LE CAIRE: Au Soudan, deux généraux rivaux ont transformé les rues en champ de bataille et les réseaux sociaux en arène pour leur guerre de l'information. Mais dans ce domaine au moins, ils ne se battent pas à armes égales.
Le chef de l'armée Abdel Fattah al-Burhane et son rival Mohamed Hamdane Daglo , dit "Hemedti", à la tête des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), "inondent les médias de fausses informations", affirme Raghdan Orsud, co-fondatrice de Beam Reports, qui enquête sur la désinformation au Soudan.
Depuis le 15 avril, début des hostilités, les habitants, barricadés chez eux par peur des balles perdues, s'informent sur internet.
Deux jours après, ils ont découvert avec surprise les communiqués dans un anglais châtié du général Daglo puis des FSR.
Sur Facebook et Twitter, les FSR comme leur chef prétendent combattre "pour la démocratie" contre "les islamistes radicaux".
Sûrement la preuve que les FSR "bénéficient des services d'experts en image et en communication en ligne", confie à l'AFP un spécialiste de la région, sous couvert d'anonymat.
Bataillons de faux comptes
Dans la guerre de l'information, les paramilitaires "distancent" l'armée et ses "vieilles tactiques", explique Mohamed Suliman, de l'Université de Boston.
Sur des comptes non vérifiés, à peine actifs avant la guerre, le général Burhane et l'armée déversent leur propagande trompeuse, comme l'a révélé le service fact-checking de l'AFP.
Frappes aériennes sur les FSR, montagnes de billet trouvées chez Hemedti et combats à l'avantage de l'armée: toutes ces vidéos se sont révélées tournées au Yémen et en Libye et, dans un cas... extraite d'un jeu vidéo.
Mercredi, les FSR ont accusé l'armée d'avoir piraté leur site officiel, hébergé sur un domaine gouvernemental et inaccessible depuis.
Le lendemain, les paramilitaires et le général Burhane perdaient comme tout le monde leur coche bleue gratuite sur Twitter --jusqu'alors réservée aux personnalités reconnues, brouillant un peu plus les pistes.
Vendredi, un compte se réclamant des FSR, avec une faute d'orthographe dans le nom, achetait le précieux badge et postait un message annonçant... la mort de Hemedti!
Ce dernier a conservé le badge --gris-- de son compte, réservé aux comptes gouvernementaux.
Le laboratoire de recherche américain Digital Forensic Research Lab (DFRLab) a repéré "au moins 900 comptes Twitter potentiellement piratés" utilisés par les paramilitaires depuis décembre.
Avec d'autres, ils relayent les contenus des FSR et de Hemedti et "amplifient artificiellement" leur popularité.
Lisser l'image des paramilitaires
Selon Beam Reports, l'armée utilise également des faux comptes. Mais les FSR ont l'avantage d'avoir "déjà fait cela auparavant", affirme à l'AFP Tessa Knight, du DFRLab.
Beam Reports dénonce "une campagne systématique pour lisser l'image des paramilitaires" entamée en 2019 sur Facebook, dans la foulée de l'éviction du dictateur Omar el-Béchir.
Alors numéro deux du Conseil de transition militaire censé mener à un pouvoir civil, Hemedti s'efforçait de faire oublier le passé des FSR: la guerre du Darfour qui a valu à Béchir deux mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) notamment pour "génocide".
Plusieurs pays évacuent leurs ressortissants
La France, l'Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays ont commencé dimanche à évacuer leurs ressortissants ou leur personnel diplomatique du Soudan où les combats meurtriers entre armée et paramilitaires font rage depuis plus d'une semaine.
Deux avions militaires français transportant 200 personnes de différentes nationalités ont ainsi atterri à Djibouti.
L'armée allemande a annoncé avoir évacué par avion militaire 101 personnes du Soudan. "Le premier Airbus A400M est sur le chemin de la Jordanie avec ses 101 évacués", a indiqué l'armée sur Twitter, précisant que deux autres avions avaient été dépêchés au Soudan pour participer aux évacuations.
Le gouvernement espagnol a aussi expliqué avoir évacué dimanche une centaine de personnes par avion militaire, avec une trentaine d'Espagnols et quelque 70 ressortissants d'autres pays à bord.
L'Italie a elle procédé, le même jour, à l'évacuation "d'environ 200 personnes" selon les Affaires étrangères, la Première ministre Giorgia Meloni précisant plus tard que tous les Italiens "qui avaient demandé à partir ont été évacués" du Soudan, avec des "citoyens étrangers".
L'Egypte, grand voisin du nord, a annoncé l'évacuation "par voie terrestre de 436 ressortissants" alors que tirs et explosions ont encore secoué dimanche la capitale soudanaise Khartoum, selon des témoins.
Le pape François a appelé au "dialogue" face à la "grave" situation dans le pays, où, depuis le 15 avril, les deux généraux au pouvoir depuis leur putsch de 2021 se sont lancés dans une guerre sans merci.
En mai 2019, quelques semaines avant un massacre à Khartoum au cours duquel les FSR ont été accusées d'avoir tué au moins 128 manifestants, Hemedti signait un contrat de six millions de dollars avec la société de relations publiques Dickens & Madson. Basée à Montréal, elle est dirigée par l'Israélo-canadien Ari Ben-Menashe, accusé d'avoir soutenu la répression en Birmanie et au Zimbabwe.