BOBIGNY: Il y a un an, la mort à Bobigny de Jérémie Cohen, un jeune de confession juive percuté par un tramway après avoir été frappé s'invitait dans la campagne présidentielle. Aujourd'hui, l'enquête s'écarte de la piste d'un meurtre antisémite et dessine un drame aux contours plus complexes.
"Est-il mort parce que juif ? Est-il mort pour fuir les racailles ?", écrivait alors sur Twitter le candidat d'extrême droite Eric Zemmour. Quant à sa rivale Marine Le Pen, elle évoquait ce qui "pourrait être un meurtre antisémite".
Mais un an après les faits, aucun élément n'est venu accréditer le "motif religieux", assure le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Le 16 février 2022 vers 20h00, Jérémie Cohen, 31 ans et porteur d'un handicap léger, traversait les voies ferrées quand il a été percuté par un tramway à Bobigny.
Une première enquête est ouverte pour "homicide involontaire par conducteur" après l'accident, mais rapidement classée sans suite car l'infraction pénale visant le conducteur du train n'était pas caractérisée.
"Il y a eu raté au démarrage, une enquête qui nous est apparue déficiente. A tel point que le procureur a rectifié le tir en désignant deux juges d’instruction", assure Me Patrick Klugman, avocat de la famille Cohen au départ de l'affaire.
Mécontente, la famille endeuillée conduit sa propre enquête. Elle se déplace sur les lieux de l'accident, colle des affiches dans le quartier et lance un appel à témoins qui se révélera payant.
Des vidéos prises par un passant et récupérées par la famille sont largement relayées sur les réseaux sociaux.
Deux enquêtes
On y distingue Jérémie Cohen encerclé par une dizaine de personnes et recevoir de violents coups de poing. Il tombe à terre, se relève puis traverse en courant la chaussée, l'air désorienté, avant d'être percuté par le tramway.
Le père de la victime sollicite aussi Eric Zemmour pour médiatiser l'affaire, qui prend une tournure politique à une semaine du premier tour de la présidentielle.
Une nouvelle enquête est alors ouverte pour "violences commises en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner", confiée à la police judiciaire de Seine-Saint-Denis.
Ce drame va faire réagir toute la classe politique, jusqu'à l'Elysée. Emmanuel Macron réclame la "clarté complète" sur cette affaire qui, avait-il ajouté, ne doit pas donner lieu à des "manipulations politiques".
Très rapidement, deux hommes âgés de 28 et 24 ans se présentent au commissariat. Ils sont mis en examen, l'un pour violences volontaires en réunion, l'autre pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le second est en détention provisoire depuis un an et encourt quinze ans d'emprisonnement.
"Les jeunes que je défends reconnaissent le plus complètement possible d’avoir porté des coups mais ils fournissent des éléments de contexte pour expliquer leur réaction, éléments que la justice semble refuser de prendre en compte", déplore Me Lucas Minkowski.
«Comportement inapproprié»
"Dans l'émotion et la récupération politique, on s'est beaucoup éloigné de la simple réalité de ce tragique dossier et du contour réel des faits reprochés", regrette l'avocat.
L'agression de Jérémie Cohen fait suite à "un comportement inapproprié" de la victime, qui se trouvait en état d'ébriété, détaille une source proche du dossier.
Les deux mis en cause accusent le jeune homme de s'être masturbé devant une mère de famille puis d'avoir agressé sur son passage la petite amie d'un jeune du quartier, provoquant la colère de ses amis. Devant les enquêteurs, ils ont admis l'agression mais récusé son caractère antisémite.
Ces éléments ont été confirmés aux policiers par la jeune fille et des témoins de la scène.
"Mes clients ne sont pas des racistes. Ils ont été élevés en banlieue où la tolérance entre les communautés est le maître mot, contrairement à ce qui existe dans l'esprit de certains représentants de notre nation", estime Me Minkowski.
Ce dossier est "biaisé en raison du contexte initial du classement sans suite du parquet", juge-t-il.
Un an après la mort du jeune homme, "ses parents sont toujours dans une souffrance extrême", confie leur avocat, Me Franck Serfati.
L'instruction est toujours en cours et les juges doivent désormais déterminer la qualification des faits. S'ils retiennent un délit, les deux suspects seront jugés en correctionnelle. En cas de crime, ils seront renvoyés devant les assises.