PARIS: Impactée par la crise russo-ukrainienne, notamment dans le domaine énergétique, l’Union européenne (UE) se tourne vers l’Algérie pour remplacer le gaz russe. Cette alternative est-elle envisageable à court terme et dans quelle proportion?
En se privant de la manne gazière russe, l’UE a frôlé la récession. Malgré les risques prévisibles d’un effet boomerang, elle a misé sur un effondrement rapide de l’économie russe, faisant fi de ses propres vulnérabilités. Surprise par la capacité de résilience de la Russie et sans véritable plan B, l’UE tente dans la précipitation de trouver d’autres possibilités. Cette quête s’est vite heurtée à la réalité d’un marché où l’offre est déjà sous tension. Liés par des contrats à long terme, les producteurs – même réunis – ne disposent pas de capacités supplémentaires suffisantes pour remplacer un flux de 170 milliards de m3 par an, soit 40% des besoins européens.
Parmi les pays convoités, l’Algérie figure en bonne place en raison de sa proximité géographique avec l’Europe, de son potentiel gazier et de sa fiabilité reconnue de tous. Plus de 80% de ses exportations achèvent déjà leur course dans les terminaux européens, la classant au troisième rang des fournisseurs derrière la Russie et la Norvège. Néanmoins et malgré sa position de premier exportateur africain et septième mondial de gaz, l’Algérie ne peut répondre que partiellement à la nouvelle demande européenne, en raison de ses engagements contractuels en cours, de ses besoins internes en hausse et de l’insuffisance des investissements en amont.
Dans l’immédiat, c’est l’Italie qui a remporté la course au gaz algérien en préemptant la quasi-totalité du surplus de production. En plus des 21 milliards de m3 par an qu’elle capte déjà via le gazoduc Enrico Mattei (ou Trans-Mediterranean Pipeline), elle a su négocier une montée en puissance de 9 milliards de m3 en 2023 et autant en 2024. La prouesse de l’Italie n’est pas fortuite, elle résulte du rapprochement exceptionnel des deux pays couronné par la conclusion – entre autres accords – de deux protocoles stratégiques entre la compagnie italienne Eni et la compagnie algérienne Sonatrach en janvier 2023.
Ce partenariat gagnant-gagnant dépasse la simple fourniture de gaz, la partie italienne s’engageant à investir dans plusieurs projets d’envergure. Outre la prospection et le développement de nouveaux gisements, il vise la réalisation d’un nouveau gazoduc (Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie ou Galsi), l’installation d’un câble électrique sous-marin, ainsi que l’extension de la capacité de liquéfaction du gaz naturel. Un autre volet concerne le développement de projets communs dans la transition énergétique, la décarbonatation, les énergies renouvelables, l’hydrogène vert, ainsi que la capture et de stockage de dioxyde de carbone.
Pionnière mondiale de la liquéfaction, l’Algérie entend également prendre toute sa part dans la production de gaz naturel liquéfié (GNL), un secteur qui remporte un vif succès depuis la crise ukrainienne.
De son côté, Sonatrach a programmé un nouveau plan quinquennal (2023-2027) d’investissement de 40 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) afin de conforter son avantage concurrentiel sur le marché international. Cette enveloppe sera principalement consacrée à l'exploration et à la production de gaz avec l'objectif d'augmenter ses capacités à court et à moyen terme.
Pionnière mondiale de la liquéfaction, l’Algérie entend également prendre toute sa part dans la production de gaz naturel liquéfié (GNL), un secteur qui remporte un vif succès depuis la crise ukrainienne. Il devrait compter pour moitié dans les échanges gaziers internationaux à l’horizon 2050. Pour avoir abrité la première usine de liquéfaction au monde (Arzew, 1964), Sonatrach a acquis une expertise pour opérer les différents procédés de production, du gisement jusqu’au méthanier. Le groupe dispose aujourd’hui de plusieurs complexes de liquéfaction d’une capacité – non saturée – de 56 millions de m3 par an qu’elle prévoit d’étendre. Pour le seul premier trimestre 2023, les exportations de GNL ont enregistré une croissance de 16,3%. Autre atout non négligeable, Sonatrach possède sa propre flotte de méthaniers. Ce qui lui permet de réduire les coûts induits par les affrètements et d’éviter les aléas liés à la disponibilité des navires.
Après une année 2022 faste, l’énergéticien algérien a annoncé la découverte de six gisements, en effort propre, au cours du premier trimestre 2023, dont deux sont déjà en exploitation dans le bassin d’Amguid Messaoud. Une aubaine pour le pays qui compte atteindre progressivement une capacité à l’export de 100 milliards de m3.
À plus long terme, l’Algérie est destinée à devenir le grand hub gazier sud-méditerranéen en recevant le gaz nigérian et nigérien. Cela se concrétisera dès l’achèvement du projet de gazoduc transsaharien (TSGP) qui doit – dans un délai prévu de trois ans – la relier au Nigeria via le Niger. Dans une deuxième phase, la Libye ainsi que de nouveaux entrants comme la Mauritanie et le Sénégal pourraient se connecter aux infrastructures algériennes pour alimenter l’Europe.
Forte de ces nombreux atouts, l’Algérie compte bien tirer profit de la nouvelle donne. Désormais, elle ambitionne de s’affranchir de sa condition de simple exportateur pour devenir un acteur énergétique de premier plan. L’objectif est de multiplier les partenariats sur le modèle de celui noué avec l’Italie. Ses réserves inexploitées, ses facteurs essentiels de succès et l’amélioration du climat des affaires renforcent son pouvoir de négociation avec les grands investisseurs dans le domaine des hydrocarbures comme dans celui de l’énergie verte.
Les planètes s’alignent pour l’Algérie, qui n’en espérait pas tant. Saura-t-elle saisir cette formidable occasion qui, peut-être, ne se représentera jamais?