PARIS: « Stupéfaits de voir le tapis rouge déroulé » aux pieds du président égyptien, les défenseurs des droits humains demandent à l'occasion de sa prochaine visite à Paris que la France « passe des discours aux actes » et conditionne son soutien militaire à l'Egypte à la libération des prisonniers politiques.
Une manifestation est prévue mardi à 18H00 (17H00 GMT) devant l'Assemblée nationale à l'appel d'une vingtaine d'ONG pour dénoncer « le partenariat stratégique » entre la France et l'Egypte au nom de la lutte antiterroriste.
« On est stupéfait que la France déroule le tapis rouge à un dictateur alors qu'il y a plus de 60 000 détenus d'opinion aujourd'hui en Egypte », a déclaré Antoine Madelin, un des responsables de la FIDH (Fédération internationale des droits humains), une des organisatrices de la manifestation.
La « visite d'Etat » d'Abdel Fattah al-Sissi, de dimanche à mardi, prévoit notamment une procession militaire des Invalides à l'Elysée, un passage à l'Arc de Triomphe ainsi que des rencontres au plus haut niveau politique.
Dans leur appel, les ONG fustigent un pouvoir égyptien qui « se sert abusivement de la législation antiterroriste pour éradiquer le travail légitime en faveur des droits humains et supprimer toute dissidence pacifique ».
Alors qu'en visite au Caire début 2019, Emmanuel Macron avait demandé à Al-Sissi de « protéger les droits humains », il y a eu depuis « une escalade dans la répression » pour aboutir à « la situation la plus grave de l'histoire moderne de l'Egypte », selon Madelin.
« Les avocats, les journalistes, les défenseurs des droits humains y sont poursuivis, harcelés, réprimés », déclare-t-il.
Pour lui, « passer du discours aux actes » signifie « arrêter les ventes d'armes et de matériel de surveillance électronique par des sociétés françaises dans les conditions actuelles, au risque sinon de se retrouver complices de la répression ».
La FIDH s'est félicitée de la libération annoncée jeudi de trois dirigeants de l'organisation égyptienne EIPR, après un appel de 17 ONG internationales et de personnalités comme les actrices Scarlet Johansson et Emma Thompson.
Mais « l'Egypte reste une dictature, si deux ou trois personnes sont libérées aujourd'hui, d'autres seront arrêtées la semaine prochaine », selon la FIDH.
Selon les défenseurs des droits, avec 1,4 milliard d'euros en 2017, la France devance désormais les Etats-Unis pour les ventes d'armes à l'Egypte.
Céline Lebrun est l'épouse de l'égypto-palestinien Ramy Shaath, une des figures du Printemps arabe cairote de 2011, en détention « préventive » depuis son arrestation le 5 juillet 2019.
« Son dossier est complètement vide, les accusations (de « troubles contre l'Etat ») sont dénuées de tout élément de preuve », explique cette enseignante en sciences politiques. Sa détention provisoire a été renouvelée à 19 reprises en 17 mois, Céline Lebrun n'a pu l'avoir au téléphone que deux fois, la première en mai 2020 et en août. Il est emprisonné avec 13 codétenus dans une cellule de 25 m2 : « il dort à même le sol sur des couvertures » alors que sa santé est précaire.
« Message fort et cohérent »
Au-delà de son mari, Lebrun souligne les « milliers de personnes détenues sans preuves ou pour des charges liées au terrorisme alors que les Nations Unies ont critiqué l'utilisation par l'Egypte de cette législation ».
Elle attend du président Macron et des responsables politiques qu'al-Sissi rencontrera à Paris, « un message fort et cohérent » aboutissant à la libération de son « époux et des autres prisonniers d'opinion égyptiens ».
Pour Lebrun, la France et l'Union européenne et les institutions internationales « détiennent des moyens pour faire entendre raison à l'Egypte ».
Les défenseurs des droits recommandent de conditionner toute aide à l'Egypte à des avancées en matière de droits de l'homme comme a promis de recommencer à le faire le président élu américain Joe Biden.
Quant à la conviction de la France que l'Egypte d'al-Sissi serait un « facteur de stabilisation régionale », les défenseurs des droits s'inscrivent en faux.
« J'ai l'impression que l'Egypte ressemble de plus en plus à une cocotte minute prête à exploser », estime Céline Lebrun, alors que des acteurs de la société civile comme son mari pourraient « canaliser une opposition pacifique et démocratique ».