LE CAIRE: Les tensions entre les factions au pouvoir au Soudan ont explosé samedi lorsque des camions équipés de mitrailleuses et des chars ont circulé dans les rues de Khartoum, ville de 5,2 millions d'habitants. Des frappes aériennes et des tirs d'artillerie ont bombardé des quartiers de toutes parts, déclenchant des incendies et faisant des dégâts.
Les combats se sont rapidement étendus à l'ensemble du pays, de Merowe, au nord, à El-Obeid, au sud.
Pour l'Égypte, la situation au Soudan voisin représente bien plus qu'une simple crise sécuritaire à ses portes. Samedi après-midi, une publication diffusée sur Twitter montrait plusieurs soldats égyptiens détenus près de Merowe. Des informations faisaient état de la présence de l'armée égyptienne à l'aéroport de Merowe, qui sert de base pour des exercices militaires conjoints entre les deux armées.
Dans des déclarations aux médias, Ibrahim al-Shwaimi, ancien vice-ministre égyptien des Affaires étrangères, a précisé que les troupes détenues effectuaient des exercices d'entraînement conjoints avec l'armée soudanaise et qu'elles n'étaient pas parties au conflit.
Les préoccupations de l'Égypte quant à la stabilité du Soudan ne surprennent pas, étant donné la longue histoire des relations fluctuantes entre le Caire et Khartoum. Bien que l'Égypte ait investi des millions dans des projets de développement au Soudan, de nombreuses questions telles que les revendications territoriales sur la partie orientale de la frontière égypto-soudanaise et l'utilisation de l'eau du Nil restent litigieuses.
«L'Égypte recherche la stabilité du Soudan, l'unité du territoire soudanais, la préservation des institutions de l'État soudanais et la solidité de ses forces armées. La stabilité et la force du Soudan protègent la sécurité nationale égyptienne, avec environ 1 200 kilomètres de frontières communes avec nos frères du Soudan, préviennent l'infiltration de terroristes sur nos terres», a déclaré le député égyptien Mahmoud Badr à Arab News.
«De toute manière, les grandes forces armées égyptiennes sont en mesure de maintenir la sécurité dans le sud du pays, comme elles l'ont fait auparavant dans l'ouest, et nous souhaitons au peuple soudanais prospérité et stabilité», a-t-il ajouté.
En seulement deux jours de violence, des dizaines de Soudanais ont été tués et plus de 600 blessés. Les civils sont pris entre deux feux, les enfants sont piégés dans les écoles et les hôpitaux sont complètement débordés par le nombre croissant de victimes.
De nombreux civils, dont trois employés du Programme alimentaire mondial des Nations unies, ont été tués. Les aéroports du pays ont fermé et le principal fournisseur de télécommunications ainsi que les chaînes de télévision ont interrompu leurs services dimanche.
Cette dernière explosion de la violence achève plusieurs mois de tension politique et plusieurs jours de mobilisation militaire. Les affrontements découlent d'événements survenus il y a plusieurs années, après la destitution de l'ancien président soudanais Omar el-Béchir lors d'une révolution en 2019 et l’établissement d’un gouvernement intérimaire.
Deux ans plus tard, le général Abdel Fattah al-Burhan des forces armées soudanaises et le général Mohammed Hamdan Dagalo des Forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) ont pris le pouvoir et mis en place une junte militaire.
Lors du coup d'État de 2021, la date d'avril 2023 avait été fixée pour la transition du Soudan vers un gouvernement civil. Cependant, le fossé entre les anciens alliés Al-Burhan et Dagalo s'est creusé à mesure que les deux hommes se disputaient sur le calendrier et la hiérarchie de l'intégration complète des Forces de soutien rapide (FSR) dans l'armée soudanaise.
Quelques jours avant les violences actuelles, les forces du FSR avaient commencé à se mobiliser dans tout le pays. Aujourd'hui, les deux parties s'accusent mutuellement d'avoir mis le feu aux poudres au Soudan. L'absence d'informations complique l'établissement d’un rapport précis: les FSR et les forces armées soudanaises affirment tour à tour qu'elles contrôlent de vastes étendues de villes et d'autres territoires soudanais.
