TUNIS : Après avoir pensé à un ancien ministre de la Justice et à l’actuel titulaire du portefeuille de la Défense, le président a choisi de charger de la formation du prochain gouvernement son ancien premier conseiller chargé des Affaires juridiques et actuel ministre de l’Intérieur. Qui a en commun avec le locataire du Palais de Carthage son aversion pour la corruption et le fait de déplaire au mouvement Ennahdha.
Comme cela avait été pressenti, Kaïs Saied a, pour la deuxième fois en six mois, totalement ignoré les candidats proposés par les partis politiques pour le poste de chef de gouvernement. Le président de la République a jeté son dévolu sur un membre de l’équipe sortante, l’actuel ministre de l’Intérieur, Hichem Mechichi. Ce faisant, il n’a pas violé la Constitution, comme l’en accusent les responsables du mouvement Ennahdha, mais a seulement profité de l’une de ses lacunes.
L’article 89 de la Constitution tunisienne
Le texte de la Constitution tunisienne stipule ainsi en son article 89 que le président de la République « charge le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée des représentants du peuple de former le gouvernement dans un délai d’un mois ». Passé ce délai sans qu’un gouvernement ne soit formé ou n’obtienne la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le chef de l’État « engage des consultations dans un délai de dix jours avec les partis politiques, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité jugée la plus apte afin de former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois ».
Mais la Constitution ne dit pas comment procéder si ce cas de figure se présente une nouvelle fois au cours de la même législature : c’est le parti au pouvoir ou le président qui prend le contrôle du processus afin de désigner du nouveau chef du gouvernement.
Hichem Mechichi n’était pas le premier choix de Kaïs Saied
Hichem Mechichi n’était pas le premier choix du président. Car celui-ci avait d’abord proposé le poste de chef du gouvernement à un ancien ministre de la Justice, Mohamed Salah ben Aissa, et à l’actuel titulaire du poste de la Défense, Imed Hazgui, qui n’en ont pas voulu. Le président de la République a alors sorti de sa manche le nom de celui qu’il voulait peut-être garder au ministère de l’Intérieur.
Kaïs Saied, à qui la classe politique impute la responsabilité de la crise actuelle, consécutive à la démission de l’actuel chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, pour soupçons de corruption, a opté cette fois-ci pour un profil différent. Manager, M. Fakhfakh vient du secteur privé. Hichem Mechichi est quant à lui un pur produit de la fonction publique.
Juriste – il a, tout comme Kaïs Saied, décroché sa maîtrise de droit à la Faculté de droit et de science politique de Tunis- doublé d’un énarque – formé à l’École nationale d’administration de Tunis (diplôme de fin d’études du cycle supérieur) et de Strasbourg (Master d’Administration Publique) –, le nouveau chef du gouvernement a fait l’essentiel de sa carrière à La Kasbah, siège du Premier ministre, rebaptisé « présidence du gouvernement » après l’adoption de la Constitution de 2014), comme contrôleur des services publics, spécialisé dans l’audit des organisations publiques.
Après 2011, Hichem Mechichi est devenu un chef de cabinet très prisé. Avec quatre expériences au compteur (Transport, Femme et Famille, Affaires sociales et Santé), il est l’un des plus capés dans cette catégorie. Mais ce n’est pas son seul atout. Le président de la République, qui l’a repéré en début d’année et l’a nommé premier conseiller chargé des affaires juridiques, partage avec M. Mechichi son aversion pour la corruption et apprécie probablement son expérience en matière de lutte contre ce phénomène.
A cheval sur les principes
De fait, M. Mechichi a grandement contribué, en tant qu’enquêteur en chef au sein de la Commission nationale d'investigation sur les faits de corruption et de malversation, créée après le 14 janvier 2011 et présidée par le doyen Abdelfattah Amor, à la rédaction du premier rapport qui a mis à nu l’étendu de ce fléau qui a gangrené le pays sous le régime Ben Ali.
Ce conseiller des services publics reste d’ailleurs à cheval sur les principes de bonne gouvernance et de bonne gestion des deniers publics. Quatre mois après sa nomination au ministère de l’Intérieur, à la fin de février 2020, Hichem Mechichi a ordonné en juin dernier l’ouverture d’une enquête sur des soupçons de non-conformité d’armes, de munitions et de blindés achetés en 2016 et de commissions accordées en rapport avec ce marché.
Last but not least, Kaïs Saied, engagé dans une épreuve de force avec le mouvement Ennahdha, et, surtout, avec son président, Rached Ghannouchi, n’a certainement pas choisi par hasard d’introniser Hichem Mechichi : le nouveau chef du gouvernement ne plaît pas aux Nahddhaouis, voire les inquiète. Ces derniers n’ont pas hésité à le faire savoir à leur poulain, Habib Jemli, chargé au lendemain des élections de novembre-décembre 2019 de former le nouveau gouvernement, lorsqu’il a confié le ministère de l’Intérieur à Hichem Mechichi et ils ont demandé qu’il lui retire ce portefeuille.
Le chef de cabinet au ministère de la Santé qu’était le successeur d’Elyes Fakhfakh, a également été remercié en 2018 par le nouveau titulaire du poste et ancien porte-parole du parti islamiste, Imed Hammami, pour lui confier la direction d’un organisme sous tutelle de ce ministère. M. Mechichi en tiendra-t-il rigueur aux dirigeants du parti islamiste ?