequel est célébrée, le 10e jour, la fête de l’Adha.
Mais aujourd’hui, au Liban, où plus d’un habitant sur deux vit désormais dans la pauvreté, ce devoir religieux est devenu pour beaucoup difficile à accomplir, malgré les nombreuses aides de l’Arabie saoudite.
Le Royaume prévoit en effet un soutien matériel aux fidèles les moins nantis, dans le monde entier, afin qu’ils puissent se rendre une fois dans leur vie sur les lieux les plus saints de l’islam, comme le stipule la loi religieuse.
Cette année, les Libanais ont rempli le quota fixé par l’Arabie saoudite, mais, selon différents organisateurs de campagnes de pèlerinage, le nombre de personnes qui désirent se rendre à La Mecque a chuté de moitié, les Libanais n’ayant plus les moyens de partir. De plus, un grand nombre de musulmans libanais avaient tendance à effectuer le pèlerinage plusieurs fois durant leur existence, ce qui est devenu presque impensable aujourd’hui.
«Pour aller au Hajj, il faut compter au minimum 3 500 dollars [1 dollar = 0,91 euro]. Cela inclut le prix du passeport, du billet d’avion, du transport à La Mecque entre différents sites religieux, notamment la Kaaba, le Mont Arafat, et Mouzdalifa, la nourriture… Cela représente le budget de l’ensemble du voyage. Selon les moyens des pèlerins, ce prix peut atteindre 15 000 dollars.»
De plus, rares sont les personnes qui vont seulement en pèlerinage à La Mecque. En effet, la plupart des fidèles se disent: «Nous sommes déjà en Arabie saoudite, nous irons aussi à Médine. C’est ce que j’ai fait moi-même, comme beaucoup d’autres. Mais cette extension du voyage occasionne aussi des frais supplémentaires», souligne Riham*.
Cette jeune femme s’est déjà rendue en pèlerinage à La Mecque et à Médine et s’occupe de personnes dans le besoin à Ras el-Nabeh, un quartier de la capitale libanaise. Là, au cœur du Beyrouth sunnite, les habitants, issus de la classe moyenne dans leur immense majorité, ont sombré dans la pauvreté en raison de la crise économique qui touche le Liban depuis l’automne 2019.
«Il y a beaucoup de gens qui n’ont plus les moyens de partir. D’autres ont peur de mourir avant d’avoir effectué le pèlerinage. Ce sont des personnes âgées et des malades. Nous essayons d’aider celles et ceux que nous soutenons, par exemple en essayant de les mettre en contact avec des bienfaiteurs qui pourraient financer leur pèlerinage», ajoute Riham.
«Rien n’est impossible à Dieu»
Khadija* a 50 ans. Cette femme divorcée a perdu son fils il y a deux ans. Il avait 27 ans. Il a été tué par une balle perdue. «Ma belle-fille vit désormais avec moi et je m’occupe avec elle de mes deux petits-enfants orphelins, âgés de 4 ans et de 2 ans et demi», confie-t-elle. «Ma vie n’a jamais était facile. Dans ma détresse, je priais, je savais qu’Allah m’entendait. Je rêvais d’aller en pèlerinage. Quand mon fils a grandi et qu’il a commencé à gagner sa vie, il m’a promis qu’il couvrirait les frais de mon pèlerinage, mais le destin en a voulu autrement», explique-t-elle avec tristesse. Elle soupire: «Aujourd’hui, nous vivons pratiquement de l’aumône. Parfois, je me dis que, pour moi, aller au Hajj relève de l’impossible. Mais rien n’est impossible à Dieu.»
Oula* habite Ras el-Nabeh. Elle fait partie de ces nouveaux pauvres du Liban qui, issus de la classe moyenne, ont sombré dans la pauvreté. Cette Beyrouthine pure souche est âgée de 80 ans, mais elle a la force de survie et la résilience de sa ville natale. «J’ai déjà été en pèlerinage une fois. C’était il y a environ vingt-cinq ans. Nous avions les moyens de la faire. Je n’oublierai jamais ces jours passés à La Mecque et à Médine. J’étais heureuse de voir s’accomplir la volonté de Dieu. Tout était beau, comme dans un rêve», se souvient-elle. Mère de cinq enfants, Oula était mariée à un homme qui travaillait dans l’administration et qui est décédé il y a quelques années.
«L’une de mes filles est morte à 45 ans d’un cancer. Son frère, comme le permet la charia, conformément à son testament, est parti en pèlerinage à sa place après son décès. J’ai une autre fille âgée de 58 ans qui est profondément dépressive et qui souffre d’insuffisance rénale. Depuis la mort de sa sœur, elle rêve d’aller à La Mecque. Elle en parle tout le temps», raconte l’octogénaire.
«Elle dit qu’elle ne veut pas que quelqu’un aille en pèlerinage à sa place après sa mort comme c’est arrivé avec sa sœur. Elle est presque hantée par cette idée. Je fais tout pour la rassurer. Même si j’ai 80 ans, je veux accompagner ma fille au Hajj pour m’occuper d’elle. Elle ne peut pas y aller seule et je veux qu’elle réalise son rêve», explique-t-elle. «S’il n’y avait pas eu cette crise économique, si mon mari n’était pas mort, si notre argent n’était pas bloqué à la banque, comme c’est le cas de tous les déposants libanais depuis novembre 2019, nous aurions pu le faire.» Elle ravale ses larmes et chuchote comme pour conjurer le mauvais sort: «J’ai peur de mourir, je crains que quelque chose n’arrive à ma fille avant que nous puissions partir ensemble à La Mecque», ajoute-t-elle.
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.