ANKARA: Si elle arrive au pouvoir, l'opposition turque emmenée dimanche par Kemal Kiliçdaroglu promet le retour à une diplomatie apaisée avec l'Europe et ses alliés occidentaux et de renouer avec le voisin syrien.
Puissance régionale de 85 millions d'habitants, membre de l'Alliance atlantique dont elle garde le flanc oriental, stratégiquement située aux confins de l'Europe, du Moyen-Orient et de l'Asie, la Turquie s'est progressivement détachée de ses ancrages à l'ouest sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan.
"La plupart de nos problèmes avec l'Union européenne découlent du déficit de démocratie en Turquie", déclare à l'AFP Ahmet Ünal Çeviköz, conseiller spécial du candidat de l'opposition Kemal Kiliçdaroglu, principal adversaire de M. Erdogan pour la présidentielle du 14 mai.
Le candidat a annoncé comme une priorité de son parti, le CHP (social-démocrate, fondé par Mustafa Kemal Atatürk), et de la coalition qui le soutient, la relance du processus d'adhésion de la Turquie à l'UE.
Ce processus, gelé de facto depuis près de quinze ans en raison des réticences de certains Etats européens dont la France, "soutiendra la démocratisation de la Turquie", fait valoir M. Çeviköz.
De même, le responsable souhaite maintenir l'accord passé avec l'UE en 2016 par lequel la Turquie retient les migrants, Syriens principalement, sur son sol, moyennant six milliards d'euros: mais il faut "revitaliser et même réviser l'accord pour renforcer son efficacité", juge M. Çeviköz.
Retour des Syriens
"Le problème concerne autant l'Europe que la Turquie, qui est un pays de destination et de transit des migrants. Mais l'UE n'a pas de politique migratoire", regrette-t-il.
"Le plus important est qu'elle élabore une politique migratoire; qu'elle harmonise les stratégies nationales de ses Etats membres", insiste-t-il.
La Turquie accueille quelque 5 millions de réfugiés dont au moins 3,7 millions de Syriens que le CHP promet de renvoyer dans les deux ans, "sur une base volontaire et dans la dignité".
D'une manière générale, l'opposition compte tourner la page d'une diplomatie transactionnelle, faite de promesses et de coups de mentons.
Elle entend ainsi jouer pleinement son rôle au sein de l'Otan à laquelle la Turquie appartient "depuis 70 ans", rappelle le conseiller.
"La défense turque est grandement renforcée par son appartenance à l'Otan (...) à laquelle nous attachons une grande importance, en particulier après l'agression militaire de la Russie en Ukraine", souligne M. Çeviköz, dénonçant au passage l'acquisition du système de défense anti-missile russe S-400 comme "une erreur" de M. Erdogan.
"Elle nous a coûté cher en nous excluant du programme des (chasseurs américains) F-35", que la Turquie espère réintégrer.
«Partenaire véritable»
S'agissant de l'entrée de la Suède dans l'Otan, barrée par le président Erdogan depuis un an, M. Çeviköz reconnaît les "efforts" de Stockholm pour répondre aux "inquiétudes" d'Ankara, qui accuse la Suède d'héberger des "terroristes kurdes".
Le changement de constitution et la loi anti-terroriste qui arrive au Parlement le 1er juin "vont faciliter son accès à l'Alliance".
Mais il plaide en même temps pour maintenir "un équilibre entre nos alliés de l'Otan et notre important voisin, la Russie", riveraine de la Turquie sur la mer Noire.
"Le temps de la paix viendra et il faudra se réengager de manière pacifique et constructive avec la Russie pour l'avenir de la sécurité en Europe", plaide-t-il, soulignant partager ainsi "l'opinion du président (français Emmanuel) Macron".
Enfin, M. Çeviköz énonce l'autre priorité d'une nouvelle équipe: renouer au plus vite le dialogue avec la Syrie.
Les liens sont coupés entre Ankara et Damas depuis le début de la guerre en 2011 et, malgré les efforts récents de Moscou pour les rapprocher, le président Bachar al-Assad, récemment réintégré au sein de la Ligue arabe, a posé pour condition le retrait de l'armée turque des positions qu'elle occupe dans le nord-est de la Syrie "afin de protéger sa frontière".
"Nous voulons reprendre un dialogue sans condition", insiste M.Çeviköz, dont le parti a toujours maintenu le contact avec l'administration Assad.
Pour lui, le retour promis "à l'état de droit, à la séparation des pouvoirs, changeront immédiatement la perception et l'image de la Turquie, qui redeviendra un partenaire véritable".