La Chine renforce sa relation avec l'Europe en utilisant des intérêts économiques, une coopération commerciale et des investissements pour tisser des liens plus étroits. Le président français, Emmanuel Macron, a surnommé cette Europe «le troisième pôle». La question qui se pose est de savoir si la Chine cherche à séparer l’Union européenne (UE) de son allié, les États-Unis, ou s’il s’agit d’une question d’intérêts stratégiques mutuels.
La guerre menée par la Russie en Ukraine a insufflé un nouveau souffle à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), renforçant ainsi le partenariat et la coopération entre ses membres. En revanche, la Chine utilise la diplomatie douce pour gagner progressivement la confiance des puissances influentes de l’UE une par une.
La visite récente du président français, Emmanuel Macron, à Pékin, qui a suivi celle, quelques mois plus tôt, du chancelier allemand, Olaf Scholz, suscite des inquiétudes quant à l’avenir des relations européennes avec les deux rivaux stratégiques qui se disputent le leadership dans le nouvel ordre mondial: la Chine et les États-Unis.
M. Macron a souligné l’importance pour l’Europe de ne pas s’impliquer dans le conflit autour de Taïwan et de devenir plutôt un «troisième pôle» indépendant de la Chine et des États-Unis. Il a qualifié la soumission aux politiques américaines de «pire chose».
Les détracteurs d’Emmanuel Macron soutiennent qu’il est déconnecté de la réalité et des positions européennes, et que la clé pour comprendre ses déclarations réside dans l’identification de qui assure actuellement la sécurité de l’Europe. Est-ce la France, l’Europe dans son ensemble ou les États-Unis ? Ces critiques soulignent la différence entre les contributions de la France pour aider l’Ukraine et celles des États-Unis pour renforcer leurs arguments.
Aux États-Unis, la Maison-Blanche a minimisé les répercussions des remarques du président Macron sur les relations transatlantiques, mais le sénateur républicain Marco Rubio a une opinion différente. M. Rubio maintient que si le président français parle au nom de toute l’Europe, les États-Unis devraient «se concentrer sur Taïwan et les menaces que pose la Chine, et vous gérez l’Ukraine».
La Chine n’a pas exprimé de désapprobation à l’égard de la guerre menée par la Russie en Ukraine ni reconnu l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie en 2014 ou les territoires qu’elle a pris pendant la guerre contre l’Ukraine. Par conséquent, les États-Unis accusent la Chine de soutenir indirectement la Russie dans la guerre.
Néanmoins, la Chine ne considère pas l’augmentation des échanges commerciaux avec la Russie comme une forme de soutien politique. Pour l’UE, la Chine est un partenaire commercial crucial, en raison notamment du fait que les États-Unis sont le plus grand partenaire commercial de la Chine parmi les pays.
Pékin considère également l’UE comme un marché important pour l’économie chinoise. Le volume des échanges commerciaux entre la Chine et l’UE s’est élevé à quelque 912 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) en 2022, soit une augmentation de 23% par rapport à l’année précédente.
La Chine surveille de près la position de l’Otan et elle estime que le renforcement des liens économiques, commerciaux et d’investissement peut être un outil puissant pour influencer la position de l’alliance à son égard. Le leadership de l’Otan dirigée par les États-Unis fait face à des défis diplomatiques de la part de blocs économiques influents tels que les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Cependant, il est possible que la direction de l’Otan réussisse à maintenir l’Europe neutre dans son conflit avec les États-Unis au sujet de Taïwan, notamment parce que de plus en plus d’Européens sont convaincus de ne pas suivre les États-Unis dans une continuation de la guerre froide avec la Chine. Cette opinion pourrait se renforcer en raison de la perte de la Russie et des retombées économiques liées à la crise en Ukraine, qui ont conduit à une montée de la colère publique dans la plupart des pays européens.
Les différences dans les positions des pays européens à l’égard de la Chine créent un dilemme pour l’UE. Certains pays, comme les Pays-Bas, sont alignés sur la vision des États-Unis concernant la Chine, tandis que d’autres, comme la France, adoptent une approche différente. Toutefois, la Chine reste le plus grand fournisseur de l’UE et le troisième plus grand importateur des pays de l’UE en 2022. Cette attitude envers la Chine est non seulement basée sur des intérêts économiques, mais aussi sur le scepticisme à l’égard des politiques américaines.
Il est encore trop tôt pour conclure que la Chine pourrait causer une rupture entre les États-Unis et leurs alliés européens. La relation transatlantique n’est pas uniquement basée sur l’idée de la protection américaine de la sécurité européenne. Les États-Unis dépendent fortement de leurs partenaires européens pour leur soutien, en particulier en ce qui concerne les questions liées à leur influence et leur domination dans le système mondial, notamment au sujet de Taïwan.
En l’absence d’une politique étrangère européenne cohérente, les pays développent isolément leurs propres positions sur la Chine. Cependant, l’actualité du moment n’est pas nécessairement une indication de l’avenir, car tous les pays européens ressentent l’impact du conflit en Ukraine et reconnaissent l’importance du leadership américain dans cette situation.
Le Dr. Salem AlKetbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral