PARIS: Quelques heures à peine après la validation par le Conseil constitutionnel de l’essentiel de la réforme des retraites, le président, Emmanuel Macron, y apposait sa signature. Le texte, décrié par une majorité de Français comme injuste, mal préparé et brutal, est désormais un fait accompli.
Cette signature devait mettre un terme à plusieurs mois de polémiques virulentes et de protestations durant lesquels M. Macron a proclamé haut et fort qu’il ne lâcherait rien.
La réalité du pays est tout autre, car la France est plus que jamais vent debout contre la réforme et contre un président qui n’a pas su préserver le raz-de-marée de sympathie qui l’a porté au pouvoir lors de son premier mandat en 2017.
Ce capital s’est érodé au fil des crises successives, et la France est aujourd’hui un pays figé dans ses divisions alors qu’Emmanuel Macron, lui, est un chef d’État qui cristallise tous les rejets des Français.
Sur le papier, il est gagnant puisque sa réforme des retraites est promulguée, mais en réalité, il se retrouve paralysé politiquement et isolé de son peuple.
Ce résultat n’est ni le fruit de la malchance ni celui du hasard, c’est l’aboutissement inévitable de la méthode Macron.
Politologue et professeur de sciences politiques à Kedge Business School, Virginie Martin explique à Arab News en français que le principal problème du texte de la réforme est l’âge du départ à la retraite à 64 ans après quarante-trois annuités de travail.
«Cet âge de 64 ans ne sera pas accepté par l’opinion publique ni par les syndicats», assène-t-elle, d’autant plus qu’il y a eu un grand problème en amont de cette loi.
Mme Martin estime qu’il y a eu une négociation brutale ou plutôt pas de négociations en amont du texte de la réforme; il y a eu une négociation avec les partis politiques, mais pas avec les corps intermédiaires et les syndicats.
C’est donc la méthode qui pose problème, car «objectivement, qu’on soit pour ou contre cette réforme des retraites, rien ne s’est passé correctement».
La réforme impopulaire des retraites n’est pas la seule cause du malaise actuel, elle est surtout le détonateur qui a fait exploser les déceptions accumulées par une grande partie des Français.
La réforme impopulaire des retraites n’est pas la seule cause du malaise actuel, elle est surtout le détonateur qui a fait exploser les déceptions accumulées par une grande partie des Français.
Cette réforme est l’épreuve de trop pour ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen en 2022 et qui vont afficher une sorte de fin de non-recevoir à ses velléités réformatrices.
Ces Français-là, indique Virginie Martin, «vont résister contre ce président qui s’accroche au fait qu’il a été élu, et qui refuse désormais de prendre en considération le fait qu’il a été élu contre Marine Le Pen».
Le président persiste et signe, affirmant qu’il ne veut rien savoir et qu’il est élu, mais «il confond trop facilement légalité et légitimité».
Effectivement, assure la politologue, d’un point de vue légal, il est élu, mais pour acquérir une légitimité, il aurait pu faire autrement en exerçant une présidence plus modeste et surtout en choisissant un meilleur timing pour engager sa réforme.
Le timing de cette réforme est absolument «désastreux», souligne Mme Martin, faisant allusion à deux ans de pandémie de Covid-19, puis à une guerre en Ukraine et à une inflation galopante.
La méthode présidentielle n’est pas appréciée, elle est d’ailleurs au centre des critiques des différentes forces politiques, y compris la sienne, «Renaissance».
C’est pour cette raison qu’il existe autant de violence et de véhémence dans les oppositions, indique Virginie Martin, et c’est cette situation qui a aidé les syndicats à rebondir alors qu’ils étaient moribonds lors du mouvement des gilets jaunes.
Avouant avoir été une «macroniste» de la première heure avant de déchanter, la politologue concède avec amertume: «Il me semble qu’on a affaire à un président qui ne sait pas faire de politique; pour lui, la politique, c’est l’affaire du commun, c’est l’intérêt général, c’est la question de la négociation, c’est la question de tout le monde.»
D’ailleurs, avant d’être président, ajoute-t-elle, il n’a jamais fait de politique et il n’a jamais été élu, donc il ne connaît pas le terrain. «Il se complaît dans sa posture jupitérienne, dans cette verticalité, cette autorité, et plus on l’affronte, plus il se braque, au lieu d’entendre et d’écouter.»
Quand il est contrarié, assure Mme Martin, «il va plus loin, c’est quelque chose qui dépasse le domaine politique, c’est une question d’orgueil personnel».
Il paraît clair que les quatre années qui restent, avant la fin de son second mandat, seront difficiles, à moins d’opérer un changement radical de méthodologie et d’écoute.
Emmanuel Macron va s’adresser ce soir au Français, dans l’intention de tourner la page de la réforme des retraites et d’esquisser un nouveau cap.
Peut-on espérer que cette allocution soit une amorce de changement et un rapprochement sincère avec les Français et les problèmes qui leur tiennent le plus à cœur, soit la restauration des services publics dégradés et le pouvoir d’achat?
Pas si sûr, selon Virginie Martin, car M. Macron «est un président qui aime beaucoup enjamber les problèmes et là, il va encore enjamber».