LE CAIRE: Ils n'avaient déjà ni eau courante ni électricité ni réseaux de communication stables. Désormais, les cinq millions d'habitants de Khartoum comptent leurs derniers billets dans un pays au système bancaire quasi inexistant, avant même le conflit qui ravage le Soudan.
Depuis le début des violences le 15 avril, les banques ont baissé leurs rideaux, et les applications en ligne cessent de fonctionner à chaque coupure d'électricité ou d'Internet. Les enveloppes d'argent liquide, qui arrivaient avec les voyageurs, ne viennent plus depuis que l'aéroport a fermé.
Pour Khaled al-Tijani, rédacteur en chef du journal Elaf, "dans les semaines à venir, il va y avoir un sérieux problème" parce que "personne n'a pu mettre de l'argent liquide de côté, tant les combats ont éclaté par surprise".
Khartoum s'est réveillée au bruit des bombes un samedi matin du ramadan, un mois de jeûne observé par les musulmans et durant lequel les habitants veillent traditionnellement jusqu'à l'aube et se lèvent tard.
Les deux généraux au pouvoir depuis leur putsch d'octobre 2021 venaient de se retourner l'un contre l'autre, déployant dans les rues des milliers de combattants: des soldats pour Abdel Fattah al-Burhane, et des paramilitaires pour Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti".
Depuis, les autorités ont recensé plus de 500 morts dans la capitale et des milliers de blessés, mais les Soudanais redoutent un bilan bien plus lourd: plusieurs corps jonchent les rues – inaccessibles en raison des combats – et n'ont de ce fait pas pu être répertoriés.
Dans ce chaos, "les gens ont utilisé les billets qu'ils avaient sur eux pour acheter de quoi manger quand la guerre a éclaté, donc ils n'ont plus rien en poche", explique l'analyste soudanais Hamid Khalafallah.
Et désormais, impossible de se rendre à la banque pour en obtenir plus. "Les fonds sont bloqués: même quand on a des économies, cela ne sert à rien", assure-t-il.
«Aucune rentrée d'argent»
Dans ces conditions, "il est très difficile de fuir Khartoum ou le Soudan sans liquidités".
Achraf en a fait l'expérience. Quand il a décidé de mettre sa famille à l'abri en Egypte, à plus de 1 000 kilomètres au nord de la capitale, il a dû se plier aux conditions du chauffeur de bus.
"Je n'avais que des dollars et il voulait des livres soudanaises car c'est avec ça qu'il achète de l'essence. Il a fini par accepter mes dollars, mais à 400 livres pour un dollar, alors que le taux officiel est de 600", raconte-t-il.
La valeur de la monnaie américaine "est désormais au bon vouloir de celui qui accepte de la changer", confirme M. Tijani.
Le taux pourrait encore varier, prévient un commerçant étranger établi à Khartoum "car la demande pour la livre a explosé".
Et, rappelle M. Khalafallah, "la guerre a commencé le 15 du mois, quand les salaires n'avaient pas encore été payés".
"Le secteur informel et ses travailleurs journaliers n'ont plus aucune rentrée d'argent", renchérit Kholood Khair, fondatrice du centre de recherche Confluence Advisory à Khartoum. Les autres n'ont pas pu se rendre au travail depuis deux semaines.
Ils "s'entraident ou recourent au troc, en espérant la fin de la guerre pour bientôt", observe Khaled al-Tijani.
«Fermé jusqu'à nouvel ordre»
D'autres comptent sur le paiement de leur salaire d'avril via des applications en ligne. Mais il faut s'armer de patience en attendant que l'électricité et Internet fonctionnent simultanément pour que le transfert puisse être effectué.
Quant à l'argent de la diaspora, il n'arrive plus pour le moment. Western Union indique avoir "suspendu ses services à Khartoum jusqu'à nouvel ordre (...) parce que (ses) agents ne peuvent plus travailler en sécurité".
Tous ces outils étaient déjà plus répandus à Khartoum qu'ailleurs dans le pays, où seuls 31% des habitants sont connectés à Internet, selon Data Reportal.
Les autres, habitués à vivre avec des banques autarciques après deux décennies d'embargo international, ont toujours préféré garder leurs économies en espèces.
Dans le chaos de Khartoum, franchir un check-point avec des biens précieux est risqué, plusieurs personnes ayant rapporté la confiscation de leur argent par des paramilitaires.
Certains partent alors avec seulement quelques affaires, parfois "en 4X4, pour traverser le désert et supporter la longue route", relate Mme Khair. Néanmoins, "la voiture peut aussi être volée. Des gens l'ont vécu".