PARIS: L'assassinat du professeur Samuel Paty, qui avait sidéré le monde entier, fera l'objet de deux procès: les magistrats antiterroristes ont ordonné mardi des procès aux assises pour huit majeurs et devant le tribunal pour enfants pour six adolescents.
Le 16 octobre 2020, l'enseignant en histoire-géographie de 47 ans avait été poignardé puis décapité près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) par Abdoullakh Anzorov, un réfugié russe d'origine tchétchène.
Cet islamiste radicalisé avait été abattu dans la foulée par la police.
Cet attentat s'inscrit dans un contexte particulier, celui du "procès des attentats de janvier 2015 commis notamment au sein des locaux de Charlie Hebdo (…) et dans le contexte de menaces terroristes très élevées en France", soulignent les juges d'instruction d'après des éléments de l'ordonnance de mise en accusation dont l'AFP a eu connaissance mardi.
Deux autres attaques ont eu lieu à cette période, début septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo à Paris et fin octobre à la basilique de Nice.
Pour les magistrats, Abdoullakh "Anzorov, déjà ancré dans la violence depuis son jeune âge (...) s'est radicalisé fortement à l'été en 2020".
«Vengeance»
Pour les juges, son "mobile" était "la vengeance d'une offense qu'il estimait avoir été faite à son Prophète, qui méritait une condamnation à mort du professeur, souhaitée par son dieu et sa religion".
Pour cet acte qui avait suscité un immense émoi en France et à l'étranger, conformément aux réquisitions du parquet antiterroriste (Pnat), les magistrats instructeurs demandent que l'infraction la plus lourde, la complicité d'assassinat terroriste, soit retenue pour deux amis d'Abdoullakh Anzorov, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud.
Ils l'avaient accompagné pour acheter des armes, et le second l'avait également véhiculé jusqu'au collège de Conflans-Sainte-Honorine.
Brahim Chnina, père de la collégienne à l'origine de la polémique pour avoir menti sur la teneur d'un cours auquel elle n'avait pas assisté, et le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, auteurs de vidéos sur les réseaux sociaux qui avaient attisé la polémique, avaient été mis en examen pour complicité d'assassinat, tout comme Priscilla Mangel, une convertie à l'islam en lien sur Twitter avec l'assassin les jours précédant l'attaque.
Pour ces trois personnes, comme pour trois autres adultes mis en cause à des degrés divers, les juges demandent un procès aux assises mais pour une infraction moins lourde, association de malfaiteurs terroriste criminelle.
"Même si nous nous félicitons que la qualification de complicité (...) ait été abandonnée, nous accueillons avec beaucoup de déception" le renvoi de M. Sefrioui pour association de malfaiteurs terroriste, ce qui "n'a aucun sens juridiquement", ont indiqué ses avocats, Mes Elise Arfi, Ouadie Elhamamouchi et Sefen Guez Guez.
Ils "comptent faire appel" de l'ordonnance.
"L'horreur du crime a aboli tout discernement" de la justice dans cette "instruction à charge", a dénoncé Me Jean-Christophe Basson-Larbi, avocat de l'un des six, Yusuf Cinar.
Requalification
Les magistrats ordonnent par ailleurs un procès distinct devant le tribunal pour enfants pour cinq adolescents, âgés de 14 et 15 ans au moment des faits, accusés notamment d'avoir procédé à des surveillances près du collège et d'avoir désigné Samuel Paty à l'assaillant.
Initialement visés pour le crime de complicité d'assassinat terroriste, ils devront comparaître pour le délit d'association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées.
Cette requalification "est beaucoup plus appropriée au regard des éléments du dossier", s'est félicité auprès de l'AFP Me Antoine Ory, qui défend un adolescent.
Les magistrats ordonnent aussi la comparution de la fille de Brahim Chnina devant le tribunal pour enfants pour dénonciation calomnieuse.
Dans leur ordonnance, les magistrats soulignent que l'enquête judiciaire "a buté sur la suppression et l'effacement par l'ensemble des mis en cause de leurs données et applications de réseaux sociaux (...) aussitôt après la commission des faits".
A ce jour, six des huit adultes impliqués dans le dossier sont encore en détention provisoire.
Contactés mardi, les avocats de la famille de Samuel Paty n'ont pas réagi dans l'immédiat.
Une partie de la famille a déposé une plainte visant les ministères de l'Intérieur et de l'Education nationale, accusés de n'avoir pas pris suffisamment en compte le péril. Une enquête distincte est ouverte à Paris depuis avril 2022.