TUNIS: Deux mois après la tempête provoquée par les propos du président Kaïs Saïed au sujet des migrants d’Afrique subsaharienne, la Tunisie ne semble pas avoir réussi à convaincre les pays africains de tourner la page.
C’est un «titre» dont Kaïs Saïed se serait bien volontiers passé: être le premier président tunisien à provoquer la première grande crise entre son pays et des nations d’Afrique subsaharienne. Le chef de l’État a en effet déclenché une véritable tempête le 21 février 2023 en tenant des propos considérés comme racistes à l’étranger au sujet des migrants subsahariens en Tunisie.
Lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale (CSN), Kaïs Saïed a prôné des «mesures urgentes» contre l’immigration clandestine d'Africains subsahariens dans son pays, dont la présence, relevant d'une «entreprise criminelle ourdie à l'orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie» afin de la transformer en un pays «africain seulement» et d’estomper son caractère «arabo-musulman», est selon lui «source de violence et de crimes».
Bien qu’elles rejettent les accusations de racisme, les autorités tunisiennes s’efforcent de réparer les dommages occasionnés aux relations de la Tunisie avec les pays d’Afrique subsaharienne et à ses intérêts économiques. D’autant que l’Afrique subsaharienne est considérée par les Tunisiens – qu’il s’agisse de dirigeants politiques ou de chefs d’entreprise – comme une zone d’expansion économique.
La présidence tunisienne a d’abord annoncé le 5 mars dernier une série de mesures en faveur des immigrés subsahariens qui veulent quitter le pays (facilitation des départs volontaires en coordination préalable avec les ambassades de leurs pays, exonération du paiement des pénalités de retard encourues suite au dépassement de la durée de séjour autorisée) et de ceux qui veulent rester. Ces initiatives concernent notamment les étudiants: délivrance de cartes de séjour pour une période d’une année, prolongation de la validité de l’attestation de résidence de trois mois à six mois et promesse d’en faciliter le renouvellement périodique «dans un délai approprié».
Le président lui-même et le nouveau ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, ont ensuite multiplié les échanges avec leurs collègues africains dans un geste d’apaisement.
Deux mois après cette tempête, les efforts des autorités tunisiennes ont-ils porté leurs fruits? Rien n’est moins sûr. Aucun signal n’est venu des gouvernements subsahariens concernés ou de l’Union africaine – qui a condamné les déclarations «choquantes» du président tunisien –, ce qui laisse penser que ces derniers ont déjà tourné cette page douloureuse.
Non seulement il n’y a eu aucune déclaration d’un représentant d’un État subsaharien dans ce sens, mais les autorités des pays subsahariens dont des citoyens résident en Tunisie ont superbement ignoré les gestes des autorités tunisiennes.
Ainsi, les présidences du Sénégal et de Guinée n’ont pas fait état des échanges des présidents Macky Sall et Umaro Sissoco Embalo avec le président Kaïs Saïed. Pire, tout en occultant la rencontre des deux hommes le 8 mars dernier, la présidence guinéenne a fait état de l’arrivée le même jour à Conakry du troisième groupe de Guinéens de retour de Tunisie.
L’Union africaine a elle aussi passé sous silence l’audience accordée le 10 mars 2023 par le chef de l’État tunisien à deux de ses responsables, Mme Minata Samaté Cessouma, commissaire à la santé, aux affaires humanitaires et au développement social, et M. Bankole Adeoye, commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité. Des réactions qui envoient à la Tunisie en réponse à ses gestes un message dont la teneur pourrait être: trop peu, trop tard.