MARSEILLE: "Non, l'Opéra de Paris n'est pas réservé aux beaux quartiers": au pied des barres d'immeubles d'une cité de Marseille, Sarah, Wellia, Hidaya et leurs camarades adolescentes s'initient, guidés par deux danseurs de la prestigieuse institution, à leur première chorégraphie de danse contemporaine.
"En deux heures, on ne va pas vous apprendre à danser: vous savez certainement danser plein de choses que nous, nous ne savons pas danser. On va juste essayer de vous transmettre une petite part de ce qu'est notre quotidien", les met d'emblée à l'aise Julien Guillemard, 27 ans, du corps de ballet de l'Opéra de Paris.
"L'idée c'est surtout d'apprendre de soi et des autres", poursuit-il à l'attention des dix jeunes filles de 10 à 14 ans réunies pour cet atelier hors norme, avant que sa comparse, Marion Gautier de Charnacé, 26 ans, n'entame l'échauffement.
Un des points chauds du trafic de stupéfiants
Une porte qui grince et qu'il faut huiler, de l'air qu'on pousse et qui résiste, une bougie qui fond: avec une énergie communicative, la danseuse multiplie les images pour rendre plus lisibles les mouvements auprès du groupe qui, tantôt en cercle, tantôt dispersé, ne ménage pas sa peine.
"Quand je vais taper dans les mains, on va essayer de se relever le plus vite possible", lance la pétillante danseuse, faisant alterner gestes doux, relaxation et phases cardio, pour le plus grand bonheur des participantes, dont beaucoup arborent de larges sourires.
"Quand tu fais du contemporain, il faut être souple, plus flexible, agile", note Wellia, 11 ans, crop top rose flashy, les cheveux noués en chignon. Chaque semaine, elle suit avec ses camarades un cours de danse afro-urbaine dans ce centre social tout juste rénové de la Busserine. Un quartier surtout connu pour être un des points chauds du trafic de stupéfiants dans le nord de la ville.
Le ballet classique est "quand même un monde un peu élitiste. Que des jeunes de milieux populaires puissent accéder à cela, c'est merveilleux", "ce ne sera plus des a priori mais quelque chose qu'elles auront vécu", estime Rania Yahyaoui, la directrice du centre social de l'Agora.
«Casser une forme d'élitisme»
"C'est un quartier où en règle générale, il y a plus de morts de kalachnikov que de danseurs de l'Opéra", souligne Dominique Bluzet, le directeur des Théâtres, qui regroupe quatre salles de spectacle à Marseille et Aix-en-Provence, à l'origine de ce partenariat avec l'Opéra de Paris: "Aller dans les cités, c'est aussi casser une forme d'élitisme, (...) que des mondes aussi éloignés se rencontrent".
"On est une maison d'Etat, on se doit d'aller dans les différents territoires de France car l'Opéra est à tout le monde", abonde Marion: "Là nous avons vu des danseurs qui ont une vie entièrement différente de la nôtre, et la façon dont ils dansent est forcément influencée par cela".
Dans la seconde partie de l'atelier, en duo désormais, Maïssa, Djila et leurs camarades reproduisent pas à pas une "phrase chorégraphique" tiré de "Pit", un ballet de l'Américaine Bobbi Jene Smith et de l'Israélien Or Schraiber.
"Pit, ça veut dire la fosse, le noyau, le coeur de quelque chose", explique en préambule Julien, avant d'esquisser avec Marion les premiers pas du duo. "Cette approche de la danse plus contemporaine (...) leur permet d'avoir accès à un éventail de choses que l'Opéra de Paris est aussi", développe-t-il.
Une rencontre qui va laisser des traces
"C'était beau à voir mais c'est plus dur à faire", commente avec malice Sarah, 13 ans, à la fin de l'atelier. "On a l'énergie mais (...) quand on s'entraîne, on ne fait pas beaucoup de mouvements avec notre haut du corps, nos bras, on travaille plus vers les pieds, sur les appuis", détaille-t-elle.
A la fin de l'échauffement, sur un rythme endiablé, les dix jeunes filles montrent à Marion et Julien la chorégraphie qu'elles présenteront pour le spectacle de fin d'année.
"Le but n'est pas d'en faire des spectateurs de théâtre, le but c'est d'avoir organisé une rencontre qui va laisser des traces", relève Dominique Bluzet.
"L'art c'est quand même la plus belle des excuses pour se retrouver ensemble et partager". Or ,"sans ce projet-là, on ne se serait pas rencontrés", conclut Marion.