PARIS: Le Parlement s'apprête à adopter définitivement mercredi une proposition de loi pour accéder directement à certaines infirmières, à des kinés ou des orthophonistes, un premier pas à la portée limitée après une série de protestations des médecins.
Initié par la députée macroniste Stéphanie Rist, ce texte vise à faciliter l'accès aux soins en désembouteillant les cabinets des généralistes. Il a obtenu un ultime feu vert du Sénat mardi, avant le vote de l'Assemblée attendu en fin d'après-midi ce mercredi.
Sous certaines conditions, les Français pourront, sans passer par leurs médecins traitants, consulter des infirmières en pratique avancée - les "IPA" qui interviennent notamment sur certaines maladies chroniques - ainsi que des kinésithérapeutes et des orthophonistes.
Mais l'ambition initiale de la proposition de loi, qui a provoqué une levée de boucliers des médecins, a été en partie réduite. Pour se rendre chez des IPA et des kinés, l'accès direct sera limité à ceux exerçant dans des structures comme les maisons de santé pluriprofessionnelles, en coordination avec des médecins.
Contrairement à ce que voulaient les députés, seront donc exclus du dispositif les soignants simplement inscrits dans le cadre plus souple des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui couvrent environ la moitié de la population.
Un bras de fer a opposé sénateurs et députés sur ce point. Les discussions furent "âpres et longues" en commission mixte paritaire, selon Stéphanie Rist (Renaissance), avant que les parlementaires ne renoncent à intégrer dans cette loi ces infirmières et kinés exerçant de façon indépendante.
Les députés ont toutefois arraché une expérimentation dans six départements dont deux d'Outre-mer, souligne-t-elle.
Et pour les orthophonistes en CPTS, l'accès direct restera possible.
Au Sénat, la rapporteure LR Corinne Imbert a revendiqué une "approche équilibrée", "raisonnable", permettant d'éviter "les tensions entre les professionnels de santé". Et le ministre de la Santé François Braun a à son tour loué le "dialogue" pour un "partage de compétences", plutôt que "des mesures de coercition".
Mais la réduction de la portée du texte a agacé certains professionnels: "une fois de plus, nous avons cédé devant le lobbying médical principalement sénatorial", dénonce Emmanuel Hardy, président de l'Union nationale des infirmiers de pratique avancée.
Déserts médicaux
Le texte "n'aura qu'un effet cosmétique", juge de son côté Sébastien Guérard, le président de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), qui estime que seulement 3% des kinés exercent en maison de santé.
L'accès direct à ces kinés sera possible pour huit séances, au lieu des dix dans le texte voté en première lecture à l'Assemblée.
Le texte suscite en revanche beaucoup plus d'enthousiasme chez les pharmaciens dont le rôle sera accru, notamment pour renouveler une ordonnance en cas d'affection chronique et administrer les vaccins.
Un amendement de dernière minute autorisera à titre pérenne les pharmaciens biologistes, en laboratoires, à pratiquer des frottis du col de l'utérus dans le cadre du dépistage du cancer.
Dans l'ensemble, aux yeux de l'UFC-Que Choisir, même s'"il ne faut pas trop se faire d'illusion sur l'impact immédiat" de cette loi pour les patients, "une digue a sauté en terme de partage de compétences entre le médecin" et les autres soignants.
"On donne des clés supplémentaires pour accéder aux soins dans des territoires comme le mien", se réjouit la députée de la Nièvre Perrine Goulet (MoDem). "C'est intéressant, on aurait peut-être voulu aller plus loin, mais il faut entendre aussi les critiques du monde médical", nuance-t-elle.
Comme le soutenaient les sénateurs, les parlementaires de la commission mixte paritaire ont rejeté la demande "d'engagement territorial" des médecins, qui aurait pu amener certains à prendre plus de patients, faire des gardes ou exercer dans un désert médical par exemple.
Le député Horizons Frédéric Valletoux devrait porter un texte en juin devant l'Assemblée, avec le soutien de Renaissance, en faveur d'un "engagement territorial" renforcé.
Mais il est insuffisant aux yeux du socialiste Guillaume Garot qui mène un travail transpartisan sur la question. Ce député voudrait flécher de façon plus contraignante médecins libéraux et chirurgiens dentistes vers les déserts médicaux.