PARIS: Emmanuel Macron s'est donné lundi "cent jours" pour agir "au service de la France", et relancer ainsi son second quinquennat englué dans la crise provoquée par sa réforme des retraites, lors d'une allocution télévisée conspuée par des concerts de casseroles à travers le pays.
Depuis l'Élysée, où il a vécu en retrait pendant ces trois mois de conflit social et politique, le chef de l'État s'est adressé pendant 13 minutes aux Français qui rejettent massivement la retraite à 64 ans.
Désormais inscrite dans une loi malgré les protestations des syndicats, la réforme était "nécessaire", a-t-il plaidé, tout en disant "regretter" qu'elle n'ait pas été "acceptée".
Assis à son bureau devant une fenêtre donnant sur les jardins, il a aussi assuré entendre la "colère" des Français, sur les retraites mais aussi les "prix qui montent". "Personne ne peut rester sourd à cette revendication de justice sociale et de rénovation de notre vie démocratique", a-t-il affirmé, alors que le passage en force de l'exécutif avec le 49.3 a attisé le malaise.
Au moment même de cette allocution sans contradicteurs, des concerts de casseroles rassemblaient des milliers de personnes devant de nombreuses mairies et préfectures.
"En réponse au fait qu’il ne nous écoute pas, on fait du bruit", a résumé Adrien Bodin, un autoentrepreneur de 26 ans, présent à Paris où des tensions ont ensuite éclaté entre manifestants et forces de l'ordre.
«Feuille de route»
Le président, déterminé à reprendre l'initiative, a surtout esquissé une "feuille de route" que sa Première ministre détaillera "la semaine prochaine". Alors qu'elle apparaissait menacée, Elisabeth Borne obtient ainsi un sursis de trois mois, et aucun remaniement n'est prévu dans l'immédiat.
"Nous avons devant nous 100 jours d'apaisement, d'unité, d'ambition et d'action au service de la France", a clamé Emmanuel Macron, donnant rendez-vous "le 14 juillet" pour "un premier bilan".
Pendant cette période, il a fixé trois chantiers, à commencer par la construction, avec les partenaires sociaux, d'un "nouveau pacte de la vie au travail" pour "améliorer les revenus des salariés" ou combattre "l'usure professionnelle".
En parallèle, il veut engager la réforme du lycée professionnel, "ramener vers le travail" les bénéficiaires du RSA, et dévoiler "d'ici l'été" la planification écologique.
Mais le dialogue social s'annonce semé d'embûches.
Le patronat doit se rendre mardi à 11h00 à une rencontre avec le chef de l'État.
"Nous sommes prêts à négocier sur certains des sujets évoqués par Emmanuel Macron, mais pas en 100 jours. Le dialogue social ça prend du temps", a d'ores et déjà réagi sur Twitter le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux.
Quant à l'intersyndicale, elle a décliné l'invitation.
"La porte sera toujours ouverte", a lancé Emmanuel Macron aux syndicats, promettant des négociations "sans aucune limite" ni "aucun tabou".
"Rien de concret", a regretté, après l'allocution, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, tout en concédant que le syndicat réformiste irait discuter "un jour ou l'autre", après un délai de "décence".
Dans l'immédiat, l'intersyndicale mise sur une démonstration de force lors du 1er-Mai.
Le deuxième chantier porte sur la justice et "l'ordre républicain", avec "des annonces fortes" en mai contre la délinquance et les fraudes sociales et fiscales. Emmanuel Macron a aussi promis de "renforcer le contrôle de l'immigration illégale", semblant relancer ce projet qui semblait mis sur pause.
Enfin, troisième chantier : "le progrès pour mieux vivre".
Au menu, l'éducation, qui doit "renouer avec l'ambition d'être l'une des meilleures d'Europe", et la santé, avec l'engagement de "désengorger" tous les services d'urgence d'ici fin 2024.
«Hors de la réalité»
Dès les prochains jours, le président devrait ressortir de l'Élysée pour "échanger avec les Français", selon son entourage. Un ou deux déplacements sont prévus en province dès mercredi ou jeudi pour parler notamment d'éducation.
Le chef de l'État s'est largement tenu à l'écart des bains de foule depuis le début de l'année. Pourra-t-il renouer ce contact, alors que ses derniers déplacements ont été chahutés par des manifestants ?
Brigitte Macron, en déplacement dans le Val-d'Oise, a assuré que le couple présidentiel, malgré les contestations et une "période compliquée pour les Français", n'était pas "isolé". Mais un député de son propre parti Renaissance soupire : "il y a beaucoup d'animosité à son égard".
Retisser le lien sera donc difficile, tant la popularité présidentielle est au plus bas depuis la crise des "gilets jaunes" fin 2018.
Et relancer la machine sera d'autant plus complexe que l'exécutif ressort affaibli de la séquence et n'a pas réussi, comme Emmanuel Macron l'avait demandé à Elisabeth Borne, à élargir sa majorité, qui reste relative à l'Assemblée nationale.
Lundi soir, le président a éludé la question, évoquant des "coalitions et alliances nouvelles" au "plus près du terrain", mais sans en définir les contours. En écho à une "méthode nouvelle" maintes fois annoncée mais jamais concrétisée, il a assuré vouloir "mieux" associer élus, partis et syndicats.
Devant ses troupes réunies dans l'après-midi à l'Élysée, le chef de l'État avait mis en garde contre "le risque de l'impuissance". "Si on ne fait pas immigration et travail" avant le 14 juillet, "ça veut dire qu'on ne le fera pas", avait-il martelé selon deux participants.
Sans surprise, les oppositions ont critiqué le discours présidentiel.
À l'extrême droite, Marine Le Pen a dénoncé une "pratique déconnectée, solitaire et obtuse du pouvoir". "Complètement hors de la réalité", a aussi estimé à gauche Jean-Luc Mélenchon, tandis que le patron du parti Les Républicains Eric Ciotti a déploré un "catalogue de vœux pieux".