ISTANBUL: Le président turc Recep Tayyip Erdogan a averti vendredi ses partisans conservateurs du "prix à payer" et de possibles représailles si son rival accédait au pouvoir lors des scrutins cruciaux de dimanche.
C'est dans un quartier historiquement conservateur d'Istanbul que le chef d'Etat, enfant de la ville au pouvoir depuis vingt ans, s'est d'abord adressé dans l'après-midi à ses électeurs avant d'inaugurer une mosquée, une énième après les milliers déjà érigées pendant son règne.
L'opposition avance en front uni mue par "la vengeance et l'avidité", a lancé le tribun devant des milliers de sympathisants inconditionnels et autant de drapeaux rouges. Et d'ajouter: "N'oubliez pas, vous pourriez avoir à payer un lourd prix si nous perdons".
Les sondages donnent à son principal rival Kemal Kiliçdaroglu, président du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et chef de file de l'opposition, une légère avance pour la présidentielle de dimanche.
Le retrait jeudi d'un des quatre candidats, Muharrem Ince, devrait jouer en sa faveur, estiment des observateurs. Si aucun candidat ne recueille plus de 50% des voix, les deux premiers s'affronteront dans un second tour le 28 mai. Une première pour le président sortant.
Recep Tayyip Erdogan, qui a vu sa popularité entamée par la crise économique qui frappe le pays de 85 millions d'habitants, s'est montré inhabituellement réservé jeudi soir quant aux résultats.
"Les urnes nous le diront dimanche", a-t-il répondu à une journaliste qui l'interrogeait sur son éventuelle victoire.
Le chef de l'Etat, 69 ans, a aussi admis avoir du mal à convaincre les jeunes dont 5,2 millions voteront dimanche pour la première fois, et qui n'ont pas connu les années 1990 et, comme il le dit, le chaos et la corruption qui ont marqué les gouvernements de coalition.
Perte de soutien
Outre une jeunesse avide d'une vie meilleure qu'il peine à draguer, M. Erdogan a perdu ces dernières années le soutien de segments clés de la population qui l'avaient rallié au début de son mandat en 2003, marqué par une Turquie plus prospère.
Quant aux Kurdes, qui avaient applaudi ses efforts de démocratisation pendant ses premières années, ils devraient aussi se tourner en majorité vers Kemal Kiliçdaroglu.
La grave crise économique - la pire qu'ait connue le pays en un quart de siècle et attribuée par de nombreux observateurs aux convictions économiques peu orthodoxes de M. Erdogan - a par ailleurs érodé la confiance d'autres groupes en son gouvernement.
Rallier ses partisans nationalistes et religieux les plus inconditionnels pour qu'ils ne manquent pas de se rendre aux urnes est donc aujourd'hui indispensable pour le chef de l'Etat islamo-conservateur.
Lutte pour la démocratie
Selon des observateurs, l'avenir démocratique de la Turquie, membre de l'Otan, est en jeu.
"Soit Erdogan perdra, donnant à la Turquie une chance de restaurer la démocratie, soit il gagnera et restera probablement au pouvoir pour le reste de sa vie", estime Soner Cagaptay, chercheur principal au Washington Institute.
Face au mécontentement d'une partie de la société, Kemal Kiliçdaroglu, désigné candidat début mars, a construit sa campagne sur des messages positifs, esquivant les attaques personnelles de M. Erdogan pour se concentrer sur les promesses d'embellies économiques et de libertés.
"Etes-vous prêts pour les changements?", a-t-il ainsi lancé vendredi lors d'un meeting à Ankara, l'air combattif malgré la pluie battante.
Une source au sein de son parti, évoquant des menaces crédibles, a confirmé à l'AFP que le candidat portait un gilet pare-balles sous son costume vendredi, lors de ses deux meetings du jour à Samsun (nord) et Ankara.
Kemal Kiliçdaroglu s'est entouré d'économistes qui ont la confiance des investisseurs occidentaux, ainsi que d'anciens alliés de M. Erdogan pour viser également un électorat nationaliste et conservateur.
Il a par ailleurs dénoncé jeudi l'ingérence électorale russe - une accusation "fermement" démentie vendredi par le Kremlin.
Retour au système parlementaire
Kemal Kiliçdaroglu et sa coalition hétéroclite ont également présenté comme priorité le retour à l'état de droit et à un système parlementaire, afin de clore le chapitre d'une présidence devenue omnipotente depuis le changement constitutionnel de 2017.
Cela obligerait l'opposition à remporter les élections législatives organisées également dimanche. Or, sur ce point, les sondages donnent une longueur d'avance à l'alliance conservatrice de M. Erdogan sur le bloc de l'opposition.
Mais cette dernière pourrait tout de même ravir la majorité au parlement grâce au soutien d'une alliance composée du principal parti prokurde et de formations de gauche.