Dimanche, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a reçu un appel téléphonique de son homologue sud-soudanais Salva Kiir. Les deux hommes ont discuté de la situation récente au Soudan ainsi que des rôles politiques et sécuritaires de l'Égypte et du Sud-Soudan au Soudan.
Ils ont souligné la gravité de la situation et des affrontements militaires en cours, appelant à un cessez-le-feu immédiat et affirmant leur «soutien total au peuple soudanais frère dans ses aspirations à la sécurité, à la stabilité et à la paix».
Ils ont également exprimé la volonté de l'Égypte et du Sud-Soudan de servir de médiateurs entre les parties soudanaises, tout en mettant en garde contre le risque que des violences n'entraînent un nouvel effondrement de la situation sécuritaire au Soudan.
Ils ont par ailleurs rappelé la nécessité de préserver la sécurité et la stabilité au Soudan pour permettre l'achèvement du processus de transition politique et assurer la construction et le développement du pays.
Par ailleurs, les ministres égyptien et soudanais des Affaires étrangères, Sameh Shoukry et Ali al-Sadiq, se sont entretenus par téléphone dimanche au sujet de l'évolution de la situation au Soudan et des efforts déployés pour y mettre fin.
M. Shoukry a fait part à son homologue soudanais de la «profonde inquiétude de l'Égypte face à la poursuite des affrontements armés, qui constituent une menace pour la sécurité du peuple soudanais frère et pour la stabilité de son pays».
L'entretien a également porté sur les conditions de vie de la communauté égyptienne au Soudan et sur l'importance de préserver la sécurité de tous les Égyptiens au Soudan.
Pour sa part, les FSR ont publié un communiqué assurant que les citoyens égyptiens au Soudan étaient en sécurité, faisant sans doute allusion aux soldats en leur possession. Elles ont ajouté qu'elles étaient prêtes à remettre les citoyens égyptiens à leurs chefs une fois les conditions de sécurité apaisées.
Selon Khaled Mahmoud, écrivain et journaliste égyptien spécialisé dans les affaires soudanaises, bien que le conflit soit actuellement limité, il pourrait se transformer en une crise de longue durée.
«Le conflit peut s'étendre dans le temps et ne pas se terminer ou être résolu en quelques heures ou en quelques jours... comme en Libye ou en Syrie. Il peut s'étendre géographiquement et se déplacer vers d'autres régions du Soudan. L'affaire peut se transformer en une guerre régionale par procuration et l'Égypte peut être impliquée d'une manière ou d'une autre dans cette guerre. C'est pourquoi le Caire veut anticiper et traiter la crise d’emblée», a-t-il indiqué à Arab News.
Pour M. Badr a déclaré que la dernière crise avait plongé le Soudan dans une situation délicate, espérant qu'un cessez-le-feu mette fin au conflit et l'empêche de s'étendre.
Par ailleurs, l'analyste politique égyptien Ammar Ali Hassan s'est exprimé sur la crise dans un message publié sur Facebook. «L'Égypte n'a rien à voir avec le conflit entre Hamidati (le général Mohammed Hamdan Dagalo) et Abdel Fattah al-Burhan, et toute présence égyptienne sur place s'est faite en accord avec les autorités officielles, c'est-à-dire avec Al-Burhan et Hamidati conjointement», a-t-il indiqué.
«Il n'est pas étonnant que l'Égypte continue d'œuvrer pour un Soudan stable, car c'est dans son intérêt», a-t-il ajouté.
Dimanche soir, des témoins et des habitants ont déclaré que l'armée soudanaise avait mené des frappes aériennes sur les casernes et les bases des FSR, notamment à Omdurman, sur la rive du Nil opposée à Khartoum, et qu'elle avait réussi à détruire la plupart de leurs infrastructures.
Ils ont ajouté que l'armée avait arraché des FSR une grande partie du palais présidentiel de Khartoum – que les deux camps prétendaient contrôler – ainsi que d'autres lieux clés de la capitale. Des échanges de coups de feu ont fait rage toute la journée.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com